[Entrevue] Political Ritual
Quand il nous arrive de sortir d’une salle de concert complètement bouleversé et exténué au même niveau que les musiciens qui étaient présents sur scène, c’est le signe qu’un moment magique vient de se matérialiser. C’est exactement ce qui m’est arrivé lors de ma première expérience avec le duo Political Ritual, composé de Félix-Antoine Morin et Maxime Corbeil-Perron. L’idée de réaliser une entrevue avec ces deux artistes sonores me démangeait depuis ce temps. Je devais absolument sauter sur l’occasion en prévision de leur performance du 16 mai prochain lors du FIMAV afin de vous transmettre ma fascination pour ce projet décapant et sans compromis. Voici l’essentiel de l’échange que nous avons eu il y a quelques semaines et qui, espérons-le, mettra la table pour votre voyage à Victoriaville!
Tout d’abord, commençons par retracer le chemin qui a mené à votre rencontre et à la création de ce projet musical commun. Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours individuel avant cette union et le moment où vous avez fait connaissance?
Félix-Antoine: De mon côté, j’ai d’abord étudié en arts visuels. En musique, je me sentais un peu imposteur, je n’avais pas l’impression d’avoir une valeur au niveau compositionnel jusqu’à ce qu’une amie me dise que je faisais de la musique électroacoustique! Ah bon, je ne savais pas trop de quoi elle parlait, alors elle m’a amené à un concert où j’ai réalisé que ça existait bel et bien cette affaire-là.
À partir de ce moment-là, je me suis senti un peu plus à ma place et c’est justement aux études en composition que j’ai rencontré Maxime. J’ai vraiment tripé sur sa musique en concert et j’étais content de tomber sur quelqu’un qui faisait quelque chose qui me parlait vraiment. Je pense que de là, ça a été super organique la manière dont on s’est rapprochés et que nous avons décidé de lancer l’étiquette de disques Kohlenstoff.
Enfin, elle existait déjà, mais au départ c’était seulement Jean-François Blouin et moi. Nous avions chacun proposé notre album à un label de musique électroacoustique qui, à l’époque, était pas mal le seul de ce niveau dans le monde. Nous avons eu des réponses négatives tous les deux parce que de nos jours, les maisons de disques sont extrêmement prudentes et sortent presque uniquement des artistes déjà connus du public. Nous avions donc l’intention de sortir chacun notre album sur Bandcamp, mais avons finalement décidé de les sortir sur la même page. Ça a donc débuté comme ça. Par la suite Maxime et Émilie Payeur se sont joints à nous et Maxime est arrivé avec l’idée de développer officiellement Kohlenstoff. Les propositions étaient nombreuses et nous avons vraiment compris qu’il y avait un grave manque de publications dans cette zone de musiques inhabituelles particulièrement dynamique à Montréal.
Maxime: Quand je suis rentré à l’école, Félix-Antoine était plus avancé que moi au niveau des études, il était déjà un compositeur avec une certaine reconnaissance, et j’appréciais beaucoup son travail. Il m’a proposé tout bonnement si je voulais sortir de la musique sur Kohlenstoff, qui n’était qu’une page Bandcamp à ce moment-là. Après une courte période de fermentation, je lui ai écrit que j’aimerais faire quelque chose de vraiment vivant avec ce projet, l’idée était de sortir un album par mois pendant un an, quelque chose d’un peu fou!
Finalement, ça a été un point de départ autant pour notre amitié que pour nos projets artistiques. Je vois l’étiquette Kohlenstoff comme un projet artistique en soit, pas seulement un médium de diffusion. C’était un projet qui a servi à définir une scène montréalaise qui avait besoin d’une soupape à ce moment-là. Puis, organiquement, après un million de rencontres kohlenstoffoises, nous avons commencé à faire de la musique ensemble. Notre premier concert était pour le lancement du premier album d’Adam Basanta sur Kohlenstoff, à La Plante.
