[Entrevue] Philippe Vandal
Ce n’est plus un secret pour personne, la ville de Montréal regorge de talent. L’un des artistes les plus singuliers à s’y produire régulièrement est sans contredit Philippe Vandal. Il y a déjà plusieurs mois que l’idée de le rencontrer afin de découvrir son univers éclaté faisait partie de nos plans. Avec deux prestations dans les prochaines semaines pour le festival Suoni Per Il Popolo et un nouvel album ayant vu le jour en février dernier sur l’étiquette Dream Disk, le temps était enfin venu d’aller de l’avant avec ce projet palpitant. En espérant que la lecture de notre entretien saura vous inspirer autant que nous!
Pour ceux et celles qui ne te connaissent pas, pourrais-tu nous expliquer comment tu as eu la piqûre pour la musique dans ta jeunesse?
La première fois que je me suis intéressé à un instrument, c’est parce que mon petit frère avait commencé à jouer de la guitare classique au primaire. Si je me rappelle bien, c’était la première occasion où il essayait quelque chose avant moi, je trouvais ça particulier. Je n’étais pas jaloux du tout, ça m’a plutôt donné l’envie de m’y mettre moi aussi. À cette période, je devais avoir environ 10 ou 11 ans. Je me suis assez rapidement ennuyé, c’est pourquoi j’ai penché vers la guitare électrique et j’ai commencé à utiliser des pédales d’effets. C’est à ce moment-là que je crois avoir sincèrement débuté à faire de la musique.
Tu as laissé paraître un excellent et percutant album sur Dream Disk Lab en février dernier. Peux-tu nous parler de la démarche derrière la création d’Umwelt?
Le concept pour Dream Disk était de créer un environnement qui n’avait pas réellement de sens, mais qui aurait pu en développer un lors d’une expérience AR ou VR. J’avais commencé à faire des pièces architecturales, des sculptures sonores et j’imaginais des formes dans des espaces. J’avais entamé la programmation d’une application téléphonique pour chacune des compositions. Je voulais que les formes apparaissent dans un environnement 3D et que tout cela soit synchronisé avec la musique. Chaque morceau était destiné à avoir sa propre entité, mais nous avons eu problèmes majeurs et ça n’a jamais vraiment fonctionné. Nous avons donc décidé de nous lancer dans une application VR, en 360 degrés, qui se visualise directement sur le navigateur. Le résultat fonctionne très bien cette fois. J’ai encore de la difficulté à concevoir le concept de l’album, même en l’écoutant j’ai l’impression que c’est très frénétique, je dirais que c’est spéculatif jusqu’à un certain point.
En plus de faire tes propres compositions, ton nom se retrouve souvent dans les crédits d’albums provenant d’autres artistes talentueux. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’orienter vers le mastering?
C’est quelque chose que j’aime, car ça me permet de découvrir de la musique et c’est aussi un gagne-pain qui est enrichissant. Ce n’est pas nécessairement une quantité élevée d’heures de travail et ça me donne de beaucoup expérience. La première fois que j’ai masterisé quelque chose, c’était une compilation sur laquelle j’étais apparu sur l’étiquette Phinery, j’étais vraiment content du rendu final. Récemment, j’ai travaillé sur un vinyle pour un artiste iranien et sur plusieurs parutions du label Seagrave. Cet exercice me force à retoucher le son d’autres artistes, ce qui m’aide grandement à le faire sur ma propre musique par la suite, ça permet à mes oreilles de s’ouvrir à différentes possibilités. Je prends conscience des autres dynamiques existantes et de la manière de les appliquer sur mes projets personnels. En fait, je pense que je n’ai jamais travaillé sur quelque chose qui ressemblait à ma musique, c’est toujours une approche qui est très différence et je l’apprécie énormément.
Quand tu acceptes des travaux de mastering, est-ce que c’est important pour toi que les artistes aient une cohérence avec ce que tu fais? Pas nécessairement musicalement, mais dans l’approche artistique.
