[Entrevue] Lowebrau
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Voici finalement la dernière étape en prévision de notre célébration du 3 novembre prochain. Pour conclure la couverture des artistes qui se produiront lors de notre concert de deuxième anniversaire, voici une généreuse entrevue avec le musicien canadien Mark Lowe, mieux connu sous le pseudonyme Lowebrau.
C’est dans le confort de sa demeure qu’il a bien voulu répondre à nos questions à propos de son riche parcours musical et artistique. Fanatiques de musique électronique bruyante et parsemée de distorsion, vous serez certainement heureux·euses de faire la découverte de cet artiste extrêmement chaleureux et surtout bourré de talent. Bonne lecture, en espérant vous voir lors de notre soirée!
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Tu as grandi en Saskatchewan et tu as emménagé à Montréal à un certain point de ta vie. Pourrais-tu nous décrire comment était la vie là-bas et pourquoi tu as décidé de venir t’établir dans l’est du pays?
Il n’y avait pas vraiment de scène pour la musique que j’aimais en Saskatchewan. J’ai également passé 13 ans à Calgary avant de venir à Montréal. Il y avait une petite communauté de musique noise et expérimentale quand je vivais là-bas, mais ce n’était pas très vivant. La scène a peut-être grandi au cours des huit dernières années, mais je ne pourrais pas vraiment le confirmer. Mais quand j’étais là-bas, il n’y avait presque rien. Nous pouvions compter le nombre de musicien·ne·s électroniques sur notre main. C’est principalement pour cette raison que je suis venu à Montréal, mais aussi à cause de mes études, j’étais inscrit au programme de MFA à Concordia. Pour ce que je voulais faire à l’époque en 2011, Montréal était le choix idéal parce que, honnêtement, c’était facile, peu cher, et la scène musicale ici était bien plus active.
Quels éléments t’ont guidé vers la musique en général, mais aussi plus spécifiquement vers l’électronique, quand tu étais plus jeune?
J’ai toujours aimé la musique électronique et les sons bizarres depuis que je suis jeune. Je brisais mes jouets pour qu’ils sonnent d’une manière plus étrange et j’étais curieux de savoir comment ils fonctionnaient. J’étais inexplicablement attiré par la musique électronique. Peut-être parce qu’il s’agit d’un support aux possibilités infinies. Quand les premiers vidéoclips sont passés à la télévision et que j’ai entendu du new wave, j’étais comme «wow». C’était devenu une habitude d’écouter ça à la maison. Mon plus vieux souvenir de la première chanson électronique que j’ai entendue remonte à l’âge de 7 ou 8 ans. Un ami plus âgé m’avait mis ses écouteurs et c’était Rockit de Herbie Hancock. J’ai été complètement ébloui par le morceau. Je n’avais jamais rien entendu de tel auparavant. En Saskatchewan, c’était toujours du country, du métal ou du rock. Nous entendions rarement autre chose, en particulier dans les communautés agricoles. Si vous aimiez la musique électronique ouvertement, c’était presque comme si vous demandiez à être harcelé et intimidé. Les bandes sonores de films et le bruitage m’ont aussi beaucoup influencé quand j’étais plus jeune. Ils le font encore!
Parlons maintenant de ta musique. Cela fait plusieurs années que tu es à Montréal et nous pouvons te voir jouer fréquemment à travers la ville. Mais, l’une des choses qui me frappent le plus est l’absence de parutions officielles ou physiques. Y a-t-il une explication à ceci ou bien tu préfères simplement faire des prestations au lieu de lancer des albums?
J’aime vraiment jouer en live. J’adore le chaos et le défi que cela représente, son imprévisibilité. C’est plus excitant pour moi, mais j’aime aussi le processus de studio. Je pense que la raison pour laquelle je n’ai rien publié depuis quelques années est peut-être parce que je suis incroyablement indécis. Il est difficile de prendre la décision finale concernant ce que je vais offrir aux gens, c’est la chose la plus difficile pour moi. Je change constamment d’idées ou travaille dans différents genres et c’est tellement chaotique et ça n’a pas de sens à mes yeux. Donc, j’essaie simplement de donner un sens rationnel à tout ça avant de publier quelque chose. Parfois, j’ai le sentiment que mon matériel n’est pas assez bon ou ne représente pas ce que je veux transmettre, et parfois j’y réfléchis trop (c’est probablement un manque de confiance en moi?). J’ai lancé une cassette autoproduite en 2015. C’était dans le cadre d’une petite tournée que j’avais faite sur la côte ouest des États-Unis et que je voulais avoir un truc à vendre. Cependant, j’ai quelques pistes sur des compilations. La plus notable est sans doute la compilation Power Puerto Rico organisée par Danji Buck-Moore (anabasine) et Leticia Trandafir (softcoresoft) afin d’aider les victimes de l’ouragan Maria survenue à l’automne 2017.
