[Festival] FIMAV (2019) – Jour 3 & 4
Jour 3
Pour commencer la troisième journée du festival, Michel Levasseur a invité le quatuor de saxophones Konus Quartett et l’électroacousticien Tomas Korber. Ceux-ci ont entamé une collaboration en 2011 et leur nouvelle composition Anschlussfehler fut présentée en Europe pour la première fois le mois passé. Les cinq artistes suisses ont collaboré avec un who’s who de la musique improvisée et de la musique contemporaine. J’avoue avoir été ravi d’apprendre que le saxophoniste Ulrich Krieger, proche collaborateur de Lou Reed et de son Metal Machine Trio, allait être de la partie comme invité spécial. La rencontre entre le quatuor et Korber a été un succès sur toute la ligne, nous introduisant à une création toute en finesse et en subtilité où les cinq interprètes furent unis en une masse sonore imprévisible, par moment délicate, par moment tonitruante mais toujours riche en textures. Anschlussfehler est une œuvre qui demande beaucoup d’attention mais qui a fini par obnubiler les festivaliers.
Le concert suivant présenté au Colisée fut You|Me, une nouvelle œuvre du compositeur Kim Myhr pour quatre guitares et trois percussionnistes. D’abord endisqué, ce projet est maintenant transformé en ensemble avec lequel Myhr a offert ici un premier concert nord-américain. Kim Myhr est un improvisateur intéressant et assez polyvalent mais ses compositions sont généralement plus minimalistes et restreintes à quelques palettes de son. Ce fut le cas ici avec une proposition musicale monotone sans grand intérêt. Les quatre guitaristes ont attaqué de courts motifs très répétitifs ponctués par des percussions saupoudrées au-dessus des guitares. Le résultat était semblable par moments à du Rhys Chatham un peu informe et new age. Ce fut sans intérêt pour ma part.
Le concert suivant fut Not The Music, un duo free du clarinettiste Philippe Lauzier et du bassiste Éric Normand. Ce dernier a surtout été présent au FIMAV comme leader du GGRIL tandis que Lauzier a été invité comme artiste pour les installations sonores ainsi qu’en quatuor avec Myhr, Jim Denley et Pierre-Yves Martel. La proposition de Not The Music a évolué au cours des dernières années et l’ajout de moteurs et d’instruments «robotisés» a beaucoup apporté au son du groupe. Familier avec l’œuvre des deux improvisateurs, j’ai été forcé de constater à quelques reprises durant le concert qu’un écart se creusait entre les trajectoires des deux musiciens même si certains moments intrigants sont apparus tout au long du set. Ce sont les aléas de la musique improvisée, peu importe qui se retrouve sur scène…
J’aurais difficilement pu prédire la rencontre de l’artiste hip-hop engagée Moor Mother et du pilier de la musique avant-garde afro-américaine Roscoe Mitchell. Un peu de recherche m’a cependant permis d’apprendre avec stupéfaction que Camae Ayewa s’est jointe à quelques performances du Art Ensemble of Chicago par le passé! Chaque occasion de voir Mitchell est essentielle, lui qui est maintenant l’un des seuls survivants de la deuxième vague de membres de l’AACM. Comme ce fut le cas pour les récentes performances québécoises de Mitchell en solo ou avec le trio Abrams/Lewis/Mitchell, la musique proposée par le saxophoniste américain est assez radicale et hermétique mais tout à fait enrichissante. L’apport à la voix et aux instruments électroniques de Ayewa fut fascinant, celle-ci débutant avec certaines phrases répétitives avant d’offrir une prose politisée et chargée d’une intensité subtile qui a captivé la salle. Les percussions étant une partie essentielle de l’œuvre de l’AACM, ce fut un réel plaisir pour le public québécois de voir pour la première fois depuis des années le vénérable Roscoe Mitchell délaisser le saxophone pour des passages de longues durées derrière un kit de percussions. La performance de Mitchell et Ayewa n’eut rien de facile à apprivoiser mais le résultat fut d’une grande qualité, offrant des passages musicaux époustouflants. Un moment fort du festival!
