[Scène locale] Wake Island – Born To Leave
L’album Born to Leave du duo libano-canadien Wake Island commence fort avec son titre éponyme: un rythme électro-percussif oriental, rapidement contrebalancé par des paroles en anglais dont les mots sonnent juste en 2021: «The world is changing/I feel insane/Sometimes I catch myself forgetting what is happening». La cadence est progressive, alternant des moments calmes et des passages dansants. Cette dualité lui donne un cachet passe-partout: le titre peut autant être joué en bar qu’en club.
Le deuxième titre, en français, est une bouffée d’air synthpop. Il nous fait penser à L’Olympia, du groupe libanais Wondergaap, aussi anglophone mais qui s’était essayé dans la langue de Molière. Dans Comme ça, là aussi des mots qui résonnent fort pour moi, Libanais, émigré, immigrant: «Je suis étranger dans mon quartier». Autant on est accepté voire apprécié partout, peut-on être chez soi quand on a plusieurs chez-soi? Quoi qu’il en soit, le titre est merveilleux, avec un ‘oud électronisé bien placé sans être superflu.
Deux autres pièces font le bonheur des Francophiles: un moment nostalgique avec Les Années 70: «On voulait vivre les années 70/et maintenant on vit tous en Amérique». Un son plus industriel, qui soutient les paroles plutôt que l’inverse. Nouvelle Vague, qui suit directement dans la tracklist, est un bonheur de synthés 80’s. Une mélodie vocale plus claire, qui va parfois dans les aigus, et une belle chanson en général: «On s’abandonne au temps qui passe/Lentement». La force de cette pièce vient du fait qu’on décide qu’est-ce qu’on en fait: on en sort le cœur plus vide, ou plus rempli.
Un autre morceau qui se distingue linguistiquement est Daya3. En argot libanais, le chiffre 3 représente une lettre et un son qui n’existent pas dans l’alphabet latin. Daya3 signifie «perte». «On marchait ensemble/un pied devant l’autre/on marchait ensemble/un pas en avant, dix en arrière» chante-t-il, pendant que l’instrumentale hyper dansante prend ses marques. Là aussi du beau, bon synthpop qui nous donne terriblement envie de revenir sur le dancefloor, de fermer les yeux et de se perdre dans les étoiles. Les mots pendant le bridge renvoient à cette thématique du Born to Leave: «On émigrait ensemble/d’une plage à l’autre/on volait dans le vent/on a tout laissé derrière».
Les autres pièces restent dans le cadre éctropop et oscillent entre synth qui fait bouger et pop qui fait planer. Last Ruins est un beau mélange des deux, avec là aussi une phrase qui fait sourire: «Love is everything» et un enchainement de «Your love» par-dessus l’instrumentale. Sleep 2.0 reprend un rythme percussif oriental. En plus des paroles, on est captivé·e par un back vocal hanté et enveloppant. BEY-YUL commence par un sample d’une phrase d’aéroport, qui demande d’éteindre tous les appareils électroniques. Ici aussi, une question d’identité: «I keep forgetting who I am/But I’m losing myself again/How long does it take to change?». L’instrumentale qui suit est complète, mais les hi-hat, dignes des plus beaux sons de techno industrielle, sautent aux oreilles. Comme le titre le suggère, même de Montréal, on est plongé·e dans les meilleurs clubs beyrouthins le temps de 4 minutes 26 secondes.
Cycles clôt l’opus en englobant toutes les influences qu’on y retrouve. Une voix robotique, un mot répété, un ‘oud, de l’industriel, un kick lourd, une multitude de synthétiseurs en cacophonie symbiotique, un bridge hypnotisant et une fin toute en douceur. Autant d’éléments qui font la force de cet album et qui donnent envie de le réécouter immédiatement. Sans tomber dans le sensationnel, Wake Island arrive à exprimer toutes ses identités et ses questionnements autour de ce mot qui est important pour tout le monde, mais spécial pour les Libanais·es binationaux·ales. On apprécie et dévore les neuf pièces à la maison, au parc ou en marchant, mais on a qu’une seule hâte: celle de pouvoir danser devant ce duo incroyable, le temps d’une soirée en fermant les yeux, pour oublier où l’on est et se rappeler qui on est.
→ À écouter si vous aimez : Charlotte De Witte, Chvrches, Hot Chip, Leny Müh & Sébastien Tellier
→ Morceaux favoris : Cycles et Nouvelle vague
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Paru le 30 avril 2021.
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