[Entrevue] costă
Les découvertes inattendues sont parfois les plus savoureuses. Cette affirmation s’est rapidement validée lorsque nous sommes tombés sur l’excellent album Rêveries le mois dernier. Cette toute première parution du producteur français costă, désormais installé au Québec, nous a séduits par son authenticité et sa diversité. Que vous ayez un penchant pour la house, la musique expérimentale ou encore l’électro minimal, vous y trouverez votre compte au travers des neuf ingénieuses compositions. Il était alors impératif de lui poser quelques questions afin d’en apprendre davantage sur son histoire et sur ce sublime disque. Bonne lecture!
Ton premier album a vu le jour en août dernier, mais le résultat transpire pourtant l’expérience et démontre une maîtrise exceptionnelle des rythmes et des ambiances. À quoi ressemble le parcours musical qui t’a permis de te rendre jusqu’à la création de Rêveries?
Merci! J’imagine que j’ai entendu mes premiers rythmes dans le ventre de ma mère, aha! En fait, créer cet album, c’était pour moi la suite logique d’un long processus.
J’ai commencé par être exposé à la musique qu’écoutaient ma famille et mes proches. Beaucoup de choses différentes, des Doors à Gorillaz, en passant par IAM, Miles Davis, ou encore Pink Floyd. J’ai appris la batterie de manière autodidacte vers 18 ans, et j’ai joué dans une formation pop-rock avec mes amis pendant environ deux ans. On répétait dans le garage de la pianiste, Justine! Ce sont de beaux souvenirs. J’étais étudiant en architecture à l’époque, et même si ce n’est pas la voie que j’ai choisie, je peux constater des liens étroits avec la façon dont je crée ma musique aujourd’hui. La première fois que j’ai été introduit au son électronique dans un cadre «propice», c’était dans une grosse soirée dubstep, en club. Le son prenait une nouvelle dimension, non seulement je l’entendais, mais je le ressentais physiquement aussi. Ça m’a donné une sorte de déclic, je crois. À 20 ans, je commence donc à mixer dans ma chambre, puis, environ un an après, je fais mes premiers DJ sets. Je continue cette pratique, mais je me focalise davantage sur la création, sur mon identité sonore et sur l’apprentissage de nouvelles connaissances techniques. Mes goûts se sont précisés au fil du temps, et aujourd’hui je suis amateur d’ambiances minimalistes, texturées, atmosphériques et expérimentales; des choses assez nichées.
Je produis depuis environ quatre ans, mais c’est seulement depuis deux ans que je fais ça de manière régulière. Depuis le jour où j’ai décidé d’acheter Ableton et d’arrêter d’utiliser la version piratée, aha! Enfin, il y a un an environ, j’ai participé à une retraite de production musicale, avec une vingtaine d’autres producteurs. C’était organisé par Jean-Patrice Rémillard (Pheek) – chez qui j’ai d’ailleurs pris quelques cours de production – et Frédéric Gouin. Trois jours dans un chalet à faire de la musique, à échanger nos connaissances, à suivre des conseils et à écouter d’autres choses. De la bombe! C’était vraiment une ambiance motivante et c’est là que je me suis dit «je vais commencer mon premier album». C’est cette retraite qui a motivé ma décision. Huit mois plus tard, je sortais Rêveries et je suis bien content de me remémorer le parcours qui m’a mené jusqu’ici.
Originaire de la France, tu es maintenant basé au Québec depuis quelque temps, plus précisément au Saguenay. Comment en es-tu arrivé à prendre cette direction et comment trouves-tu ton expérience en région québécoise jusqu’à présent?
