[Entrevue] Marilyne Lacombe – Taverne Tour
Maintenant implanté sur le Plateau-Mont-Royal et dans le Mile-End depuis cinq ans, le Taverne Tour est devenu un incontournable de la fin janvier. Autant par sa formule des plus unique que par sa programmation éclectique et diversifiée, le festival remplit les salles de l’avenue Mont-Royal et des rues Saint-Denis et Saint-Laurent durant trois jours. La cinquième édition se déroulant les 30 et 31 janvier ainsi que le 1er février permettra de voir en action plusieurs groupes de la métropole ainsi que des talents d’un peu partout en Amérique.
Pour en apprendre davantage sur cet ovni du paysage musical montréalais, nous avons rencontré Marilyne Lacombe, cofondatrice du Taverne Tour et également impliquée dans DISTORSION et Mothland. Bonne lecture!
Premièrement, tu es sans doute l’une des personnes les plus occupées à Montréal avec ton implication dans le Taverne Tour, DISTORSION et Mothland. Comment trouves-tu l’énergie pour monter simultanément des projets aussi ambitieux?
C’est clair que c’est une question de passion parce que je ne compte pas les heures et que je ne suis clairement pas payé à un tarif horaire. Pour moi, l’important est de participer au développement de la communauté et de la scène montréalaise. Ça fait cinq ans que nous bâtissons plusieurs projets, que nous organisons plein de choses intéressantes pour la scène et je pense que c’est vraiment de là que provient notre motivation. Ce n’est pas une question d’argent, mais plutôt de volonté parce que c’est une énorme charge de travail et il n’y a pas toujours la reconnaissance qui vient avec. C’est un travail qui se fait principalement dans l’ombre, car la plupart des gens ne savent même pas qui je suis.
Cette année marquera la cinquième édition, quelles sont les principales différences en comparaison aux premières moutures du festival? Trouves-tu cela plus simple à cause de l’expérience acquise ou bien le défi grandi constamment?
Ce n’est vraiment pas plus facile, en fait, je dirais que c’est de plus en plus compliqué. Le festival était minuscule à sa première année, il y avait seulement huit concerts dans huit tavernes différentes. Nous avions à peine deux ou trois spectacles par soir, c’était très minimaliste et très local. C’était principalement les habitants du Plateau-Mont-Royal qui sortaient dans leurs bars de quartier habituels. C’est ce qui résume l’an un du Taverne Tour et comme toutes les salles étaient pleines, nous voulions en faire davantage l’année suivante. Nous avons doublé le nombre de concerts et de salles pour la deuxième édition et la structure s’est complexifiée. Nous avons encore une fois doublé le total d’événements pour la troisième année, passant de huit, à vingt, à quarante spectacles.
L’an dernier, nous en avons fait une soixantaine et c’est sensiblement le même nombre que pour l’édition actuelle. Nous avons décidé de garder la structure similaire parce que nous croyons avoir trouvé la quantité idéale pour ce que nous voulons faire avec le festival. Notre objectif n’est pas d’offrir une trop grande quantité de choses, nous voulons plutôt miser sur la qualité de la programmation. Pour en faire plus, il faudrait étirer notre budget et nous ne pourrions pas payer les groupes comme nous le faisons actuellement. Nous préférons en faire moins, mais que tous les artistes soient bien reçus et payés convenablement.
Nous aurons quelques nouveautés cette année incluant la présentation de Pop-Up shows dans les magasins Aux 33 Tours et Prohibition. Sinon, nous proposerons quand même une dizaine de spectacles supplémentaires par rapport à l’année précédente. C’est évident que la logistique derrière le festival est beaucoup plus complexe qu’au départ. Par exemple, je n’ai pas vu une seule prestation lors de la quatrième édition. Cette année, le but n’était pas de grossir, mais plutôt de mettre l’accent sur l’organisation et l’amélioration de la logistique. Notre équipe est plus nombreuse, nous avons investi dans cet aspect pour éviter que je sois en train de courir dans tous les sens.