Félix-Antoine: Ce qui est amusant et vraiment particulier à Montréal, c’est qu’il y a des collaborations spontanées qui surviennent naturellement. Parfois pour un seul spectacle, mais dans notre cas, nous avons continué parce que la chimie était excellente. Nous avons intégré des projections vidéo par la suite pour en faire une expérience plus large. Maxime commençait justement à faire des films et de mon côté je commençais à expérimenter avec des images en mouvements. Au niveau musical nous nous complétons bien parce que Maxime a un côté beaucoup plus raffiné au niveau technologique et électronique, tandis que j’ai toujours été un peu plus plongé dans les sonorités acoustiques, des instruments parfois assez rares ou exotiques qui procurent des timbres particuliers. Je cherche aussi à aborder les instruments acoustiques de façon non traditionnelle, en jouant du violoncelle à l’horizontale par exemple, ou en envoyant de l’air mécanisé dans des flûtes à coulisse. Non pas seulement pour faire les choses différemment, mais pour aller chercher la couleur sonore qui m’intéresse le plus dans chaque instrument.
Au niveau des goûts musicaux, nous avons tous les deux beaucoup de similarités. Nous aimons la musique industrielle, shoegaze, techno, la dream pop et plusieurs types de musiques d’avant-garde aussi. Il y avait donc un très bon point de départ. Political Ritual s’est toujours nourri d’échéances. Le spectacle au FIMAV en est une, alors nous travaillons plus intensément présentement et allons nous voir plus fréquemment jusqu’au concert.
Maxime: Nous répétons très peu, nous avons une approche plutôt conceptuelle à la performance, puis le reste est de l’écoute et de la chimie. Le concert à Victoriaville sera une première en terme de longueur de concert, soit près d’une heure de performance audiovisuelle.
Quels sont les éléments qui vous ont poussé à choisir un nom aussi puissant que celui-ci? Quel est le sens que vous lui donnez et que représente ce projet à vos yeux?
Félix-Antoine: En effet le nom du projet frappe l’imaginaire de manière assez forte. Nous l’avons mis sur la pochette de l’album en gros caractères assumés. Mais la raison derrière ce choix de nom est purement artistique! Il ne faut pas chercher de signification idéologique, spirituelle ou procédurale. À la base, le choix du nom est un désir de contraste sémantique, car ce sont deux mots qui se confrontent, mais qui se complètent aussi, il s’agit de deux archétypes puissants. Nous pouvons imaginer un rituel politique, mais aussi le geste politique du rituel.
Le mot «Political» est à éviter dans le domaine de la musique, ce n’est pas cool, c’est turn off. Nous trouvions que ça pouvait être intéressant de l’utiliser en le mettant en contraste avec «Ritual». Je me suis longuement posé la question avec une amie afin de savoir quelle était la différence entre un rituel et une cérémonie. Nous en sommes venus à la conclusion qu’une cérémonie est un geste protocolaire et qu’un rituel est plutôt une pratique, une démarche.
Je pense que les deux mots ont également une résonance indépendante l’une de l’autre. L’aspect ritualistique est perceptible dans notre processus créatif, on peut le ressentir dans la musique et le voir dans nos spectacles. D’ailleurs, nous réfléchissons à un concept que nous voulons développer prochainement et qui mettra justement l’emphase autour d’un rituel abstrait. L’aspect politique lui, nous l’avons choisi parce qu’il y a un geste intrinsèquement politique dans le choix de s’exprimer artistiquement, peu importe sous quelle forme de médium.
Maxime: Il y a une résonance du mot rituel par rapport à la musique, tout ce qui est musical en est un en quelque sorte. Il y a plusieurs formes de rituel; social, spirituel, etc. Nous n’avons pas choisi le nom pour être engagés dans un processus quelconque même si ça peut résonner un peu de cette façon. Ce n’est pas à titre idéologique ou quoi que ce soit, je pense plutôt que nous associons la performance artistique en tant que telle comme un geste politique.
