[Entrevue] die ANGEL
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Dans la vie, il y a des défis que nous ne pouvons pas refuser et celui de réaliser une entrevue avec des vétérans de la scène musicale électronique comme Dirk Dresselhaus et Ilpo Väisänen fait définitivement partie de cette catégorie. Ayant marqué le monde de la musique avec leurs participations dans Pan Sonic et Schneider TM, le duo sera de passage à Montréal le 22 juin prochain dans le cadre d’une tournée nord-américaine de leur projet die ANGEL. Cette soirée chargée en décibels permettra au festival Suoni Per Il Popolo d’entamer sa dernière fin de semaine en force. D’ici là, pourquoi ne pas prendre quelques minutes pour en apprendre davantage sur ce fascinant projet et sur la vie des deux musiciens?
La plupart des gens vous connaissent pour votre implication dans les projets musicaux Pan Sonic et Schneider TM. Pourtant, vous collaborez ensemble depuis très longtemps au sein de die ANGEL. Comment avez-vous fait connaissance en premier lieu et comment décririez-vous la musique que vous faites ensemble?
Dirk: Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1998, alors que je travaillais pour Viva TV pour l’émission de télévision allemande Wah Wah et que nous avions interviewé Ilpo et Mika Vainio. Quelques mois plus tard, Pan Sonic et Schneider TM ont fait une tournée en Europe, car nous étions impliqués avec Mute Records à l’époque. À la fin de cette tournée, Ilpo et moi avions planifié un concert de noise improvisé qui se déroulerait l’été suivant à Berlin. Je ne pensais pas vraiment que ce serait un projet à long terme. À partir de ce moment, la conversation musicale a commencé et c’est ainsi que je décrirais notre musique.
Ilpo: Comme le mentionne Dirk, nous avions fait une tournée avec Pan Sonic et Schneider TM en Europe. Quand nous étions de passage à Rome, nous avions commencé à planifier un projet ensemble. Au départ, la musique se rapprochait beaucoup du noise, mais plus tard elle est s’est orientée vers le drone. Actuellement, je dirais que c’est plutôt des improvisations avec un peu de rythme.
Après votre concert de 20e anniversaire le 15 juin à Berlin, vous partirez pour une tournée d’une dizaine de dates en Amérique du Nord au cours des prochaines semaines en compagnie de Xambuca. Est-ce la première fois que vous faites une escapade de cette envergure de l’autre côté de l’Atlantique? À quoi pouvons-nous nous attendre de votre part à Montréal?
Dirk: Nous avons déjà joué quelques spectacles au Canada avec Angel. En 2004 au MUTEK Montréal, en 2008 au festival Send & Receive à Winnipeg et également une fois de plus à Montréal par la suite. Nous avons renommé le projet die ANGEL depuis nos deux derniers albums, en partie à cause d’une modification de notre style musical. Comme au tout début, nous jouons maintenant avec un système électronique modulaire et une guitare électrique modifiée et préparée en conséquence. Après une longue période où nous faisions principalement du drone, nous nous sommes réorientés vers des structures polyrythmiques autogénérées/semi-cybernétiques et nous utilisons des projections à partir de films qu’Ilpo a réalisées à partir de matériel tourné lors d’un voyage que nous avons fait en Laponie en 2017.
Ilpo: De mon côté, j’ai eu plusieurs tournées avec Pan Sonic en Amérique du Nord. Pour notre prochain spectacle à Montréal, nous allons faire des improvisations avec des machines électroniques et une guitare avec des effets.
Lors de votre passage le 22 juin prochain à La Vitrola, dans le cadre du Suoni Per Il Popolo, vous partagerez la scène avec une amie proche en France Jobin. Pouvez-vous nous décrire comment vous avez fait la rencontre de France plus tôt dans votre carrière et qu’est-ce que cela signifie pour vous de jouer avec elle durant le festival?
Dirk: France Jobin est une vieille amie que nous avons rencontrée lorsque nous avons joué pour la première fois à Montréal en 2004. Nous nous sommes vus environ tous les deux ans depuis cette période, souvent à Berlin. Nous parlons, mangeons, buvons et écoutons de la musique. Ce sera vraiment un plaisir de la revoir et de partager la scène avec elle à Montréal!
Ilpo: Exactement, je pense que nous avons rencontré France à Montréal il y a plusieurs années, fort probablement pendant le festival MUTEK si je me souviens bien. Ce sera vraiment génial de jouer avec elle!
L’an dernier, vous avez lancé votre 9e album intitulé Yön Magneetti Sine sur MirrorWorldMusic. À l’écoute de celui-ci, nous faisons face à une gamme sonore des plus étranges et originales créées par des instruments de votre propre fabrication. D’où vous vient cette fascination pour la création d’instruments atypiques et votre recherche constante de sonorités particulières?
