[Festival] FIMAV (2019) – Jour 1 & 2
Le Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville est une institution de l’underground de renommée internationale, même si cela peut sembler être un oxymore. On ne peut que saluer le dévouement de cette organisation des Bois-Francs qui ne cesse de se renouveler et qui demeure toujours un lieu pertinent de découvertes sonores. La longévité du festival lui permet de toucher à une «niche» particulière, celle des artistes, groupes et ensembles qui ne tournent pas ou qui ne le font que très peu. En fouillant, il arrive souvent de constater que Victoriaville a eu droit à des concerts uniques qui ne sont passés que par New York, San Francisco ou Los Angeles.
Les dernières années ont vu l’ajout d’installations sonores au cœur de la ville, le tout programmé par l’artiste noise et improvisateur de talent Érick d’Orion ainsi qu’un programme de projections cinématographiques par le cinéaste Karl Lemieux, lui-même originaire de Victoriaville. Si plusieurs festivaliers ne se rendent au FIMAV que pour quelques concerts durant la fin de semaine, les diehards du Québec, du Canada, des États-Unis et même de l’Europe et de l’Asie profitent de la passe du festival pour explorer l’ensemble de ce qu’a préparé comme programmation l’équipe de Michel Levasseur. Une critique de l’ensemble de cette édition audacieuse de 2019 paraîtra ici en deux parties.
Jour 1
La présence vancouvéroise se fait sentir de plus en plus au cours des dernières éditions du festival. De grands ensembles par Gordon de Grdina, Tony Wilson et Lan Tung ont permis au public de découvrir des artistes aux parcours variés, dont la violoncelliste Peggy Lee qui a aussi fait sa marque au cours des dernières années en accompagnant l’énigmatique Mary Margaret O’Hara. Pour ouvrir sa 35e édition, le FIMAV a invité Lee à présenter «Echo Painting», un tentet formé pour la première fois pour le Vancouver Jazz Fest mais qui a aussi endisqué depuis. L’ensemble de Lee a offert une interprétation intéressante et en finesse de ses compositions récentes. Assez mélodieuses et jazzy, les diverses pièces auraient bénéficié d’un peu plus d’audace et de verve. Certains membres du groupe, dont la compositrice, se sont peu fait entendre au cours du concert et l’alternance entre les passages d’ensemble et les divisions en sous-groupes parut un peu contraignante, au détriment de la qualité des interprètes présents sur scène.
Bang on a Can est une institution de l’avant-garde new-yorkaise active depuis 32 ans. J’ai vécu une expérience totalement ésotérique il y a quelques années à New York en assistant à une performance présentée par l’organisation dans la cafétéria d’une tour de bureaux de Wall Street. Je ne m’en suis pas encore tout à fait remis. Pour ce premier passage à Victoriaville, le Bang on a Can All-Stars, un sextuor affilié à l’organisation, a présenté de courtes compositions commandées par le groupe à une panoplie de compositeur·trice·s travaillant les enregistrements de terrain dont les américains Christian Marclay et Steve Reich, le canadien Richard Reed Parry ainsi que les québécois·es René Lussier et Nicole Lizée. Il ne fait aucun doute que le sextuor est constitué d’interprètes aux aptitudes irréprochables, mais le choix des morceaux nous a offert un concert en dents de scie. Les compositions de Michael Gordon et Anna Clyne entre autres se sont rapprochées dangereusement du territoire «néoclassique» que j’abhorre particulièrement. Heureusement, les compositions plus provocantes et même empreintes d’humour de Christian Marclay et Nicole Lizée ont sauvé la mise. Tous deux avaient d’ailleurs travaillé leur proposition pour Bang on a Can en offrant une partition musicale largement basée sur des créations cinématographiques. Espérons entendre Lizée de nouveau au FIMAV dans les années à venir!
© Photo: Martin Morisette – Bang on a Can All-Stars
Political Ritual existe depuis quelques années, réunissant deux figures de proue de l’underground électronique/électroacoustique de Montréal, les compositeurs Félix-Antoine Morin et Maxime Corbeil-Perron. Ceux-ci sont également impliqués au sein des étiquettes de disques Microklimat et Kohlenstoff. La performance offerte à minuit par le duo a été à la hauteur des attentes, capitalisant sur le système de son massif du FIMAV pour offrir une expérience audiovisuelle physique et exigeante. La première partie du programme de Political Ritual nous a offert une pièce musclée avec des sonorités intrigantes et une rythmique vaguement industrielle, le tout bourré de basses fréquences monstrueuses. Plus en nuance, la deuxième partie du programme était davantage méditative, avec certaines mélodies en filigrane qui rappelaient le travail d’Angelo Badalamenti mais également des moments plus chaotiques bien appréciés. Si l’album de Political Ritual sur Ambiances Magnétiques m’a plu, force est d’admettre que la bête se démarque encore plus en live.