© Photo: Martin Morisette – Moor Mother & Roscoe Mitchell
Vijay Iyer navigue depuis plusieurs années entre le jazz contemporain et la musique avant-garde, ayant collaboré entre autres avec le trompettiste Wadada Leo Smith ainsi que le sublime pianiste Craig Taborn. Cela faisait quelques années qu’il n’y avait pas eu un projet jazz d’une telle envergure au FIMAV et le sextuor américain n’a pas déçu. Avec le multi-instrumentiste virtuose Tyshawn Sorey à la batterie, le contrebassiste Stephan Crump, le trompettiste Graham Haynes ainsi que les saxophonistes Steve Lehman et Mark Shim, Iyer a présenté des compositions complexes aux structures inhabituelles qui nous ont surtout permis de voir le meilleur de ce que ses cinq collègues peuvent faire avec leurs instruments respectifs. Les thèmes de Iyer furent somme toute assez traditionnels mais les moments de grâce du groupe apparurent dans les longues improvisations reliant avec fluidité les compositions du pianiste. Sans réinventer la roue, la musique proposée ce soir-là par le sextuor fut fort prenante et bien vivante.
Tête dirigeante d’une myriade de projets sous l’enseigne Coax, Julien Deprez est un guitariste français de plus en plus en vue sur la scène internationale. Visitant le Québec pour la première fois, son trio Abacaxi a présenté plusieurs pièces rock spazzy transformées, étirées et démantibulées par une panoplie de pédales d’effets ésotériques. Plusieurs des compositions de Deprez m’ont rappelé les explorations du punk expérimental de Omar Rodriguez-Lopez et Melt Banana. Après une trentaine de minutes, force est d’admettre qu’il manqua un peu de profondeur compositionnelle à la musique d’Abacaxi, qui semble d’abord et avant tout conçue pour faire la démonstration des qualités de virtuose du guitariste français. Avec une journée qui incluait 24 hommes sur 25 artistes, peut-être avais-je fait une overdose de «machismo» musical?
Jour 4
Moins utilisée que lors des éditions précédentes, l’église Saint-Christophe d’Arthabaska est un lieu prisé par les programmateurs du FIMAV pour présenter des performances acoustiques. Plusieurs artistes y ont offert des concerts mémorables dont Lori Freedman, In The Sea et Jean-Luc Gionnet. L’acoustique de la salle est un couteau à double tranchant; autant j’ai apprécié par le passé le jeu de Freedman dans cette église, autant j’ai trouvé que le reverb avait tué la performance du quatuor Battle Trance. John Butcher y est allé d’une master class du saxophone avec ce premier concert du dimanche. Au cours des soixante minutes de son concert dominical, le saxophoniste anglais a utilisé son soprano et son ténor pour donner une performance d’une grande précision, s’adaptant aux acoustiques de l’église pour présenter son travail solo riche en textures et en envolées mélodiques inhabituelles. Comme Evan Parker, John Butcher explore depuis longtemps la respiration circulaire et les moindres racoins du monde des techniques étendues pour le saxophone et cette expertise est apparue de façon bien évidente lors de ce concert. Plus qu’un technicien, le saxophoniste britannique est d’abord et avant tout un improvisateur fascinant et le concert nous a permis de constater l’aspect imprévisible et rafraîchissant de ses choix musicaux. Butcher continue d’épater comme c’est le cas lors de chacune de ses visites ici!
Tyshawn Sorey Trio a offert son premier concert au FIMAV cette année avec une performance rigoureuse de musique avant-garde. Si le Vijay Iyer Sextet est définitivement en territoires jazz, Sorey semble davantage intéressé par les travaux de l’avant-garde américaine. En ce sens, son travail percussif ainsi que le piano préparé du pianiste Cory Smythe m’ont rappelé les albums absolument incontournables de Wadada Leo Smith sur Kabell Records. La performance du trio – pendant laquelle le groupe suivait par moments des partitions – a bien représenté la philosophie du leader du groupe qui disait d’ailleurs récemment au New York Times qu’il était complètement inutile selon lui de savoir lorsqu’un groupe improvise ou qu’il interprète une composition. En ce sens, les explorations bruitistes du groupe n’ont pas servi de «transitions» pour des compositions plus rigides et vice-versa. Si le concert s’est étiré par moments, il n’y a rien à redire, Tyshawn Sorey sait où il s’en va et sa musique sans compromis est à surveiller.