Dirk: J’ai une guitare acoustique que je laisse au chalet d’Ilpo, je l’ai modifié et traité pour pouvoir faire une multitude d’effets en prévision de cet enregistrement. Ces dernières années, j’ai développé un style de jeu peu habituel avec cet instrument qui rappelle le travail avec un système modulaire. J’ai aussi fabriqué une guitare électrique personnalisée avec le fabricant de guitares Frank Deimel, nous l’avons appelé FireSchneiderTM’. Elle possède des caractéristiques particulières, il y a des micros spéciaux qui y sont rattachés, elle a des caissons sonores que je peux remplir avec des objets divers, je peux l’utiliser pour faire des percussions ou encore chanter. Pour moi, une guitare est en quelque sorte l’interface parfaite qui nous offre des possibilités infinies et surprenantes.
Ilpo: Pour celui-ci, je voulais construire un instrument de résonance à corde unique. À cette époque, j’écoutais beaucoup de musique Boukhara (en provenance de l’Ouzbékistan) et je voulais construire des instruments qui sonnent un peu de cette manière. J’avais le vieux métier à tisser de ma grand-mère qui était inutilisable depuis des années et j’ai décidé d’en utiliser une partie pour sa construction.
Ilpo, au cours des dernières années vous avez fait paraitre quelques albums solos sur l’étiquette Editions Mego. Un fort penchant vers la musique dub y est perceptible, est-ce que c’est une facette de l’électronique que vous préférez exploiter seul plutôt que dans un projet collaboratif? Est-il primordial pour vous de trouver du temps pour composer en solo?
Cette portion de ma discographie est plutôt mon impression personnelle de la musique dub. J’écoute beaucoup de dub jamaïcain des années 70 et mon but était de commenter cette musique en évitant d’utiliser des stéréotypes. Je respecte trop ce style musical et je ne voulais surtout pas en faire une copie conforme. Bien sûr qu’il est important de pouvoir créer et enregistrer de la musique de manière solitaire. J’ai justement réalisé un nouvel album durant l’hiver 2018-2019. Je n’ai joué aucun concert et je n’ai fait aucune collaboration non plus durant cette période.
Dirk, vous allez sortir un nouvel album avec Jochen Arbeit intitulé RA sur Erototox Decodings lors de la tournée avec die ANGEL. Comme ce n’est pas la première fois que vous travaillez ensemble dans votre carrière, que pouvons-nous attendre de ce nouvel album par rapport à vos précédentes collaborations avec lui et quelle est l’histoire derrière celui-ci?
RA a déjà été enregistré à l’hiver 2011-12 lorsque Jochen Arbeit et moi organisions ensemble la série de concerts d’improvisation mensuelle ATK (Aufladetechnische Konferenz) à la Kantine Berghain de Berlin. Nous avons invité des musiciens et des interprètes à faire des collaborations spontanées et c’est ainsi que les choses se sont passées. Il y a aussi Lucio Capece qui joue de la clarinette basse et Julia Kent au violoncelle sur l’album. Il s’agit donc essentiellement du premier projet que nous avons fait ensemble avant l’album ASS que nous avons réalisé en trio avec Günter Schickert, ce dernier a pourtant été publié plus tôt.
Vous avez souvent cité vos influences par le passé, mais j’aimerais bien savoir s’il y a quelque chose qui vous motive au quotidien et qui pourrait nous surprendre. Par exemple, des artistes (musicaux ou non), des films ou des styles de musique dont nous ne pourrions jamais imaginer la relation avec ce que vous faites?
Dirk: Depuis de nombreuses années, je suis passionné par la musique balafon du peuple Lobi de la région de Gaoua au Burkina Faso, que j’ai eu la chance de visiter en 2014. Je sortirai un disque (incluant un DVD) des enregistrements que j’ai fait de ce voyage, ce sera publié sur Edition Telemark. En général, il y a beaucoup d’influences et d’inspirations de toutes parts, comme le goût des aliments, par exemple.
Ilpo: Il y en a vraiment beaucoup. En cinéma: les films de Andreï Tarkovski et Sergueï Paradjanov par exemple. En musique: les musiques traditionnelles, la musique électronique plus ancienne, le blues, le rock, les compositeurs classiques, les diverses musiques africaines, etc. Lorsque j’étudiais en arts visuels, j’ai été très influencé par le suprématisme et le constructivisme russe et par Marcel Duchamp aussi. Même si cela remonte à longtemps, ce sont toujours d’importantes influences pour moi.
Durant vos vastes carrières musicales, vous avez eu l’occasion d’accomplir un très grand nombre de choses, mais il y a probablement encore au moins un rêve que vous n’avez jamais été en mesure de réaliser jusqu’à présent. Je serais très curieux de savoir ce qui reste à accomplir sur vos listes de souhaits?
Dirk: Mon prochain projet est de terminer un album de Schneider TM que j’ai commencé à enregistrer en 2008. Il poursuivra d’une manière ou d’une autre le contenu « pop » expérimental que j’ai créé il y a des années sur mes albums publiés par City Slang et Mute.
Ilpo: De m’asseoir sur le porche de mon chalet d’été, prendre une bonne bière et écouter la nature. Cette combinaison est toujours parfaite et je l’admire beaucoup. Ne pas avoir à faire quelque chose de précis est à mon avis la meilleure chose qui soit.
Merci de votre temps!