[Recommandation] Musique d’ameublement pour espaces dissonants – Vol. 3
Nous voilà déjà rendu·e·s au troisième volet de ce concept d’article libérateur, qui nous permet d’écrire sans contrainte sur des albums allant d’un spectre à l’autre de la musique expérimentale. Encore une fois, les six pépites que nous avons dénichées risquent de vous faire vivre des émotions fortes, parfois difficiles, nous entraînant dans des régions sensibles de notre subconscient. En espérant que vous apprécierez prendre part à une séance d’écoute en compagnie de nos mots. Bonne lecture!
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Akira Kosemura | True Mothers 朝が来る
Paru le 23 octobre 2020 sur Schole Records.
→ Texte de William
À défaut d’avoir pu visionner le film qui accompagne cette merveilleuse bande originale du compositeur japonais, nous pouvons aisément fabriquer notre propre scénario. La manière délicate avec laquelle il laisse ses doigts explorer les ivoires adoucit les mœurs et apaise le feu qui frétille à l’intérieur de la plupart d’entre nous. La nature fait irruption instantanément dans notre esprit, elle est intrinsèquement liée aux structures musicales. Que ce soit avec les flocons de neige qui tombent du ciel actuellement ou bien avec un rayon de soleil matinal, les moments de tendresse qu’Akira Kosemura nous sert ont la capacité de nous démontrer toute la beauté qui se trouve de l’autre côté de notre fenêtre, il nous donne envie d’aller l’explorer. C’est justement ce que représente cette musique, elle en est une d’exploration et de positivisme, qui se fond brillamment à nos balades en plein air ou nos périodes de détente. En plus du piano magistral, les différents instruments à cordes enjolivent notre séjour en compagnie de True Mothers. La troupe de musicien·ne·s qui l’accompagnent sait élever la trame narrative d’un cran sans en faire dérailler l’aspect intimiste. C’est si beau que nous en redemandons, voici un album aux mille et une saveurs que vous pourrez déguster différemment à chaque occasion en raison de sa saisissante richesse.
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Così e Così | Water Fragments In Ghost
Paru le 1er octobre 2020 sur NO EXIST.
→ Texte de William
À l’écoute de ce disque noir, nous agissons tel un spectre qui déambule sans réel motif. Errant sur une plage infréquentée, délabrée; par la tempête perpétuelle, par les ravages du temps. Seul face à l’inanité de nos nombreuses vies, actuelles et antérieures, réelles ou fictives. Laissant les ondées glaciales percer notre corps sans texture et sans chaleur, entremêlant les gouttelettes tombées du ciel ombrageux à nos larmes stériles.
Une voix qui n’est pas la nôtre résonne, un piano qui n’existe pas se fait entendre au loin. Nous n’attraperons jamais ces mots qui flottent, ils sont en nous, ils émergent de notre empathie, nous sommes coupables de leur existence. Cycliquement, les vagues troublent notre destin limpide à flâner sur ce sable froid. Coïncidant avec la fluctuation de nos angoisses, provocant à la fois l’inertie et l’exubérance. À l’écoute de ce disque noir, nous agissions tel un spectre qui déambulait sans réel motif.
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John-Robin Bold | Demonstrations
Paru le 9 octobre 2020 sur Quanta Records.
→ Texte de William
Comme le disait Victor Hugo: la musique c’est du bruit qui pense. Voilà une citation qui en révèle beaucoup sur ce que renferme Demonstations. Alors que la majorité des tendances actuelles nous orientent vers une forme d’aliénation, ce disque nous force à sortir du sommeil étouffant que peut parfois représenter la vie d’un être humain. Si le premier morceau nous invite à nous mettre à nu par son touché linéaire, le deuxième agit telle une douche sonore des plus torrentielle. C’est tout ce qu’il y a de plus cru comme méthode de purification, à la limite du bruitisme. À première vue, cette désinvolture calculée pourrait choquer les oreilles sensibles, mais une forme de lucidité se fraye un chemin au travers de l’obscénité digitale.