Après mes études d’architecture, j’ai changé de voie pour m’orienter vers une formation dans les métiers du multimédia. J’ai eu l’opportunité de pouvoir finir ces études ici, au Saguenay. C’était la seule université qui donnait les cours appropriés pour ma formation, alors je n’ai pas vraiment eu le choix, si ce n’est que celui de partir ou de rester en France. Et je suis parti! J’avais envie de changement et de sortir de ma zone de confort, d’essayer du nouveau. Mon séjour ici s’est très bien déroulé, et j’ai apprécié la manière avec laquelle les choses sont arrivées, naturellement. Au début, je ne pensais pas forcément rester, mais à la fin de mon semestre, j’ai réalisé mon stage de fin d’études au Centre d’Expérimentation Musicale. Maintenant, j’y travaille en tant que producteur de contenus. J’ai donc décidé de m’installer ici et de continuer à développer ma carrière professionnelle et artistique ici. Ça aurait été bête de renoncer à tout ça! J’apprécie le Québec notamment pour son ouverture aux pratiques artistiques, pour les opportunités plus nombreuses qu’en France et bien évidemment pour toutes les amitiés et connexions que j’ai développées avec le monde d’ici.
© Photo: Gwano
Ta musique ne démontre aucune urgence, elle respire et n’a pas peur de prendre des directions expérimentales. D’où te viens cette passion pour les explorations sonores un peu plus champ gauche comme sur les morceaux Simple complexe et Dots in Space par exemple?
Quand on se focalise sur le son, c’est vraiment incroyable de se rendre compte de la précision avec laquelle notre oreille est capable d’interpréter un espace, une ambiance, un phénomène. Pour la petite histoire, j’aime me balader avec mon enregistreur dans la poche et capter ce qui m’attire, que ce soit dans la rue, dans la nature ou dans des espaces clos. Un jour pluvieux, j’attendais un ami pour aller marcher et j’ai croisé une terrasse de bois sur laquelle des centaines de gouttelettes d’eau tombaient. C’était comme un orchestre miniature, naturel. C’est juste ça à la base, Simple complexe: un enregistrement de gouttelettes. De retour chez moi, je me suis amusé à triturer ça et à mixer cette expérimentation en binaural, donc elle s’apprécie encore mieux au casque!
En fait, je crois que c’est une volonté de construire un univers qui essaie de sortir un peu des sentiers battus et d’explorer des façons moins conventionnelles de faire du son. Capter la nature, c’est aussi une façon de l’intégrer dans ma musique, même si sa place n’est pas toujours prépondérante dans ce que je fais, c’est important pour moi de l’incorporer d’une façon ou d’une autre. On est trop habitués à vivre dans le bruit et dans les nuisances sonores. Vivre ici, c’est un moyen de se ressourcer et de redécouvrir le calme et la bienveillance de la nature; c’est juste magistral de se balader en forêt, ça fait du bien, c’est inspirant.
Ma pièce Dots in Space, c’est une sorte de session que j’ai fait sans réfléchir, comme un écrivain qui fait de l’écriture libre. C’est introspectif. C’est amusant, c’est aussi une autre manière de composer. Je ne cherche pas vraiment à faire ça pour plaire ou pour atteindre le maximum de monde. J’essaie d’être authentique et de me laisser de la place pour des choses plus expérimentales, instinctives.
© Photo: Gwano
Certains des moments les plus marquants de Rêveries surviennent lorsque la talentueuse musicienne Sheenah Ko prête sa voix à tes rythmiques envoûtantes. Quelle est l’histoire qui se cache derrière cette rencontre artistique alléchante?
Sheenah a fait une résidence de production au Centre d’Expérimentation Musicale cet été. Je vous conseille d’ailleurs d’aller découvrir le résultat de ce super boulot ! C’est bien drôle, car c’est le dossier qui avait retenu mon attention lors de la phase de sélection, j’avais été vraiment touché et intrigué par son univers. Travailler au CEM, c’est un beau contexte pour rencontrer les artistes d’ici et d’ailleurs, pour échanger avec eux, pour découvrir de nouvelles formes de musique, des identités singulières et surprenantes.