Je dirais que l’élément qui a changé le plus par rapport aux dernières années est l’évolution de notre audience. Les premières années faisaient sortir les résidents du quartier, mais pas nécessairement les habitués des salles de spectacles. Même si je suis constamment dans des concerts, je ne reconnaissais personne dans les événements, c’était agréable de voir ça, mais ça démontrait qu’il y avait un certain manque comme c’était très local. Nous avons accès à de nouvelles statistiques pour l’édition actuelle, car nous pouvons voir la provenance des gens qui achètent des billets. C’est plaisant de constater que plus du quart des ventes provient de l’extérieur de Montréal, c’est énorme pour nous parce que nous avons toujours été à vocation extrêmement locale. Nous vendons beaucoup de billets dans un rayon de deux heures de la ville, mais juste le fait que ce soit des personnes qui n’habitent pas sur l’île est génial. Nous avons aussi des acheteurs un peu bizarres qui proviennent de Saskatoon, de la Californie et même de la France. Nous nous demandons parfois comment ils ont entendu parler du Taverne Tour, mais nous sommes très contents que l’audience évolue en dehors du cadre initial.
Crois-tu que le succès du festival est lié à sa formule unique? Le fait d’occuper presque tous les bars d’une portion de la ville est peut-être l’élément qui attire les gens d’ailleurs?
Je crois surtout que le creux hivernal est la principale raison de cette popularité, car c’est une période de l’année assez calme. Après le temps des fêtes, il y a une forme de morosité qui s’installe. Les gens sortent moins de chez eux, ils ont moins d’argent, il fait froid et on en a marre. C’est vers la fin du mois de janvier que le public commence à se dire qu’il devrait ressortir à nouveau. C’est en plein à ce moment que nous arrivons avec une offre très éclectique et remplie de découvertes, ce n’est pas un festival qui veut plaire à la majorité. Je crois qu’il faut une curiosité musicale développée pour vouloir vivre la véritable expérience du Taverne Tour.
Est-ce que c’était un choix volontaire de mettre le festival à cette date et de vouloir commencer l’année en force?
C’était clairement la base de l’identité du festival, de faire ça au beau milieu de l’hiver où il ne se passe presque rien. Le paysage musical a quand même changé un peu depuis l’année où nous avons lancé le festival. La plupart des groupes faisaient leur lancement à l’automne, au mois de septembre ou octobre. Maintenant, nous voyons de plus en plus de lancements en janvier et février parce que l’automne est extrêmement saturé. Les groupes ont eu la même idée que nous, de profiter d’une période plus tranquille musicalement pour éviter la compétition et la surdose d’événements. Nous bénéficions beaucoup de cette situation cette année, car je crois que nous avons une dizaine de lancements sur les trois jours.
C’est étrange, parce que je déteste l’hiver et je suis la première à rester chez moi en général, mais ça me donne une raison de sortir et d’accomplir quelque chose. En fait, l’idée de base vient de cette volonté de m’activer au beau milieu de la période froide de l’année. L’aspect intimiste des concerts et la chaleur de se retrouver en petits groupes nous permettent d’oublier ce détail pendant quelques soirées. Nous voulions faire l’inverse de l’Igloofest par exemple, c’était absolument hors de question de le faire en extérieur!
Est-ce que ce fut difficile durant les premières éditions d’approcher les bars et les établissements pour vendre votre projet?
Au départ, il a fallu faire beaucoup d’éducation sur ce que ça représentait d’organiser un concert. Si nous excluons des endroits comme l’Esco, la Casa del Popolo et la Sala Rossa, qui sont habitués d’accueillir des événements musicaux, tous les autres diffuseurs avec qui nous sommes associés pour faire des soirées ont eu besoin d’apprendre comment ça fonctionnait. Ce n’est pas tout le monde qui est habitué de recevoir des groupes de musique et qui comprend la logistique reliée à ça. Ce qui est bien avec notre festival, c’est le service presque clé en main que nous offrons aux bars. Nous arrivons avec notre personnel, notre équipement et nous nous occupons de la promotion, ils n’ont rien à faire sauf d’ouvrir la porte!