Non pas nécessairement. Souvent, les concepts sont des idées très personnelles et je respecte le fait que des gens ne les poussent pas au maximum. Sur Seagrave par exemple, ce sont souvent des parutions très rythmées. L’esthétique est totalement différente de la mienne, mais ça me fait plaisir de les masteriser. Je dirais même que je trouverais ça un peu redondant de ne jamais sortir de mon genre, au final j’apprendrais moins de choses. C’est super intéressant d’accepter un contrat par-ci, par-là, et de découvrir de la nouvelle musique.
Tu seras de la prochaine édition du festival Suoni Per Il Popolo aux côtés de la légendaire formation montréalaise Fly Pan Am lors d’une soirée qui s’annonce très relevée. Est-ce que tu peux nous donner quelques détails sur ce que tu nous prépares pour l’occasion?
Déjà, je dois avouer que je suis un grand fanatique de Fly Pan Am, alors ça commence bien. C’est probablement encore l’un de mes groupes préférés à Montréal. J’ai rencontré Roger Tellier-Craig et Jean-Sébastien Truchy lorsque nous avons collaboré ensemble il y a deux ans sur le projet Flaming Rays Of The Sun pour le festival Ibrida Pluri. C’est à force de nous revoir, de discuter et de prendre des bières de temps à autre que l’intérêt s’est matérialisé. Un soir, je jouais à la Sala Rossa avec Érick d’Orion et Alexandre St-Onge lors d’une soirée pour le label Acte et il y avait Jonathan Parant qui était derrière le bar. Après la performance, nous avons beaucoup parlé et il avait adoré ce que j’avais fait. J’ai fini par croiser Roger et Jonathan à nouveau et c’est à ce moment qu’ils ont lancé l’idée que je participe au retour de Fly Pan Am. Je trouve ça amusant parce que je n’ai absolument rien à voir avec ce qu’ils font, mais il y a peut-être quelque chose en termes de concept ou d’esthétique qui se rejoint à un certain point. Il y a sans doute un élément qui se ressemble dans la manière dont nous construisons et déconstruisons le médium. En résumé, c’est de cette manière que j’ai rencontré certains membres du groupe et que je me retrouve à ouvrir pour eux le 15 juin prochain à la Sala Rossa, ce qui est un honneur absolu.
Lorsque je parlais avec Jonathan, il voulait que je fasse quelque chose de très électronique et ça tombe bien, car c’est principalement ce que je fais dans le moment. J’intègre de moins en moins de field recordings, c’est plutôt des textures modulaires qui sont traitées avec mon ordinateur et qui sont régurgitées en bruit digital. C’est ce qui me fait vibrer dernièrement. J’ai envie de faire une performance déconstruite et de proposer une écoute plus ouverte ou même holistique jusqu’à un certain point. Ce ne le sera pas nécessairement dans la forme, car je veux que ce soit relativement linéaire au niveau des dynamiques, mais ce sera très dense, compact et texturé. C’est là-dessus que je travaille en ce moment pour le spectacle.
Tu nous as parlé brièvement d’Acte un peu plus tôt, même si ça me semble moins actif récemment, peux-tu nous raconter l’histoire derrière la formation de l’étiquette et les gens avec qui tu y as collaboré?
Tout a commencé avec Simon Chioini et Gabriel Ledoux durant la grève étudiante de 2012, ce fut une rencontre mythique et ils ont décidé de lancer ce projet ensemble. Plus tard, j’ai recroisé Simon parce que nous avions été à la même école primaire ensemble. C’est à ce moment que nous avons réalisé que nous faisions tous les deux de la musique électroacoustique. Ensuite, il m’a invité à aller jouer dans une soirée qu’il avait organisée au Bar St-Denis. J’avais à peine terminé mon soundcheck que Gabriel m’avait déjà invité à faire partie du label parce qu’il avait adoré.