La suite nous confirme que John-Robin Bold prend un malin plaisir à créer de somptueux paysages où l’harmonie règne, mais qu’il adore déconstruire avec des finales transcendantes, de quoi défier notre confort. Il remodèle à sa guise nos idées, nos pensées. Transportant nos réflexions dans des zones imprévues, hors du temps, hors des influences. Il force un dialogue interne, nous confrontant à nos blessures profondément enfouies. Il nous démontre que nous sommes rempli·e·s de vivacité et que nous méritons de cultiver notre curiosité. Le constat est assez simple après la première écoute, nous venons de passer la dernière demi-heure en discussion avec nous-mêmes. Peu importe ce qu’il en ressort, ça en valait fort probablement l’investissement, malgré les quelques potentiels acouphènes.
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MELVL | Lachrymal Heartflesh
Paru le 20 novembre 2020 sur Grimalkin Records.
→ Texte de Louis
Les périodes les plus difficiles d’une vie peuvent parfois être le berceau de créations magnifiques, grandioses et transcendantes. Armand Carnelian Fortin traversait un moment extrêmement sombre lorsqu’il a enregistré les splendides paysages sonores de Lachrymal Heartflesh, son plus récent album. Nous touchant droit au cœur dès les premiers instants, les trois compositions portent une pureté et une sincérité hors du commun. Se rendant entièrement vulnérable au travers de sa musique, il nous fait le cadeau de nous amener avec lui dans cet exutoire d’une renversante délicatesse, faisant couler quelques larmes au passage.
Entre les douces et enchanteresses mélodies et les échantillonnages vocaux divins, notre esprit se perd au gré des notes qui y font écho. Les nappes sonores se superposent, nous faisant progresser au travers de cette expérience purificatrice, nous allouant du même fait le droit de nous reposer. Vibrant hommage rendu par Armand en sortant l’album lors de l’International Transgender Day Of Remembrance, Lachrymal Heartflesh canalise un message d’une importance capitale.
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Stefania Avolio | Natural Element
Paru le 13 octobre 2020.
→ Texte de Louis
Si vous ressentez le besoin de vous évader l’espace d’un instant, ne cherchez pas plus loin, Stefania Avolio vous servira cette précieuse dérive avec beaucoup d’amabilité et de tendresse. Derrière ses instruments, elle concocte un remède pour notre âme, un baume pour nos plaies; bien qu’intangible cette guérison semble pourtant bien réelle et apporte une sérénité profonde et fastueuse. L’artiste italienne déniche l’harmonie absolue entre son remarquable jeu au piano, ses mélodies électroniques égayantes et sa voix majestueuse, un équilibre difficile à atteindre, mais qui ne pourrait sembler plus naturel.
Ce vaste opus au potentiel de réécoute infini possède également la faculté de nous plonger dans un rêve éveillé, une projection onirique où les images défilent au gré de nos pensées, procurant un immense sentiment de bien-être. Cette propension à s’évader est intrinsèquement liée à la symbiose manifeste entre la musique et la nature, d’où le titre si évocateur de l’album: Natural Element. Dressant de stupéfiants paysages sonores et imaginatifs, la musicienne nous conduit dans ses aventures pittoresques. J’aperçois des papillons qui virevoltent, un ruisseau qui coule, des fleurs rayonnantes, un soleil éblouissant… bref, l’espoir d’un futur dans la simplicité et la réconciliation.
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Trucking To Tokyo | ashita no tengu
Paru le 13 novembre 2020 sur Eating Napkins.
→ Texte de Louis
Derrière l’imposant mur de son régnant sur ashita no tengu, se camoufle d’innombrables couches de bruit; mélodiques, abstraites et nuancées, ces bribes qui parviennent minutieusement à nos oreilles se font l’écho de quelque chose de grand, de magistral. La route sur laquelle Travis Smith nous mène avec ce nouvel album est parsemée de hurlements métalliques et de bourdonnements, tel un drone ample et grisant. Naturelle devient l’éventualité de se perdre au travers ces méandres méditatifs et de laisser à notre cerveau quelques instants de détente. Détrompez-vous, la musique de Trucking To Tokyo n’a rien de reposant en soi, elle grafigne, elle perturbe et elle comporte son lot de distorsion. Pourtant, sa méticuleuse construction lui confère un aspect candidement contemplatif. Spirale de décibels ou labyrinthe sonore fulminant, ashita no tengu subjugue par sa beauté.