[Entrevue] Almeeva
La scène électronique française est l’une des plus bouillonnantes de la planète, les artistes de qualité y sont pratiquement incalculables. C’est pourquoi, après avoir reçu un premier courriel il y a quelques mois du musicien Gregory Hoepffner, nous avons eu l’envie de creuser un peu plus loin dans l’univers de l’une des étoiles montantes de cette abondante pépinière de talent.
Malgré sa participation dans de nombreux projets musicaux, incluant notamment la formation Kid North, nous allons nous attarder plus précisément à Almeeva, son éblouissant projet solo. Le plus récent album de sa discographie, intitulé Unset, a parfumé notre printemps par sa renversante efficacité et sa délicatesse rythmique. Il était donc primordial de partager cette alléchante découverte avec nos lecteurs, en espérant que vous éprouverez autant de plaisir que nous à l’écoute de ses créations.
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En faisant mes recherches pour l’entrevue, je suis tombé à la renverse d’apprendre que tu étais membre de la formation de hardcore/post-metal Time To Burn. J’ai écouté l’album Is.Land un nombre incalculable de fois à l’époque. J’aimerais tout d’abord que tu nous résumes le cheminement qui t’a fait passer d’une musique très violente et saturée à un projet électro beaucoup plus positif et dansant?
C’est fou et assez flatteur qu’on nous parle encore de cet album dix ans après! D’ailleurs, on s’est remis à jouer avec Time To Burn depuis l’année dernière, pour quelques concerts. Le changement d’univers est à la fois un vrai et un faux cheminement: il est faux, car j’écoutais déjà beaucoup de musique électronique à l’époque et je commençais à en faire (sous un autre nom que Almeeva) sans vraiment oser m’y plonger à fond. Il est vrai, car je suis passé d’un environnement où je pouvais faire autant de bruit que je voulais, avec un home studio dans une grande maison perdue au milieu de nulle part à un tout petit appartement parisien. Les moyens d’expression n’étaient donc plus du tout les mêmes, mais c’est quelque chose que j’ai voulu, donc il n’y a pas de hasard là-dedans. Peu importe le style, le plus important pour moi est d’arriver à faire une musique qui parle au corps et c’est passé assez logiquement par un côté plus «club» dans mes morceaux, mais je dois me battre encore contre mes vieilles habitudes trop cérébrales, qui tirent ma musique vers le côté «chiant» haha.
Ce bagage musical transparaît énormément lors de tes prestations avec Almeeva puisque tu y intègres fréquemment de la guitare, des percussions, etc. Est-ce important pour toi d’ajouter une autre dimension à la musique électronique avec ce genre d’instruments?
Oui, complètement. Je veux que ce soit avant tout un concert dans le sens «show» et non un «concert de musique électronique». Ce que tu dégages sur scène est LE message que tu transmets aux personnes qui sont dans le public et en tant que spectateur, je n’ai pas du tout envie de voir quelqu’un posé sagement derrière son laptop, avec juste le morceau studio que je connais déjà en super fort. Mon but sur scène c’est de me libérer et si possible de libérer aussi les gens devant moi. Il faut leur donner envie de bouger et c’est à moi de leur communiquer cela, via des sons et des mouvements. Ça rejoint effectivement l’attitude d’un groupe de rock sur scène, mais j’essaye d’y enlever tout le côté «posé» et d’en faire un truc plus communicatif, plus inclusif.
Ton nouvel album Unset est la troisième parution de ton projet sur l’étiquette InFiné. De quelle manière est-ce que cette étroite collaboration s’est-elle entamée?
Cela a commencé de manière assez idyllique: ils m’ont repéré eux-mêmes au moment de mon deuxième EP, au hasard de leurs recherches sur Bandcamp et Soundcloud. C’était drôle, car ils étaient persuadés que j’étais américain et ils m’ont donc écrit en anglais! La collaboration s’est faite très progressivement, déjà en se rencontrant «en vrai», puis via des mix et remixes et une participation à leur workshop annuel en 2013 (une résidence d’artistes où ils mettaient en commun des personnes qui ne se connaissaient pas du tout, avec une semaine pour créer un live). C’est une vraie famille, remplie de gens hyper talentueux et généreux, je me sens plutôt chanceux d’en faire partie.