Sans contredit la surprise du festival, les Français Lionel Marchetti et Xavier Garcia ont offert une performance extravagante de musique électronique free qui s’éparpillait sans pour autant se perdre. Garcia a usé d’un ordinateur, d’un clavier et d’un thérémine digital pour créer des couches de sons interrompues par Marchetti qui, armé d’un vieux magnétophone, s’est affairé à jouer d’une panoplie d’objets amplifiés, de power tools, de micros contact et d’échantillons sur bandes. L’hyperactivité du groupe fut une dose d’adrénaline nécessaire pour continuer la quatrième journée du festival.
Présentant pour la première fois son œuvre pluridisciplinaire Les Lucioles, l’ensemble Joker de Joane Hétu a offert une performance atypique dans la programmation des dernières années du FIMAV. Outre la performance musicale d’une vingtaine d’improvisatrices et improvisateurs surtout à la voix, Les Lucioles comportait également des costumes, des moments de danse contemporaine et du dialogue. Le résultat fut étonnant et surprenamment plus sombre musicalement que ce à quoi les têtes dirigeantes d’Ambiances Magnétiques nous ont habitués. Étant récemment tombé en amour avec les aspects plus psychotroniques de l’œuvre de Stockhausen, je ne pus m’empêcher de remarquer certains parallèles entre l’œuvre du compositeur allemand et les passages pour flûte, dialogues théâtraux, danse et musique électronique de Joker! Malgré certains aspects narratifs qui m’ont paru confus ou fastidieux, j’ai grandement apprécié la performance vocale de ce large groupe d’artistes montréalais ainsi que la place laissée à la relève musicale locale dont Maya Kuroki et Gabriel Dharmoo, deux interprètes qui se distinguent beaucoup ces temps-ci au sein de divers ensembles.
© Photo: Martin Morisette – Joane Hétu & Joker
Il sera difficile de trouver en 2019 une affiche plus prometteuse que celle du dernier concert de la 35e édition du FIMAV: The Ex et Senyawa avec Keiji Haino. Le Colisée fut bien rempli pour recevoir le jeune groupe de rock expérimental indonésien et les vétérans européens du punk rock expérimental, ces derniers n’ayant pas visité Victoriaville depuis 2011. La première partie a donné la chance aux festivaliers de voir la première nord-américaine de la collaboration entre Senyawa et Keiji Haino qui lui visite le festival depuis presque 25 ans. Si Haino fut plutôt subtil vendredi (…c’est relatif!), il s’est transformé en bête de scène pour clore le festival, dansant et sautant sur scène avec ses tambours et ses cymbales, hurlant de façon aléatoire, se permettant une envolée noise à la guitare et pimentant le son du duo avec des interruptions de noise électronique. Le chanteur de Senyawa a paru intimidé par moments de partager la scène avec la légende nippone, mais leur multi-instrumentiste Wukir Suriyadi a cependant renchéri sur le bruit fait par Haino, occupant les basses fréquences avec ses instruments inventés tout en enchaînant des riffs punk rock incongrus. Ce fut une performance mémorable qui a mis la table pour The Ex.
© Photo: Martin Morisette – Senyawa & Keiji Haino
C’est généralement assez difficile de rendre justice par écrit à ce que The Ex fait en concert. Le groupe existe depuis 40 ans maintenant et ses membres ont un son tellement particulier et inimitable qu’il n’y a pas vraiment d’autres options pour entendre du «Ex» sinon que d’aller directement à la source. Comme à l’habitude, la batteuse Katherina Bornefeld a joué ses rythmes syncopés entraînants qui n’ont laissé personne immobile dans la foule tandis que chacun des trois guitaristes s’est affairé à créer une série de lignes répétitives avec sa guitare. Les guitares du groupe en sont venues à s’entremêler pour former une seule masse sonore dissonante mais pleine de beauté. The Ex a surtout présenté du nouveau matériel et les longues pièces choisies furent époustouflantes de A à Z, tout en laissant à Andy Moor et Terrie Ex l’espace nécessaire pour nous satisfaire avec quelques «combats sonores» de guitares dissonantes dont seul le groupe hollandais a le secret. Le FIMAV aurait difficilement pu mieux faire pour clore en beauté cette 35e édition tout à fait réussie et bourrée de propositions musicales et artistiques sans complaisance.
© Photo: Martin Morisette – The Ex
- Révision du texte par Sandra.