Tu m’as déjà décrit ton processus créatif et c’était très fascinant, pourrais-tu expliquer plus en détails comment tu créer de la musique sur une base quotidienne?
Je pense que tout le monde peut dire la même chose, à savoir que leurs méthodes et leurs pratiques changent au fil des ans, même au jour le jour. À l’heure actuelle, j’utilise principalement le matériel avec lequel je joue en live; soit un échantillonneur MPC1000 qui séquence plusieurs synthétiseurs semi-modulaires différents tout en jouant des parties de percussion et d’autres sons. Parce que j’utilise un échantillonneur, je crée mes propres sons de percussion/batterie, des échantillons d’ondulation rythmiques et d’autres bruits qui deviennent les trames de fond pour mes pistes et compositions. Une grande partie de ma pratique consiste à enregistrer et à traiter des sons. J’échantillonne mes synthétiseurs, mes instruments défectueux, les circuits que je fais, du contenu provenant d’internet et des field recordings. J’entends des rythmes et des mélodies partout dans la vie, je ne fais donc qu’échantillonner, échantillonner, échantillonner, traiter, traiter, traiter, traiter. Il faut donc beaucoup d’écoute et ensuite je m’amuse avec les sons avant de passer à la composition et au séquençage.
Donc, du point de vue de la composition, ça se produit organiquement, je suppose, je ne cherche pas à forcer quoi que ce soit. Je trouve que le plus difficile, c’est quand quelque chose me vient à l’esprit et que j’ai l’idée d’une piste exacte puis que je tente de la transposer dans la réalité. C’est beaucoup plus difficile que lorsque quelque chose se libère organiquement des sons que j’utilise. C’est comme basculer entre deux modes de créations différents.
Il y a plusieurs facettes différentes à ta musique, tu as même certains projets qui sont beaucoup plus violents. Pourrais-tu nous en dire plus sur la manière dont tu trouves l’équilibre à travers tout ceci?
Cela dépend toujours de mon humeur. Parfois je veux faire de la musique dansante et à d’autres moments j’ai juste envie de faire du noise ou du EBM. Il m’arrive aussi de simplement vouloir jouer de la guitare. Cela dépend vraiment de l’humeur du jour. Justement, je jouais de la guitare dans un projet studio créé par mon ami Bruno (Hyena Hive et Maussade) et Jean-Sébastien Truchy qui s’appelait Moloss. C’est un genre de scream/grindcore, black metal avec des influences progressives (honnêtement c’est très difficile de mettre un genre là-dessus). Comme Jean-Sébastien a un horaire extrêmement chargé avec ses multiples projets et une vie de famille, nous sommes en pause indéterminée.
Écoutes-tu de la musique similaire à celle que tu conçois ou bien tu as besoin de prendre une pause des choses lourdes et bruyantes de temps à autre?
J’écoute beaucoup de choses différentes et honnêtement, j’aime écouter de la musique classique et du jazz le matin. J’écoute vraiment tout et je m’accorde généralement avec ce qui convient à mon humeur. J’aime principalement écouter de la radio en streaming sur internet comme NTS, Berlin Community Radio, n10.as, CKUT, le flux Soundcloud, Mixcloud et d’autres sites similaires. J’aime être surpris par les découvertes aléatoires. J’achète beaucoup de choses sur Bandcamp. Cependant, je n’ai pas beaucoup écouté ma collection de musique dernièrement, seulement quelques fois sur mon téléphone en marchant. Je pense que maintenant que l’automne et l’hiver sont à nos portes, je vais probablement écouter un peu plus en profondeur mes achats.
Tu participeras à notre concert de deuxième anniversaire le 3 novembre prochain à la Casa del Popolo et j’aimerais bien savoir comment tu te prépares pour tes prestations?
