[Festival] FIMAV (2021) – Jours 1 & 2
Qui aurait pu prédire les chemins qu’emprunterait le FIMAV au cours des deux années? Après une édition assez robuste en 2019, l’édition extrêmement prometteuse de 2020 fut évidemment annulée pour cas de force majeure puis nous voilà maintenant de retour avec une première version strictement canadienne du festival, en près de quarante ans de services! Heureusement, la satisfaction de retrouver les salles de spectacles après plus d’un an d’absence supplante largement la petite déception personnelle de ne pas avoir pu voir et entendre cette année certains concerts américains et européens prévus pour l’édition précédente!
Jour 1
Pour son premier concert au FIMAV, Ayelet Rose Gottlieb a présenté une partie de son plus récent album, 13 Lunar Meditations, suivie d’une sélection de compositions issues de divers recoins de son œuvre musicale. Connue de plusieurs festivaliers et festivalières comme l’une des chanteuses du quatuor vocal Mycale qui interprète la musique de John Zorn, Ayelet Rose Gottlieb a amplement démontré avec son plus récent album qu’elle est aussi une compositrice hors pair. Les pièces de 13 Lunar Medications sont épatantes sur scène, appuyées par une section rythmique efficace composée d’Ivan Bamford et Stéphane Diamantakiou (tous deux membres du Eyevin Trio/Nonet et de Togetherness), la guitare fluide et riche de textures de Bernard Falaise et la voix et la viole d’amour de Jennifer Thiessen. Avec des arrangements audacieux et une délicatesse bien mesurée, le quintette navigue adroitement les compositions de Gottlieb qui sont vivantes et en phase avec ce qui se fait de mieux présentement dans le jazz contemporain. La voix de Gottlieb est toute en nuance, avec une puissance soufflante qui ne devient jamais trop «monopolisante», la force du groupe étant justement de mêler de façon hyper organique la voix et les instruments présents. En espérant que le groupe se produise de nouveau sur scène pour d’autres oreilles, car, comme premier essai, c’était exceptionnel.
© Photo: Martin Morissette – Ayelet Rose Gottlieb
Le deuxième concert de la courte journée de vendredi allait assurément offrir un contrepoids avec un peu plus de démesures et d’excès, pas que ce soit une mauvaise chose! En demi-cercle, Érick d’Orion (échantillonnages, électroniques, micro contact, ordinateur), René Lussier (guitare, daxophone), Robbie Kuster (batterie, scie chantante, steeldrum) et Martin Tétreault (tables tournantes, objets amplifiés, électroniques) ont créé une heure d’ambiances tonitruantes, de collages hétéroclites et de masses sonores pesantes. Everything but the kitchen sink aurait bien décrit la variété de pistes explorées et le tout s’est fait avec un mélange bien dosé d’écoute et de prise de risques. D’Orion et Tétreault ont brillamment conjugué leurs matières sonores à haut volume, démontrant qu’ils n’en étaient bien sûr pas à leur premier rodéo, ceux-ci ayant partagé la scène et le studio à plusieurs reprises. Se transformant à l’occasion en double duo, le groupe a aussi tiré profit de la richesse du langage parfois rock, parfois complètement free de René Lussier et Robbie Kuster. La proposition de musique improvisée du quatuor ad hoc fut rafraichissante, empreinte d’humour et d’essais-erreurs intrigants, en se tenant loin des clichés un peu machos auxquels nous ont habitué·e·s certaines grosses pointures européennes du free jazz. La musique improvisée libérée, énergique et dénuée de prétention comme ça, on en prendrait encore plus souvent.
© Photo: Martin Morissette – René Lussier, Érick d’Orion, Robbie Kuster et Martin Tétreault
Jour 2
La deuxième journée a démarré avec un solo de la pianiste Eve Egoyan à l’église Saint-Christophe-d’Arthabaska, à quelques kilomètres du centre-ville. Lieu privilégié par le festival pour la présentation de concerts acoustiques, l’église est une immense bâtisse toute en hauteur qui semble encore en service comme lieu de culte et dont l’acoustique est, peu surprenamment, assez réverbérante. Présentant une longue composition parfois un peu éparpillée de Maria de Alvear, la pianiste a tout de même démontré pourquoi sa réputation n’est plus à faire dans le monde de la musique contemporaine avec un jeu fluide, nuancé et empreint de fougue. Malheureusement, l’acoustique de la salle nous a sans aucun doute fait perdre certaines nuances de la performance d’Egoyan, ce qui m’a amené à me demander pourquoi donc la luxueuse salle du centre-ville, le Carré 150, n’avait pas été privilégiée. Malgré ces quelques accrocs, cette première présence de la pianiste torontoise au festival risque d’avoir conquis plusieurs spectateurs et spectatrices qui voudront, avec raison, explorer le vaste catalogue d’enregistrements publiés par Egoyan.
