[Scène locale] Racine – Eve
Plus tôt cette année, le musicien Julien Racine nous a littéralement renversés avec la parution de son sublime album Des milliers de fenêtres. Cette perle de la scène québécoise a vu le jour en février dernier sur l’étiquette montréalaise Archipel Musique. À notre grand bonheur, il récidive déjà sur la maison de disques ontarienne Dream Disk Lab avec un fantastique EP intitulé Eve qui saura surprendre le plus audacieux des mélomanes.
Quelques secondes suffisent pour nous dérouter puisque nos repères s’effondrent aussitôt que le premier morceau résonne. Une multitude de sons nous encercle d’une manière très apaisante alors qu’ils virevoltent avec délicatesse dans l’atmosphère. Ce délicieux chaos mérite une dévotion totale de notre esprit, sans quoi, il serait trop facile d’échapper la moindre information sonore.
C’est un musicien en totale possession de ses moyens qui nous transporte pendant près de cinq minutes vers une cassure presque légendaire. Il n’est pas étonnant d’avoir eu la chance de le voir à l’œuvre lors de la plus récente édition du festival MUTEK Montréal, car il s’impose désormais comme l’un des projets les plus prometteurs de la bouillonnante scène montréalaise. Il serait difficile d’entamer un album avec plus d’éclats, c’est une composition d’une grande originalité.
Il faudra s’armer de patience pour la suite des choses, ce deuxième morceau progresse beaucoup plus lentement que son prédécesseur. Il se construit à petit feu à travers la multitude de couches qui se superposent minutieusement. La collaboration du musicien Justin Leduc-Frenette, œuvrant sous le pseudonyme Keru Not Ever, est rapidement perceptible. Il prête main-forte à Racine pour mener cette composition dans une tout autre direction. Voici un autre projet local sur lequel il faudra nous attarder très prochainement.
Contrairement à White Nike Stack, c’est un déluge auquel nous avons droit après avoir franchi le cap des cinq minutes. Un véritable déferlement de décibels vient nous décoiffer, une puissance à laquelle Julien ne nous avait jamais accoutumés sur ses précédentes offrandes. Cette déconstruction se poursuivra jusqu’à la toute dernière note, une finale qui perturbe, se rapprochant d’un noise envoûtant auquel nous n’avons d’autre choix que de nous abandonner.
Durant les treize prochaines minutes, votre cerveau aura beaucoup d’analyse à effectuer. Ce monolithique troisième titre propose un labyrinthe auditif des plus saisissants, naviguant au travers de bruits et de voix qui n’ont a priori aucun point en commun. Je présume que vous ne vous êtes jamais imaginé être au beau milieu d’une cérémonie occulte alors que des voitures de course bourdonnent autour de vous? C’est pourtant ce qui arrivera lors de l’écoute de Speed Deal Abîme, croyez-le ou non. J’ai rarement eu autant de difficulté à comprendre une composition et cette remarque n’est aucunement négative. C’est comme si nous lisions une histoire différente lors de chacune de nos nouvelles écoutes, la profondeur des éléments en place vous surprendra à chaque tentative.
Le dernier droit est finalement arrivé. Que devons-nous attendre de cette finale alors que les trois autres morceaux ont déjà entièrement dépassé les attentes? Peu importe ce que vous avez en tête, Racine livre la marchandise avec l’une de ses plus gracieuses créations. C’est un morceau d’une densité déconcertante sur lequel il est facile de déraper lorsque nous fermons les yeux.
L’effet que procure cette douche sonore sur mon corps me rappelle certains de mes titres favoris du pionnier canadien Tim Hecker, proposant une occupation pratiquement impeccable du spectre sonore. Certes, cette conclusion n’est pas aussi éclatée que l’ensemble du EP, mais elle se rapproche agréablement de l’album qu’il a lancé en début d’année. Cela plaira davantage aux amateurs de musique ambiante plus traditionnelle, c’est le morceau idéal pour découvrir son projet si ce n’est pas déjà fait.
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Paru le 1 novembre 2017 sur Dream Disk Lab.
- Révision du texte par Geneviève.