La majeure partie de ma préparation se fait à l’intérieur de moi-même. Je vais créer une ambiance linéaire dans ma tête au préalable. C’est plutôt un sentiment global qu’une traduction directe d’une création musicale. C’est un peu comme une histoire. Je veux introduire les sons doucement, puis ensuite prendre des décisions sur la manière dont je vais construire la suite, déterminer si le résultat sera fluide, s’il y aura un crescendo ou non, est-ce que je résous le tout de manière cohérente à la fin ou est-ce que je joue simplement des pistes séparées? En fonction des conditions, si je suis en ouverture de soirée ou non, cela dictera ma façon de réagir. La plupart du temps, seulement 50 à 60% des éléments sont coulés dans le béton avant que je me rende à la salle de spectacle. Il y a beaucoup d’improvisation. J’ai joué quelques fois où 90% de la performance était préparée et je me disais simplement: j’y vais! Mais il me manquait l’élément de spontanéité lors de ces occasions.
Lors de ma dernière prestation, l’ordinateur sur lequel figuraient toutes mes séquences est mort une semaine avant l’événement et j’ai dû refaire toutes les pistes en une semaine du mieux que je pouvais. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Lorsque vous jouez sur du très vieil équipement, vous devez vous y attendre. Ce spectacle était vraiment très improvisé. J’avais fait quelques squelettes pour cinq pistes, juste des rythmes de base avec lesquels j’allais travailler. Le reste était un mélange d’intuition, d’écoute et de ressentis.
Tu as eu une année particulièrement difficile pour plusieurs raisons. J’aimerais savoir comment cela a influencé ta musique. Est-ce que faire de l’art t’aide à passer à travers les moments difficiles?
Oui, c’était très difficile. Le plus dur, c’est que je ne voulais plus du tout faire de la musique. C’était la première fois de ma vie que je traversais une période aussi ardue et que je n’utilisais pas la musique comme thérapie pour m’aider à traverser tout ça. J’étais complètement paralysé, comme si je ne voulais rien faire, je ne pouvais rien faire. J’avais complètement perdu le contact avec la musique et l’art, honnêtement, c’est la période la plus sombre de mon existence. Récemment, j’ai recommencé à jouer et à créer de nouvelles choses.
Plus tôt cette année, tu as décidé de changer ton nom d’artiste pour ton véritable nom. Tu es maintenant officiellement revenu avec ton ancien pseudonyme. Qu’est-ce qui s’est passé en premier lieu et pourquoi es-tu retourné vers Lowebrau?
Je commençais à en avoir marre que les gens me considèrent comme le «noise guy» et identifient ce nom avec juste du noise. Ce n’est évidemment pas tout ce que je fais, je joue aussi de la musique expérimentale, techno et même ambiante. Je ne voulais surtout pas que les gens l’associent à simplement du noise. Je pensais proposer un autre nom uniquement pour la musique techno/dance, mais le plus difficile pour un artiste est de trouver un nom. Alors, j’ai décidé d’utiliser mon propre nom pendant un moment, mais ça ne me plaisait pas. Après avoir parlé avec des amis lors du spectacle que j’ai fait à la veille du Nouvel An l’année dernière et à d’autres occasions, ils m’ont dit d’en prendre possession, de faire ce que je voulais avec ce nom. J’ai réalisé qu’ils avaient raison et que j’étais Lowebrau. Comme je n’ai pas fait de sorties d’albums d’envergure, ça n’avait pas vraiment d’influence. Haha!
Tu as visiblement eu de la difficulté à convaincre Facebook de te laisser revenir à ton ancien nom. Comment y es-tu finalement parvenu et quelle est ta relation avec les médias sociaux?
J’ai dû harceler Facebook constamment jusqu’à ce qu’ils changent finalement mon nom. Après deux semaines, j’ai commencé à écrire des messages en lettres majuscules, leur criant que c’était ridicule. Ils disaient que les gens allaient être mélangés, mais pourtant Bandcamp et Soundcloud l’avaient changé instantanément…
Pour un artiste, il est important d’utiliser les médias sociaux. C’est l’outil principal que nous utilisons pour promouvoir nos spectacles et nos parutions. Comme tout le monde, je passe parfois trop de temps sur ceux-ci, mais récemment j’y suis de moins en moins. Je trouve Instagram divertissant, les «stories» sont amusantes et j’aime voir ce que mes ami·e·s font à travers le monde. Facebook est horrible, je ne l’utilise que pour suivre les concerts maintenant. Je ne vois plus l’intérêt d’avoir une page d’artiste sur Facebook. Si je partage un message, seulement dix personnes le voient, c’est comme être pris en otage et devoir payer une rançon pour toute forme d’exposition. Je me souviens que lorsque les pages Facebook ont commencé, c’était vraiment facile et tout le monde aimait et répondait. Maintenant, même si nous payons, ils ne le montreront pas nécessairement à ceux qui voudraient vraiment le voir, les algorithmes semblent essayer d’attirer des gens qui se foutent complètement de notre contenu. C’est un peu inutile à moins d’être déjà à un certain niveau de notoriété.
