[Scène locale] Félix-Antoine Morin – Le jeu des miroirs de Kali
Si vous lisez assidument nos chroniques, vous êtes peut-être tombé récemment sur celle concernant l’excellent album du duo montréalais Political Ritual. Nous récidivons déjà dans l’univers de l’un de ces deux musiciens, le talentueux Félix-Antoine Morin. Cette nouvelle proposition solo est offerte dans le même genre de formule soit deux imposantes pièces de plus de vingt minutes. Le jeu des miroirs de Kali est sans contredit l’album le plus particulier que nous avons traité jusqu’à présent sur le site. Il se positionne à mi-chemin entre la bande sonore et l’expérimentation auditive. Préparez-vous pour un périple musical extrêmement imagé qui saura jongler avec votre perception des sons et des cultures.
1. Part 1
Il est très important de se documenter un minimum avant de se lancer dans une écoute dévouée de cette nouvelle parution de l’étiquette montréalaise Kohlenstoff. La simple lecture des quelques paragraphes descriptifs qui accompagnent l’album sur Bandcamp ou dans la pochette du CD est absolument nécessaire, sans quoi il sera très ardu de comprendre réellement le processus créatif qui se cache derrière l’œuvre. Ce que Félix-Antoine nous propose est tout d’abord un fascinant travail de captation sonore réalisé lors d’un long voyage dans plusieurs villes du nord de l’Inde. Le résultat s’éloigne à mille lieues de tous les standards musicaux auxquels nous sommes quotidiennement confrontés, comme si la ligne directrice de composition était en fait dictée par les divers personnages et ambiances sonores qu’il a ingénieusement su capturer.
Sans même y comprendre un traitre mot, j’ai trouvé extrêmement enrichissant de me laisser guider par les nombreuses voix qui surplombent cette première partie. Des souvenirs qui ne sont pas les miens faisaient surface dans ma mémoire tellement la véracité des sons était palpable. L’artiste parvient à nous convaincre d’avoir visité un lieu sans même y avoir mis les pieds, c’est quelque chose de très puissant voire presque surnaturel. Tout en restant très fidèle à l’origine des sonorités, il nous sert toutefois de grands moments musicaux avec une magnifique envolée vers la huitième minute ou encore avec la finale voilée d’un drone qui se fusionne parfaitement avec les balbutiements de la population indienne.
2. Part 2
La seconde partie s’entame sur une note funeste rappelant un élément marquant de son voyage: la mort. Cette fatalité est souvent palpable dans la musique du compositeur que ce soit par le biais des nombreux chants religieux, des bruits de mouches qui virevoltent, des crépitements des flammes issus des nombreuses crémations ou encore des aboiements de chiens sauvages qui règnent sur les nuits indiennes. Je n’ai trouvé aucune meilleure manière de décrire cette omniprésence que ces quelques phrases de Félix-Antoine Morin lui-même.
À la vue de tous, les corps y sont brûlés par centaines. Les cérémonies de crémation rythment les journées. Odeurs et sons de la mort, étrangement, font ici partie de la vie.
Cette spirale mortuaire explose à la moitié du morceau ramenant le tout vers une ambiance beaucoup plus calme et introspective. La dérive auditive nous transportera très lentement vers une finale où les mouches résonnent aussi bruyamment que des voitures de course. Le musicien transforme d’une main de maître les sonorités afin d’accentuer la vaste gamme d’émotions accumulées au fil des mois à l’étranger. Comme il le dit si bien: cet album se veut aussi être un carnet de voyage. Il considère difficilement que cette création lui appartient entièrement vu l’apport inconcevable de tous les animaux, lieux et personnages qui se sont hissés devant lui. Malgré l’inaccessibilité évidente d’une telle œuvre, je crois qu’il est terriblement important d’accorder une partie de son temps et une totale dévotion à des procédés créatifs aussi riches et pertinents. Cela fait partie de la mission principale de quiconque recherche à repousser les limites du son et à vivre une expérience qui restera gravée pour un long moment en soi. En espérant que vous tomberez sous le charme du jeu des miroirs de Kali aussi solidement que moi.
Pour acheter l’album, c’est ICI.
Paru le 26 janvier 2018 sur Kohlenstoff Records.
- Révision du texte par Geneviève.