Tu as d’ailleurs réalisé une magnifique vidéo pour accompagner le morceau Some Revelation. Qui est à l’origine de cette drôle d’idée de faire danser des smileys?
Hehe merci, l’idée vient de moi. Je voulais trouver un moyen de ne pas montrer les visages des danseurs, sans forcément les cacher de manière classique. Un visage, cela peut donner des aprioris et «connoter» différemment selon les personnes. Je veux que ma musique soit la plus ouverte possible, qu’elle soit un vecteur de libération, de communion et de plaisir. C’est ce que raconte de manière un peu absurde la vidéo, où tout est improvisé.
J’ai cru comprendre que ce n’était pas ta première expérience derrière la caméra, tu as également dirigé les vidéos de 4 Bells et Parallels. Est-ce que c’est quelque chose qui est important pour toi de réaliser également l’aspect visuel d’Almeeva?
Je réalise des clips depuis pas mal d’années, donc c’est plutôt logique que je m’occupe moi même de ceux d’Almeeva. C’est important pour moi de diriger la «vision», mais assurer la réalisation des vidéos seul m’amuse de moins en moins pour être honnête. Pour 4 Bells, je n’étais d’ailleurs pas seul, nous l’avons co-réalisé avec mon ami Nicolas Di Vincenzo, avec qui je fais aussi de la musique dans un autre projet. J’observe que le clip intéresse de moins en moins, même s’il est devenu un passage obligatoire. Je commence à être limité par le peu de moyens que j’ai pour faire des vidéos, alors je tente de contourner cela en m’amusant au maximum en les faisant. C’est ce qui m’amène à faire danser mes potes n’importe où, par exemple! Au moins, on passe tous une bonne journée au moment du tournage et c’est plus important que le nombre de vues que le truc va générer.
Une très étonnante reprise du classique What Is Love de Haddaway termine ton plus récent EP. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que tu proposes un cover sur l’un de tes albums. Qu’est-ce qui te plaît davantage dans ce travail de transformation de l’œuvre d’autres artistes?
Les morceaux que je choisis de reprendre sont une façon supplémentaire d’exprimer ma vision. Ce sont des morceaux qui m’ont accompagné à des moments importants de ma vie et qui expriment déjà parfaitement quelque chose que je n’aurais pas pu mieux créer moi même. J’essaye donc juste de me les approprier et de m’amuser avec, en gardant le message qui m’a touché. C’est toujours un plaisir de les jouer en live, voir les visages interloqués des gens qui reconnaissent peu à peu le morceau quand on arrive au refrain. La reprise de What Is Love était avant tout un test pour le live. Elle a tellement bien rempli son contrat qu’elle est devenue un «vrai» morceau, que je joue maintenant à chaque concert.
Par curiosité, y a-t-il une possibilité de voir le projet traverser l’océan Atlantique un jour pour une performance à Montréal ou en Amérique du Nord?
Pour le moment ça me semble encore trop ambitieux, mais l’envie est là. Si j’y vais un jour en vacances, j’essayerai de me caler une ou deux dates sur le continent.
Pour conclure, puisque ton ouverture d’esprit musicale ne fait absolument aucun doute. Je serais très curieux de savoir où tu te projettes musicalement dans une dizaine d’années, que ce soit avec Almeeva ou bien un autre de tes projets?
C’est compliqué d’imaginer autre chose, car j’ai déjà beaucoup de projets qui me comblent tous dans des styles différents. J’espère parvenir à réaliser au mieux cette vision de «musique libératrice», peu importe le genre. Je veux que ma musique soit évidente, qu’elle ait un côté irrésistible et magique, qu’elle t’arrache à tes soucis et qu’elle te fasse bouger, même si tu ne sais pas danser et si tu n’oses pas le faire. C’est déjà un gros programme!
Merci pour ton temps!
- Révision du texte par Geneviève Larouche.