Un peu plus tard, Devin Hansen et Kara-Lis Coverdale se sont greffés au projet et nous avons fait paraître des albums, avec notamment un disque de Nicolas Bernier dont nous étions très fiers. Simon et moi devions aussi sortir quelque chose, mais finalement c’était plutôt lui et Gabriel qui mettaient le plus d’énergie dans le projet et ils ont été rapidement débordés. Disons que pour le l’instant, Acte est en pause indéterminée. Est-ce que ça va reprendre, je ne sais pas, mais dans tous les cas c’est un magnifique projet.
Je dois avouer que quand nous avons commencé à faire des événements, ça nous a pris beaucoup plus d’énergie qu’anticipé. Nous avions eu une très grosse soirée qui avait été une incroyable réussite à La Vitrola et nos attentes se sont peut-être dirigées au mauvais endroit. Finalement, il y a tellement de compétition à Montréal que c’est difficile d’avoir quelque chose de niche et de populaire sur la durée. C’était plus compliqué que prévu, alors nous voulions uniquement sortir de la musique en album plutôt que de produire des événements. Maintenant, nous sommes tous occupés, j’ai commencé l’université et ça devient ingérable.
Justement, comment arrives-tu à concilier musique et études? Est-ce que tu étudies dans le domaine?
Non, je ne voulais pas étudier en musique afin d’éviter d’en faire une surdose. Je préfère de loin en faire à ma façon, tranquille chez moi, à ma vitesse et ne pas avoir de trames et de délais imposés par l’école. Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie du tout. Faire un spectacle est une autre forme de délais à respecter, mais l’approche est totalement différente. À la place, j’ai opté pour Intermedia/Cyberarts, je suis plutôt au niveau de la programmation. Ça fait quelques années que je m’y suis lancé en apprenant à petit feu avec des amis. Je préférais me diriger vers quelque chose de plus physique, dans lequel je peux intégrer des sons au besoin, sans que ce soit absolument nécessaire. Alors j’ai opté pour ce programme, car c’est possiblement quelque chose que je tentais de faire avec la musique, mais que le support ne me permettait pas. En fait, je m’éloigne de la musique à l’université.
Tu feras également une seconde apparition au festival avec Cloud Circuit le 9 juin en ouverture de Lea Bertucci. Est-ce que ce sera très différent de ta performance solo? Qu’est-ce que tu apprécies dans le fait de jouer en groupe plutôt que seul? Le défi est-il différent?
Ce projet est à composition variable, même si actuellement nous sommes surtout en formule trio. Initialement, c’était Jeremy Young et Deanna Radford qui avaient commencé à explorer la poésie sur de la musique drone très tramée et mélodique. À la base, c’est Jeremy qui m’a invité à venir jouer avec eux. Nous expérimentons avec la voix de Deanna, les rythmiques concassées, mais aussi avec des trucs vraiment fins, déconstruits et originaux. C’est un bel échange, ce projet me fait vraiment du bien.
C’est clair qu’en solo les éléments seront plus fixés. Souvent, j’utilise une trame qui défile et j’improvise par dessus. À plusieurs, il y a toujours le côté d’improvisation, mais la structure proposée sera presque assurément défoncée durant la performance. C’est ce que je trouve intéressant dans le fait de jouer avec quelqu’un d’autre. Même si nous avons un plan, il est complètement déconstruit au final. Je ne suis pas encore à l’aise de faire des performances en duo ou trio en utilisant un ordinateur, je n’ai pas encore trouvé l’interface idéale pour le faire. C’est pour cette raison que je préfère jouer d’un instrument réel ou du modulaire lorsque je suis en groupe. Ça m’aide à créer cette espèce de conversation avec les autres dans laquelle il y aura souvent de la chamaille, mais qui peut aussi être parfois lyrique ou bruitiste. Tout est basé sur les restrictions d’instruments, mais elles deviennent exponentielles lorsque nous le faisons avec quelqu’un d’autre. C’est quelque chose que j’aime explorer, je peux essayer des avenues que je ne pourrais pas nécessairement faire en solo.
Nous savons que tu vis désormais avec le producteur Joël Lavoie, que nous affectionnons particulièrement sur le site. Est-ce que le fait d’habiter avec quelqu’un qui partage la même passion et qui oeuvre dans le même domaine est une source de motivation? Un projet collaboratif serait-il possible?