À la base, je pense que le nom est venu assez rapidement. Nous voulions partir un groupe et avions décidé de chercher dans différents types de champs lexicaux. Une fois que nous l’avons trouvé, ça a vraiment donné le ton à la musique. Il y a ce côté bruitiste et chaotique qui contraste avec de vieux instruments porteurs de sonorités qui sont presque sacrés. Il y a aussi le mélange de timbres lo-fi, inventés, modernes et contemporains. Le résultat est une musique qui a une couleur particulière, elle émerge d’une forme de chaos, que l’on tente d’organiser.
Félix-Antoine: Nous tombons littéralement en transe quand nous pratiquons. Il y a une forme d’extase dans la composition spontanée. Il se produit quelque chose qui nous dépasse. Nous avons tous les deux une démarche en tant que compositeurs solos et quand nous avons la chance de croiser nos deux approches elles s’inter-influencent. Nous avons une écoute réciproque et nous parvenons à donner de l’espace à chacun.
Maxime: Nous donnons beaucoup d’énergie lorsque nous jouons ensemble. Ça n’arrive pas si fréquemment, mais lorsque c’est le cas nous allons au maximum de notre expression à ce moment. Après nos concerts, je suis généralement complètement vidé. C’est une expérience assez intense pour nous.
Le 16 mai prochain, vous aurez la chance de prendre d’assaut la scène du FIMAV pour un tout nouveau spectacle avec Political Ritual. Pourriez-vous nous expliquer quelles seront les différences de celui-ci avec vos précédentes performances?
Maxime: Pour la première fois, nous allons essayer de rendre les pièces de l’album. Le visuel sera aussi très présent. Nous essayerons de faire de petits clins d’œil au cinéma sensoriel de Paul Sharits, également à la poésie lente et organique de la cinématographie de Tarkovsky… Nous essayons réellement de créer quelque chose de spécial.
Félix-Antoine: Nous avons l’habitude de jouer vingt minutes maximum, de faire ça court et intense. Au FIMAV nous ferons un concert de près d’une heure et donc le réfléchissons comme tel. Ce n’est pas comme faire partie d’une soirée où nous sommes une autre saveur parmi d’autres groupes, où nous faisons rapidement notre truc et on passe au suivant. Même si j’adore ce type d’événement où nous pouvons voir plein de projets variés, cette fois-ci nous avons la chance de présenter Political Ritual dans sa forme plus développée et proposer une expérience plus complète.
Après cette apparition très attendue à Victoriaville, pouvez-vous nous donner quelques détails sur les projets futurs de Political Ritual? Avez-vous d’autres spectacles à l’horizon?
Félix-Antoine: Nous avons chacun une carrière assez chargée, alors c’est parfois compliqué de trouver le bon moment pour partir en tournée par exemple. Maxime revient du Maroc où il a présenté un de ses projets et je reviens tout juste d’une résidence de trois mois au Japon. Nous avons aussi une panoplie de projets et collaborations parallèles, alors, nous n’avons rien de totalement fixé pour le moment.
Maxime: Ceci dit, oui, il y a définitivement d’autres spectacles à l’horizon.
Parallèlement à vos différentes implications musicales, vous vous retrouvez également derrière la scène avec, notamment, la gestion de l’étiquette Kohlenstoff. Pourriez-vous nous expliquer la mission derrière le label et ce qui vous a poussé à créer votre propre entité?
Félix-Antoine: Le but est de provoquer du mouvement à Montréal, dans cette zone grise qui se retrouve à mi-chemin entre la musique électronique et instrumentale contemporaine plus « écrite » et la musique underground expérimentale. Nous nageons entre les deux pôles, il y a par exemple Alain Lefebvre, Émilie Payeur et Hazy Montagne Mystique qui font du pur art sonore expérimental et à l’autre bout du spectre, d’autres artistes comme Thierry Gauthier, Ana Dall’Ara Majek et Line Katcho qui font de la musique ultra travaillée en studio. Deux approches qui se sont parfois confrontées à tort dans le passé, mais dont les expressions artistiques ont beaucoup de similarités en fin de compte.