© Photo: Martin Morisette – Political Ritual
Jour 2
La journée de vendredi a débuté avec un duo européen formé de la joueuse de cor français Elena Kakaliagou et la pianiste Ingrid Schmoliner. La première réside à Berlin tandis que la seconde travaille à Vienne, les deux œuvrant autant dans le milieu de la musique contemporaine que de la musique improvisée. Ce mélange des deux familles musicales d’avant-garde a opéré à merveille, offrant une performance envoûtante et somme toute assez minimaliste. Le piano préparé de Schmoliner en particulier a proposé une expérience auditive hypnotisante, surprenamment éloignée des tonalités travaillées par David Tudor, Sylvie Courvoisier ou Charity Chan. Une belle découverte autant du point de vue compositionnel que dans l’interprétation de haut niveau.
À la suite de la performance du duo Kakaliagou/Schmoliner au Carré 150, il fallut se diriger vers le Colisée pour entendre le duo français réunissant les multi-instrumentistes Christophe Petchanatz et Émilie Siaut, soit Klimperei et Madame Patate. Un peu réticent au départ, j’ai été agréablement surpris par la chimie hors pair du duo qui conçoit de courtes chansons pop noise à l’aide de diverses techniques bruitistes et d’expérimentations sonores sur une dizaine d’instruments. Si l’utilisation d’échantillons et un côté plus ludique m’ont rebuté par moments, la finesse de leur jeu et la concision de leurs idées m’ont charmé.
Présentant pour la première fois un grand ensemble à Victoriaville, le compositeur montréalais Rainer Wiens a créé et dirigé une nouvelle œuvre pour treize musiciens. Contrairement à plusieurs grands ensembles de musique contemporaine/expérimentale, Birds of a Feather a réussi à éviter le grand piège des structures rigides qui amoindrissent trop souvent l’impact des compositions et la personnalité des interprètes. Il fut fascinant de découvrir la palette de son plutôt inhabituelle choisie par Wiens qui était façonnée par dix instruments à vent ou à cordes, le tout appuyé par une chanteuse, une personne électroacousticienne et le compositeur lui-même au kalimba. Résistant aux structures thème/solo/thème/solo/∞ comme aux mesures de temps traditionnelles, Wiens a offert une performance fluide et toute en nuance d’une œuvre époustouflante basée sur les chants d’oiseaux. L’ensemble en vint, avec une virtuosité impeccable, à être plus que la somme de ses parts.
© Photo: Martin Morisette – Rainer Wiens
FIMAV #35 a frappé fort en proposant ses deux programmes doubles qui incluent le roi de l’underground expérimental Keiji Haino. Pour ce premier concert, il s’est joint à la légende vivante Peter Brötzmann avec qui celui-ci collabore depuis plus de 20 ans ainsi que la guitariste pedal steel Heather Leigh. Leigh et Brötzmann ont d’ailleurs sorti plusieurs albums intéressants en duo au cours des dernières années. La rencontre des deux duos eut les résultats escomptés et même plus. Leigh a utilisé son pedal steel pour créer des bases mélodiques répétitives sur lesquelles Brötzmann a rajouté ses couches de son d’instruments à anche d’un volume et d’une intensité auxquels il a habitué les festivaliers. Fidèle à son habitude, Haino a souvent servi de catalyseur aux envolées du trio, interrompant les moments stagnants avec sa guitare, son suona, ses instruments électroniques ou encore sa voix. Impossible de ne pas être épaté par la vivacité de l’artiste japonais qui sera bientôt septuagénaire. Ce fut une rencontre réussie à tout point de vue et qui a surpris par ses moments de beauté.
En première partie, le contrebassiste Barre Phillips a tenu la foule du Colisée dans le creux de sa main tout au long de son set pour contrebasse solo. Pionnier de l’exercice, il s’est adonné à plusieurs improvisations minutieuses et fascinantes, débutant de façon plus mélodieuse avant de faire la démonstration de la richesse de son vocabulaire de techniques étendues. Une performance mémorable pour cet octogénaire qui joue depuis sept décennies maintenant.
Après un départ un peu lent, le FIMAV semble parti sur une lancée impressionnante et les douze concerts prévus en fin de semaine semblent bien prometteurs.
© Photo: Martin Morisette – Brötzmann, Haino & Leigh
- Révision du texte par Sandra.