Peu de temps pour digérer l’offrande de 13h00 alors que débutait à 15h00 pile la troisième performance au FIMAV du GGRIL, le Grand groupe régional d’improvisation libérée, un collectif hétéroclite de musicien·ne·s issu·e·s du bas du fleuve qui comptait cette fin de semaine sur seize instrumentistes. Après avoir présenté un premier concert comme groupe puis une collaboration avec Ensemble SuperMusique et Olivier Benoit, cette troisième présence au FIMAV leur a permis de présenter quatre pièces basées sur des partitions non orthodoxes et des improvisations dirigées, titres qui composeront d’ailleurs un album triple à paraitre cet automne. Il n’y a pas à dire, la formation évolue et se métamorphose avec les années, ce qui fut particulièrement évident pour le morceau riche en tensions de Frédéric Blondy qui a été interprétée avec beaucoup de retenue et de gravitas. En grand contraste avec le monolithe sonore de la première pièce, la composition «Chances Are» de Lori Freedman, commandée par le GGRIL, a offert une occasion au groupe de jouer avec brio avec des configurations plus volatiles et davantage d’humour et de bruitisme. Les créations de Gus Garside et Caroline Kraabel qui bouclèrent le programme furent moins ma tasse de thé, davantage portées sur les jeux d’improvisation et l’improvisation dirigée, des processus qui, un peu comme les fameux game pieces de Zorn, semblent parfois plus stimulants pour les instrumentistes que le public.
Prenant les bouchées doubles pour contourner les restrictions du couvre-feu caquiste, le concert de 17h30 au Carré 150 réunissait deux performances plutôt qu’une, soit celles de Tamayugé et de thisquietarmy x Away. Tamayugé est l’un des duos les plus intéressants et innovateurs à avoir émergé de la scène musicale québécoise des dernières années. Le groupe propose une pop complètement éclatée portée par la voix et la présence très ludique de Maya Kuroki (également membre de TEKE::TEKE) et les mélodies toujours un peu triturées, voire désintégrées, émanant des séquenceurs et des échantillonneurs de Tamara Filyavich. Imaginez un peu si le groupe islandais KUKL avait suivi quelques cours à l’institut GRM puis avait tout lâché pour faire de la pop psychotronique avec du circuit bending et vous vous approcherez du portrait. Sur scène, le duo est drôle, déjanté et semble prendre des risques et sortir de sa zone de confort. À voir en concert mais aussi à écouter sur disque.
© Photo: Martin Morissette – Tamayugé
Après une courte pause, le duo de Michel Langevin (Away de Voïvod) et Eric Quach (thisquietarmy) s’est lancé dans une performance à haut volume pour batterie et guitare. Si l’album qu’ils ont réalisé dans la dernière année était parfois plus minimaliste, le concert a offert une version loud and proud, avec de grandes couches de sons et de basses fréquences émanant des trois amplificateurs de Quach tandis qu’Away prenait une place centrale, devant la guitare, pour peindre des motifs rythmiques répétitifs qui évoluaient progressivement. Si les collaborations de Langevin avec Martin Tétreault ou le quatuor de table tournantes se sont révélées intéressantes, force est d’admettre qu’il n’y avait pas toujours une chimie évidente entre les parties impliquées. Avec ce duo, le batteur jonquiérois navigue les eaux plus connues du krautrock et du métal et le résultat est fortement satisfaisant. Avec les atmosphères créées par Quach et sa panoplie de pédales d’effets, Away semblait contrôler avec minutie où le duo se dirigeait, accentuant ou relâchant la tension et calibrant la vélocité de la musique.
Le concert de 19h30 marquait la première mondiale du Chœur de Growlers, un projet pour quatorze chanteurs et chanteuses métal et bandes électroacoustiques. Le FIMAV a fait amplement de place pour les choeurs au cours des dernières années (Tanya Tagaq et le Element Choir, Phil Minton’s Feral Choir et la chorale Joker) et le Chœur de Growlers s’inscrit dans cette continuité. Dirigé par le compositeur Pierre-Luc Sénécal, le groupe a présenté la composition The Dayking avec comme invité le poète Fortner Anderson, la pièce Hate.Machine et diverses improvisations. Pour ma part, l’expérience m’a malheureusement plutôt laissé froid. Derrière le processus certes unique de réunir quatorze chanteurs et chanteuses de la scène métal de Montréal, les compositions présentées étaient tout de même plutôt orthodoxes et s’apparentaient à du métal industriel avec certaines influences death. Les courtes improvisations dirigées sont également tombées à plat, bon nombre de membres n’ayant pas d’expérience dans le domaine et la taille du groupe rendant le processus plutôt casse-gueule même pour une formation plus expérimentée. Néanmoins, la beauté du FIMAV est aussi de servir de lieu de rencontres entre diverses communautés et, en ce sens, le Chœurs de Growlers est un pont possiblement prometteur entre le monde assez large de la musique expérimentale et la communauté québécoise de death metal, de thrash metal et de métal industriel.