Pour faire une histoire courte, tout a commencé quand je me suis intéressé à l’étiquette Kohlenstoff. J’étais tombé sur leur page Facebook et il y avait un événement deux semaines plus tard à la Fonderie Darling. Je crois que c’était le lancement de l’album d’Adam Basanta et c’est Joël Lavoie qui faisait la première partie. Après sa performance, nous avions discuté brièvement et nous nous sommes recroisés à plusieurs autres spectacles par la suite. À chaque fois qu’on se voyait, nous nous entendions bien, nos visions de la musique et de la vie en général étaient similaires.
C’est l’an dernier que nous avons eu l’idée d’emménager ensemble. Maintenant que nous habitons ensemble et que nous utilisons mes enceintes dans le studio, c’est presque assuré qu’il y aura une collaboration à venir. Ce serait vraiment plaisant de faire un spectacle prochainement. Nous avions comme projet d’appliquer pour une résidence en France et faire de faire une recherche sonore environnementale. Ce serait logique comme Joël travaille beaucoup avec des field recordings et nous pourrions jouer avec l’aspect de la délocalisation. Nous pourrions jouer avec la narrative d’un espace et nous l’approprier jusqu’à un certain point. C’est une pratique que j’aime beaucoup faire. Bref, nous avons une connexion même si nous n’avons pas encore pratiqué ensemble. Il est très occupé et moi aussi, mais c’est clairement dans les projets futurs.
Est-ce que tu es quelqu’un qui est plus solitaire dans son processus créatif ou tu as besoin de t’entourer d’autres artistes qui vont donner une certaine forme d’énergie?
J’ai vraiment de la difficulté à créer de la musique avec quelqu’un d’autre surtout lorsque nous ne sommes pas face à face. J’ai déjà essayé de faire de la musique à distance à plusieurs reprises, mais le concept d’échange me rappelle trop le ping-pong. À chaque fois qu’on m’a fait parvenir quelque chose, j’ai tenté l’expérience, mais je n’y arrivais simplement pas. J’ai l’impression qu’il y a une perte du moment présent qui est trop apparente à mes yeux. C’est pourquoi je préfère en général faire de la musique par mes propres moyens.
Qu’est-ce qui t’attend après tes deux prestations durant le Suoni? As-tu des projets ou de la nouvelle musique qui verra le jour dans les prochains mois?
Je prévois sortir la pièce que j’ai jouée à Akousma, j’ai très hâte de vous présenter celle-ci. J’aurai aussi quelque chose pour ce que j’avais fait au Noise Meditation du Never Apart. Je suis en train de finaliser une vidéo de patch processing et j’ai possiblement un projet dans un dôme qui s’en vient bientôt. Je veux absolument sortir ce que je prépare pour le concert avec Fly Pan Am.
En ce moment, je me concentre un peu plus sur la programmation plutôt que sur la création musicale. Donc beaucoup de codage et moins de trames musicales, moins de composition. Je finalise un projet d’installation audiovisuelle qui sera présenté à la galerie Art Mur dans le cadre de l’exposition Fresh Paint/New Construction. Je récupère des données d’un palmier ainsi que de son environnement afin de créer une expérience audiovisuelle spéculative sur la mémoire de l’entité, une certaine projection de sa cognition incarnée dans l’espace. Je confectionne aussi un microscope assisté par un micro-ordinateur Raspberry Pi pour détecter des structures microscopiques organiques pour en retirer des vecteurs qui seront traduits en mots à l’aide d’une librairie de word embedding avancé par Facebook. Il y a quelques complications d’alignement et de focalisation entre l’objectif et le capteur, mais ça devrait aller. Un dernier projet qui me tient à coeur est d’analyser le ‘pouls’ de différentes plantes dans un micro-environnement contrôlé grâce à des détecteurs cardiaques – une petite recherche en ce qui concerne les rythmiques, cycles et synchronisations d’entités dans des espaces communs.
Merci pour ton temps!