Maxime: La mission est de décloisonner ces scènes musicales qui œuvrent dans les marges du milieu de la musique de création. L’idée est d’établir un dialogue entre différentes portions de la scène qui ne se côtoient pas habituellement, mais qui possèdent de nombreuses résonances artistiques. C’est également pourquoi les événements que nous avons faits dans le passé ont si bien fonctionné. Ceci, et la qualité du travail des artistes présentés, évidemment.
Félix-Antoine, tu reviens tout juste d’un séjour au Japon où tu as eu la chance de voyager et de faire quelques prestations. Pourrais-tu nous faire un bref résumé de ton périple?
Félix-Antoine: C’était dans le cadre d’une résidence au TOKAS, une sorte d’incubateur du musée d’art contemporain de Tokyo. J‘ai eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec plusieurs artistes sonores très actifs là-bas (merci au commissaire Eric Mattson qui m’a mis en contact avec eux). Ça m’a permis de comprendre leur milieu. Tout s’est déroulé extrêmement vite, trop vite. J’ai d’abord présenté une installation sonore assez exigeante au Open Studio du Tokyo Art and Space, où je devais courir un peu partout pour installer mes micros desquels je recevais des signaux sonores en temps réel. C’est un projet assez rock ‘n’ roll.
Sinon. De faire des concerts est une chose plus familière pour moi, surtout en étant plongé dans un milieu où la musique expérimentale est très développée. Des artistes sonores m’ont confié qu’à Shibuya, certains clubs dansants se réorientent pour devenir des salles qui présentent maintenant des spectacles de musiques expérimentales! Quand des boîtes de nuit ferment là où se trouvent les hipsters d’une ville et que les DJs sont remplacés par des artistes sonores, c’est quand même assez significatif. En espérant que ce phénomène contamine Montréal.
Concluons avec un autre projet qui vous impliquera tous les deux, la présence de Paysage Primitif au magnifique événement OK LÀ. À quoi pouvons-nous nous attendre pour cette éclatante et intrigante collaboration?
Félix-Antoine: Paysage Primitif c’est Line Katcho, Guillaume Cliche, Jean-François Blouin, moi, Maxime ainsi qu’un vidéaste invité à faire des projections. Nous dessinons les structures ensemble sur un gros carton et chacun y ajoute sa couleur. Ça coule facilement et le tout s’organise super bien. Personnellement, je trouve que c’est ça la plus grosse valeur de ce projet. Et il y a quelque chose d’unique et de puissant dans ce qui se passe avec ce groupe. Nos approches esthétiques sont assez différentes les unes des autres, mais forment une palette de couleur complémentaire.
Maxime: C’est important de dire que ce ne sera pas la première fois que nous présentons le projet, ce projet existe depuis 2016, sous un porte-manteau non officiel… Nous avons joué au Centre Phi l’année dernière et avons collaboré avec le cinéaste Karl Lemieux. Cet été sera une collaboration avec l’excellent vidéaste/être humain Guillaume Vallée. Il concoctera un mélange de projection 16mm et glitch VHS. Bien hâte de bronzer sous les feux de ses projecteurs. Sinon, musicalement, tout le monde a son esthétique et son bagage.
Félix-Antoine: À l’intérieur du projet, il y a aussi des rôles complémentaires, Jean-François et moi agissons plutôt comme des drone machine. Maxime et Line font des trucs plus ponctuels, beaucoup plus précis, c’est une forme de ponctuation je dirais, le glitch et le noise agissent comme des articulations. Puis, Guillaume génère une musique plus synthétique avec son système modulaire. Le dernier show au Centre Phi était magique, avec les images que Karl a tournées en Chine. Il s’était rendu dans une ville fantôme entièrement abandonnée. Le synchronisme des images, qui étaient projetées en rouge, avec notre musique était magnifique.
Maxime : Le festival OK LÀ sur le toit du Stationnement Éthel à Verdun est unique en son genre, pour des prestations. Le mélange entre le paysage montréalais, la musique et les projections est inoubliable.
Pour obtenir plus d’informations sur l’événement, cliquez ICI.
Merci pour votre temps!