Cette méthode de fonctionnement nous permet d’éviter de leur mettre une charge de travail sur les épaules et diminue les attentes que nous avons envers eux. Nous tenons à leur offrir ce support, car c’est un événement qui demeure soutenu financièrement par les commerçants de l’avenue Mont-Royal, des rues Saint-Denis et Saint-Laurent. Il y a des bars qui font partie de l’aventure depuis trois ou quatre ans et avec lesquels nous commençons à avoir une plus grande facilité et nous savons que tout se déroulera à merveille. Dans les premières années, il y avait beaucoup plus d’incompréhension et de problèmes de communications, nous ne savions pas toujours à quoi nous attendre.
Nous avons raffiné le processus afin d’être certains que quand un bar s’engage avec nous, il sache dans quoi il s’embarque et qu’il connaisse nos attentes envers lui. Avec les années, tous les bars qui acceptent de faire partie du Taverne Tour semblent avoir une bonne expérience et ils reviennent l’année suivante. Ça facilite grandement les choses quand ça fait plusieurs années qu’une collaboration existe. Je pense au Boswell par exemple où c’est complet chaque année. C’est intéressant pour les commerçants, parce que c’est une période habituellement difficile en termes de revenue pour les bars et les restaurants.
Tu sembles avoir beaucoup d’expérience en organisation, j’étais curieux de connaître ton parcours. Comment as-tu commencé à monter des événements et te souviens-tu du premier spectacle que tu as organisé dans ta vie?
J’ai commencé l’organisation quand j’étais vraiment jeune, je pense que j’ai fait mes premiers spectacles quand j’avais 16 ou 17 ans. La première chose d’envergure que j’ai faite était la fête de la Saint-Jean-Baptiste au Parc Pélican qui est devenu ensuite l’Autre Saint-Jean. C’est de cette manière que j’ai fait mes débuts dans ce monde et que j’ai pu prendre de l’expérience avec un événement majeur, j’ai participé à ce projet durant cinq ans. Ensuite, je me suis retirée pour faire autre chose, j’ai travaillé en agence sans m’impliquer dans le domaine musical pendant un long moment. Quand j’ai quitté l’agence, j’ai décidé de fonder la compagnie Taverne Tour avec la personne avec laquelle j’organisais l’Autre Saint-Jean à l’époque. Par la suite, DISTORSION est né de ma rencontre avec plusieurs personnes reliées à l’Esco.
Tu es sans doute la personne qui profite le moins du festival, comment Marilyne vit-elle son Taverne Tour?
Je dois courir dans tous les sens! À chaque fois que j’entre dans un bar, je vais directement à la console pour brancher mon téléphone afin de récupérer un petit 5% de charge pour réussir à me rendre dans le prochain lieu. C’est la principale difficulté avec ce festival contrairement à un événement comme DISTORSION où je peux voir tout ce qui se déroule au même moment. Avec le Taverne Tour, c’est plus stressant comme je ne peux pas être partout et superviser ce qui se passe. Je tente d’aller faire un tour dans la majorité des salles, mais finalement mon rôle est d’éteindre les feux qui proviennent de toutes les directions.
Nous avons une plus grande équipe qu’avant, mais nous ne sommes pas encore rendus au point où je peux payer quelqu’un dans chaque salle pour être certaine que tout ira bien. Espérons tout de même que ça me permettra de pouvoir faire le tour des salles sans avoir à gérer mille et un problèmes, mais plutôt de profiter un minimum des spectacles. Je programme des groupes que j’adore, je suis très proche de la programmation du Taverne Tour, c’est presque personnel dans un sens. De pouvoir en profiter cette année serait mon plus grand souhait.
Est-ce que l’équipe de programmation du festival est assez grande?
