[Festival] FIMAV (2021) – Jour 3
Certains festivaliers et festivalières du FIMAV perçoivent la journée du dimanche comme étant la plus «exigeante» du festival, musicalement parlant. Souvent, les programmateurs y ont proposé davantage de performances de musique contemporaine et de jazz avant-garde et un peu moins de rock, de chansons ou de musiques folk d’ailleurs. C’était encore vrai cette année, avec un programme qui a présenté une offre artistique variée et de qualité.
Jour 3
Débutant la journée à 13h00 à l’église Saint-Christophe-d’Arthabaska, Scott Thomson a réussi à tenir le public dans sa main avec une prestation hypnotisante pour trombone solo. Si l’église était une embûche la veille pour les compositions jouées par Eve Egoyan, elle est devenue une actrice au sein des trois improvisations du tromboniste, celui-ci adaptant son jeu aux longues réverbérations offertes par le chœur et le déambulatoire de Saint-Christophe-d’Arthabaska. Ce qui fut immédiatement invitant dans le jeu de Thomson, c’est l’hétérogénéité des influences touchant au jazz ellingtonien, à l’avant-garde à la AACM et à de l’improvisation libre contemporaine. Celles-ci se mêlent d’une façon on ne peut plus organique, le tout avec un sens de la structure solidifié par des années de performances solos. À voir la réaction hautement enthousiaste des festivaliers et festivalières, je ne fus certainement pas le seul à être époustouflé par ce premier concert de la journée.
© Photo: Martin Morissette – Scott Thomson
En raison de l’annulation du concert de Kathleen Yearwood, le FIMAV a demandé à Bernard Falaise d’offrir lui-même une première partie à son projet Bascule en présentant un premier set solo pour le festival. Avec une fluidité égale à celle d’un guitariste comme Nels Cline ou Bill Frisell, Falaise s’est amusé à trafiquer son son, utilisant une panoplie d’effets pour créer et multiplier des boucles souvent créées en triturant les sonorités de sa guitare préparée. Ce fut un coup de maître de l’équipe de programmation, car la maîtrise de Falaise des techniques étendues et son habileté à créer des textures incongrues ont offert une expérience auditive unique pour les gens réunis au Colisée Desjardins.
© Photo: Martin Morissette – Bernard Falaise
Enchaînant directement avec la présentation d’un projet décrit comme une «carte blanche», Falaise a invité ses confrères Pierre-Yves Martel (basse électrique, pedal steel, xylophone, électroniques) et Jean Martin (batterie, xylophone, électroniques) à le joindre. Le trio s’est lancé dans une seule longue improvisation surtout abstraite et minimaliste. Le début de la performance était particulièrement réussi, s’approchant quasiment des sonorités ambiantes créées jadis par Robert Fripp et Brian Eno. L’approche des trois musiciens est demeurée stable tout au long de leur prestation, ceux-ci prenant le temps d’installer longuement des textures et des structures rythmiques plutôt abstraites. Bien que Falaise, Martel et Martin aient démontré l’étendue de leurs talents respectifs, Bascule a parfois semblé peiner à offrir des moments de synergie entre ses trois voix bien distinctes, un peu comme si on assemblait tant bien que mal trois performances solos.
Prévue pour 2020, la rencontre entre le Quatuor Bozzini, le saxophoniste Yves Charuest et le compositeur et contrebassiste Nicolas Caloia était l’une des affiches les plus prometteuses du programme de cette année et les six artistes n’ont pas déçu. La pandémie m’ayant permis de plonger dans l’œuvre enregistrée du Quatuor, j’étais donc bien intrigué de pouvoir les revoir sur scène. Pour débuter le programme, le Quatuor a présenté pour la première fois son interprétation de Four Invocations de Caloia, une composition féroce qui n’était pas sans rappeler son travail au sein du trio à cordes In The Sea et de son big band Ratchet Orchestra. Un des plaisirs de suivre un artiste au travers de ses divers projets est justement d’apprendre à connaître et apprécier son approche envers la composition et l’improvisation, en plus de pouvoir suivre l’évolution de celle-ci. En ce sens, Four Invocations s’inscrit à merveille dans le corpus de Caloia, alternant avec grâce entre les techniques étendues pleines d’intensité, une rythmique robuste et une structure peu orthodoxe. La composition Tautological responses to systemic redundancies du compositeur jef chippewa pour le saxophoniste Yves Charuest et le Quatuor Bozzini composait la deuxième partie du programme et fut aussi enlevante que la première, explorant les possibilités entre l’improvisation et la musique composée en se basant sur le langage très particulier que Charuest a développé comme improvisateur depuis son retour sur scène dans la dernière décennie. Étant fan du plus récent disque solo de Charuest, ce fut un grand plaisir d’entendre chippewa orchestrer une rencontre entre le saxophoniste et un Quatuor Bozzini en mode «réactif» face à la panoplie de sons incongrus émanant du saxophone de Charuest. Si Four Variations de Caloia fut plutôt dense, chippewa misa pour sa part davantage sur l’opposition entre l’action et le silence, avec une partition et des indications plus clairsemées. Pour boucler le programme de cet ultime concert au Carré 150, Caloia est venu rejoindre Charuest et les quatre membres du Quatuor Bozzini pour une courte improvisation. Le tout fut une première de grande qualité qui se classa, pour ma part, comme le plus beau moment du festival.
© Photo: Martin Morissette – Nicolas Caloia, Quatuor Bozzini et Yves Charuest
Bouclant les festivités entourant le 40e anniversaire de Productions SuperMusique, Joane Hétu, Diane Labrosse et Danielle Palardy Roger ont pris la scène avec l’Ensemble SuperMusique, leur ensemble à géométrie variable qui endisque depuis 17 ans déjà. Hormis quelques membres fondateurs comme le multi-instrumentiste Jean Derome, la percussionniste Danielle Palardy Roger, la chanteuse et saxophoniste Joane Hétu, la musicienne électronique Diane Labrosse et la clarinettiste Lori Freedman, le reste du groupe a constamment changé depuis ses premiers albums. C’est donc une version renouvelée et vigoureuse de l’Ensemble comptant sur de nouveaux visages comme le percussionniste Preston Beebe, la violoncelliste Émilie Girard-Charest et l’altiste Jennifer Thiessen, qui a interprété le contenu de ce concert-anniversaire. Présentant des compositions récentes de Derome, Hétu, Palardy Roger et de la compositrice et flutiste Cléo Palacio-Quintin, l’ensemble de douze instrumentistes a présenté l’un des concerts les plus mélodieux et posés qu’il m’a été donné de voir de la part du groupe. Dans une formation comptant sur bon nombre d’instrumentistes aux parcours impressionnants, Preston Beebe s’est particulièrement démarqué en injectant une bonne dose d’énergie et d’imprévisibilité à l’ensemble tandis que Jean Derome a épaté comme d’habitude avec son jeu pesant de saxophone baryton. Parmi les compositions, Creativitas Audacia Feminae de Palacio-Quintin a laissé la plus grande impression, entre autres grâce à l’utilisation de l’excellent trio de cordes de Guido Del Fabbro, Émilie Girard-Charest et Jennifer Thiessen comme ancrage harmonique et à l’utilisation d’arrangements audacieux pour les voix du groupe. Ce fut une finale qui a déjoué mes attentes tout en étant un choix approprié pour clore cette édition bien locale du FIMAV.