[Recommandation] Chris Conde – Engulfed In The Marvelous Decay
Un entrelacs de voix qui tresse une mélodie complexe; un univers cotonneux, aux franges de la dreampop et du psychédélisme; c’est sur cette introduction onirique que s’ouvre Engulfed In The Marvelous Decay, la nouvelle livraison de Chris Conde. Le temps que s’éloignent les harmonies vaporeuses du morceau introductif, on est happé·e par le maelstrom musical de Mariposa, noiserap up-tempo porté par des percussions tonitruantes et un refrain imparable. Sans transition, l’artiste texan·e réveille le fantôme de Trent Reznor et déterre les drones industriels du vampire américain sur un Cancel Culture Blues au groove menaçant. Flow funambule et refrains incantatoires. Sur fond de guitares tranchantes, Conde exorcise leurs démons et ceux de l’Amérique homophobe, portant haut le flambeau de l’American Faggot, s’appropriant les insultes dont iel fut (est probablement encore) victime pour mieux les brandir à la face de ceux et celles qui les profèrent. C’est sur un final haletant, oppressant que s’achève ce brelan d’as, cet enchaînement d’uppercuts bruitistes qui ouvre l’album et laisse l’auditoire sonné, groggy, avec cette question: mais qui est cette personne?
Réponse: un phénomène! Car c’est peu dire que Chris Conde détonne dans le milieu du hip-hop. Ouvertement homosexuel·le, se définissant comme «thicc, queer Mexican», l’artiste de San Antonio au parcours chaotique ignore les genres et dynamite les chapelles. Sobre, débarrassé·e de leurs addictions depuis presque sept ans, Conde n’en garde pas moins les séquelles d’une construction douloureuse entre des parents militaires tôt divorcés, des changements de domicile incessants et un contexte que l’on imagine peu propice au développement personnel et à l’acceptation de soi. Modèle de résilience, l’artiste engagé·e souhaite délivrer un message positif ainsi qu’iel le confie sur son site internet:
J’ai passé un grand nombre d’années à essayer de me conformer: à essayer d’être hétéro, à essayer d’être mince, à essayer d’être sobre, à rechercher l’approbation des autres. Maintenant, je m’en fous.
Mission accomplie avec cet album combatif, véhicule idéal d’un militantisme affirmé mais qui n’exclut pas l’humour. Ni un certain classicisme. Les percussions minimalistes, les rythmes boom bap et les ambiances lo-fi de titres comme Okinawa, Re-Emerge ou Everyday évoquent l’âge d’or du hip-hop américain. Il y a du Eminem, mais aussi du Mos Def ou du Bone Thugs-N-Harmony chez l’artiste du Texas. Cette filiation nineties s’exprime particulièrement lorsque Conde ralentit le tempo, sort les pianos et que le groove lorgne du côté de la West Coast.
Mais les expérimentations ne sont jamais bien loin comme en témoignent l’instrumental ascétique qui sous-tend Seat At The Table ou l’incroyable Leaves qui convoque une chorale gospel au milieu d’un dojo. C’est, à vrai dire, à ce jeu là que Chris Conde est à son meilleur; lorsqu’iel bouscule les conventions et orchestre la rencontre des styles dans le fracas et le tumulte de ses productions. C’est là toute son originalité et son talent: ce subtil dosage qui leur permet de tenir sur la longueur, sans lasser, surprenant sans cesse l’auditoire par ses chausse-trappes et ses multiples contrepieds.
C’est encore sur l’un d’eux que s’achève ce grand album qu’est Engulfed In The Marvelous Decay, Sun, voyage astral qui sonne comme un écho au liminaire Light Repeating. Voix démultipliée, déluge de blast beats et synthétiseur seventies évoquent un départ vers quelque ailleurs rêvé, d’autres horizons assurément, voir, qui sait, des lendemains qui chantent?
→ À écouter si vous aimez : Ceschi, Dragons of Zynth & Moodie Black
→ Morceaux favoris : Cancel Culture Blues et Leaves
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Paru le 4 avril 2021 sur Fake Four Inc..
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