Tu es bien connu et respecté dans la scène. Nous pouvons te voir fréquemment dans les concerts ou encore en train de chevaucher ta moto à travers la ville avec Ginger Breaker. Qu’est-ce que cette ville représente pour toi et comment a-t-elle influencé ton évolution musicale?
Ha, je ne pourrais pas te confirmer ce détail! C’est difficile de dire exactement ce que Montréal a changé pour moi depuis que je suis ici, mais la ville elle-même a changé énormément. Voir plus d’artistes internationaux et visualiser différentes approches pour faire de la musique a certainement fait partie de mon évolution sonore.
La chose que j’aime le plus à Montréal, c’est qu’il y a toujours des gens qui emménagent ici et qui apportent de nouvelles choses à la scène. Chaque saison, il y a beaucoup de nouveaux jeunes qui viennent pour étudier ou pour d’autres raisons et de la nouvelle musique en découle. C’est intéressant. Tout a beaucoup changé depuis que je suis ici, les nouvelles personnes ne le verront pas nécessairement. Au cours des dernières années, nous avons perdu énormément. Nous avons perdu des salles de concert, des musicien·ne·s, des gens qui quittent, des organisateurs et promoteurs qui ont démissionné parce qu’ils vieillissent ou continuent leur vie autrement. Cependant, les gens essaient de continuer à combler les trous et j’ai l’impression que ça commence à reprendre forme tranquillement, mais il semble y avoir eu une accalmie pendant un moment. Je me compte chanceux d’avoir été ici au cours des dernières années de La Brique, ce fut le moment le plus instructif à mes yeux. C’était fou, des gens venaient de partout et des artistes incroyables y jouaient. C’était l’un de ces rares endroits où toutes les personnes de toutes les scènes se retrouvaient dans le même lieu. Les gens se présentaient à chaque événement parce qu’ils savaient qu’ils allaient voir quelque chose de différent. Ce n’était pas seulement un endroit pour faire des excès de toute sorte, il y avait toujours de la bonne musique et des personnes talentueuses qui expérimentaient avec les sons, qui collaboraient et partageaient des idées. C’était un point d’ancrage dans la ville pour la communauté et la créativité. Je ne ressens plus vraiment cette énergie dans les endroits où je suis allé depuis. Quelques personnes pensent probablement la même chose que moi, je suis heureux d’avoir pu en être témoin. Je suis un peu triste que les gens qui arrivent maintenant ratent ce moment important de la culture montréalaise. Je ne dis pas que ce n’est pas bien actuellement, mais ce n’est plus comme avant à mes yeux.
De nouvelles avenues s’ouvrent à présent, mais pas de la même manière. Il semble y avoir une homogénéité du son dans de nombreuses scènes de musique électronique à Montréal, ce qui peut parfois sembler ennuyeux. Peu importe le talent des gens, peu importe la qualité de la musique, quand vous arrivez à une soirée de 5 à 7 performances en une nuit et dont le son est identique, ce n’est pas très divertissant. Je tiens quand même à dire qu’il y a plusieurs nouveaux artistes dans la ville que j’aime vraiment beaucoup!
Terminons avec celle-ci, la saison de la moto est maintenant terminée, comment survivras-tu aux prochains mois?
Du bourbon. En fait, je cherchais des skis de fond aujourd’hui! L’hiver c’est le moment de s’isoler un peu; regarder une tonne de films, de séries, cuisiner ou faire beaucoup de musique. Je vais probablement faire tout cela. Travailler sur une prochaine parution qui sera solide. Revenir aussi du côté de ma passion pour l’art. Je ne suis pas beaucoup sorti l’hiver dernier, mais cette année, je veux faire de la raquette, du ski de fond, etc. Je dois être actif. Plus nous vieillissons, plus nous devons être actifs pour ne pas perdre la forme et l’esprit.
Merci pour ton temps!