Nous sommes trois chez Mothland, Philippe Larocque, Maxime Hébert et moi. Phil me donne un très bon coup de main avec les premières parties. J’aime la musique assez nichée, mais Phil l’est encore plus que moi, il me donne un excellent soutient sur cet aspect de la programmation. Sinon, il y a aussi Pierre Thibault, mon partenaire de l’époque, qui est aussi propriétaire de la Taverne Saint-Sacrement, il nous aide un peu lui aussi, mais je dirais qu’un bon 80 à 85% provient de mes choix.
Est-ce qu’il y a un ou une artiste que tu es particulièrement fière d’avoir réussi à attirer cette année?
Föllakzoid! C’est pour moi une réussite parce que c’est un groupe du Chili qui n’est pas en tournée, qui vole directement vers Montréal pour venir jouer à l’Esco un 1er février, c’est particulier. Ils sont vraiment gentils de faire ce long voyage pour venir jouer un seul spectacle. C’est en quelque sorte mon trophée de l’édition 2020! Il y a aussi Deerhoof, je l’oublie parce que c’est la première formation que nous avons programmée et ça fait tout de même longtemps. Dans le cas de Föllakzoid, nous avons conclu ça à la dernière minute, mais ce sont deux groupes que j’adore personnellement et que je suis extrêmement fière d’avoir sur le festival.
Est-ce qu’il y a un groupe de rêve que tu aimerais faire venir lors des prochaines éditions?
Il y a un groupe que je contacte chaque année pour le DISTORSION et pour le Taverne Tour, c’est Lightning Bolt! Je suis vraiment fatigante avec ça, car je parle constamment à leur agent en espérant que ça arrive un jour. Ce projet reste tout de même accessible parce que nous pourrions nommer des groupes complètement irréalistes, mais si nous restons logiques, c’est un artiste que nous pouvons nous offrir et qui pourrait potentiellement venir à Montréal si nous continuons à leur parler.
Est-ce que parallèlement à toutes ces implications, tu as aussi du temps pour faire de la musique?
J’ai eu une très courte carrière musicale comme batteuse dans un groupe qui s’appelait Mermaids. C’était au moment où j’avais recommencé à naviguer dans le domaine de la musique et que le Taverne Tour commençait à prendre forme et puis rapidement j’ai dû mettre ça de côté parce que j’étais meilleure derrière la scène que sur celle-ci. Même si je n’ai pas le temps d’en jouer, je baigne littéralement dans ce milieu-là, mes ami·e·s sont musicien·ne·s, mon chum est musicien, bref je suis entourée de ça en permanence.
Pour conclure, pourrais-tu nous faire quelques suggestions d’artistes à ne pas manquer et qui passent selon toi sous le radar? Y a-t-il des incontournables dans la programmation?
C’est évident que j’encourage les gens à soutenir les groupes locaux, mais nous avons aussi la chance d’en avoir quelques-uns qui viennent de l’extérieur du Québec, des États-Unis et même de l’Amérique du Sud cette année. J’ai parlé de Föllakzoid plus tôt et pour moi c’est vraiment le concert à ne pas manquer du festival. Il y a aussi SESSA, un artiste brésilien qui vient au Taverne Tour et qui jouera à la Casa del Popolo. Il propose un genre complètement différent, ce sera quelque chose de plus relax, du folk tropical.
Il ne faut pas oublier Material Girls qui viendra en voiture en provenance d’Atlanta pour l’occasion. Ils feront quelques concerts sur la route, mais ils viennent spécifiquement dans le cadre du Taverne Tour. Ils font du glam rock avec beaucoup de costumes. Nous avons d’ailleurs une commandite de la part du Grand Costumier. Ils s’y rendront avant le concert pour faire le plein en compagnie des Breastfeeders, ça risque d’être une soirée vraiment très colorée!
Nous sommes chanceux d’avoir pu attirer une bonne dizaine de groupes provenant de l’extérieur cette année. Même s’ils feront pour la plupart quelques arrêts durant leur trajet vers Montréal, nous sommes l’élément déclencheur de ce parcours. C’est très rare que des groupes en tournée s’ajoutent au Taverne Tour, c’est généralement l’inverse qui se produit.
Merci pour ton temps!