J’étais au studio à la fin de ma journée de travail, à peaufiner mon album, et, passant par là, Sheenah m’a dit qu’elle aimait bien ce que je faisais. C’est venu naturellement. Quelques jours après, on enregistrait sa voix sur deux de mes pièces. C’était simple, on a fait une ou deux prises sur chaque morceau; et fait le choix de ne pas faire d’édition afin de conserver l’aspect spontané de cette rencontre. On a développé une belle complicité et on a d’ailleurs conçu une autre pièce ensemble. À suivre!
Tu aimes montrer l’envers du décor de tes compositions sur les réseaux sociaux avec des vidéos révélant les structures et quelques-uns de tes secrets. Est-ce important pour toi de partager cette proximité avec ton auditoire et les gens qui suivent ton projet de près?
Oui, c’est important! J’ai passé des centaines d’heures à regarder des vidéos, des tutoriels, des lives et à discuter sur des groupes de partage afin de développer les outils adéquats pour créer mon identité musicale; tout ça sur Internet! En fait, c’est une façon d’essayer de rendre ce que j’ai appris tout en donnant un autre axe de lecture à ce que je fais. C’est important de partager le savoir, car c’est gratuit et c’est pérenne.
Si je te donne ma pomme, et bien tu as ma pomme, mais moi je n’en ai plus. Si je te donne mes connaissances, tu les as, et je les ai toujours aussi.
Ça n’intéresse pas forcément tout le monde, mais ça me permet de toucher des auditeurs plus spécifiques et de générer des connexions entre producteurs. C’est aussi ça qui est plaisant dans la musique, l’aspect communautaire, que ce soit sur le web ou dans la vraie vie!
Comment l’année folle que nous vivons actuellement a-t-elle influencé ta musique et le lancement de ton album? Parviens-tu à conserver une bonne dose de motivation et de créativité malgré tout? Et pour conclure, comment anticipes-tu l’avenir de costă dans cette nouvelle réalité pandémique?
La plupart du temps, je fais de la musique dans ma chambre. Alors c’est sûr que le confinement a plutôt été favorable dans mon cas, aha! Honnêtement, je crois que ça n’a pas vraiment influencé ma musique, ou du moins pas consciemment. En fait, j’avais déjà une bonne partie de mon album amorcée avant le début de cette folle histoire!
La motivation, la créativité… Ça va et ça vient. Il faut pratiquer, se nourrir et observer, ressentir, se reposer et faire ce que l’on peut, à son rythme. Il ne faut pas presser les choses. C’est tout un processus, qui se développe avec le temps. Des fois, je fais un son que j’aime et dont je suis content en quelques dizaines de minutes. Ça m’arrive aussi de passer une journée sur un brouillon que je ne finirai malheureusement jamais. Je garde à l’esprit que je fais ça pour m’amuser, tout en gardant une régularité dans ma pratique, mais aussi me laissant le temps de prendre du recul sur ce que je fais pour mieux cibler mes objectifs et la direction que je souhaite prendre.
Pour la suite, je suis en train de penser mon prochain album. Je travaille aussi sur plusieurs autres pièces en parallèle, des choses plus «conformes» et fidèles au genre microhouse, que j’apprécie beaucoup. Et là, mon ami Louis (Luminescu) vient vivre avec moi au Saguenay pour deux mois donc on va bien évidemment se chauffer à faire de la musique ensemble, régulièrement! On prévoit aussi de faire un EP avec Sheenah Ko et de continuer notre collaboration.
Dans les prochaines années, je me donne comme objectif de faire du design sonore pour des courts-métrages ou des jeux vidéos indépendants, alors je me pratique et je commence un genre de portfolio audio. J’aimerais aussi prendre plus de temps pour créer du contenu explicatif, afin de continuer ce que j’ai commencé. J’ai aussi pas mal de notes dans des carnets, des croquis d’installations sonores, des idées, des textes, des concepts, des dessins…
On verra bien comment évoluent les choses dans le contexte pandémique, mais j’ai confiance que ces projets verront le jour d’une façon ou d’une autre!
Merci pour ton temps!
© Photo: Samuel Snow