[Entrevue] Grandbruit & Lamasz
Francis et Pier-Luc Tremblay font de la musique ensemble depuis belle lurette. Provenant d’un milieu musical plutôt orienté vers le rock, les deux frères se sont tout de même aventurés dans les lancinants couloirs de la musique ambiante au cours des dernières années. Leurs projets respectifs, Grandbruit et Lamasz, ont été fréquemment couverts sur le site, mais l’idée d’un entretien plus exhaustif était inévitable puisqu’ils lançaient en simultané un nouvel album sur l’excellent label Past Inside The Present plus tôt en octobre. L’occasion était alors idéale pour leur poser quelques questions afin d’en découvrir davantage sur leurs parcours et leur complicité artistique. Bonne lecture!
La musique ambiante est en pleine effervescence au Québec depuis quelques années, nous avons pu voir une panoplie de projets se former et votre apport à cette sphère musicale depuis 2018 y ajoute beaucoup de saveur. À quel moment le désir de confectionner de la musique contemplative est-il apparu dans vos vies?
Pier-Luc : La découverte de l’ambient a été très tardive pour moi. J’ai commencé par écouter de la musique techno et puis ensuite de la deep house. Mais je me suis vite rendu compte en écoutant ces styles que c’était les textures qui m’intéressaient davantage que le rythme. Après quelques petites recherches, un incroyable monde s’est ouvert lorsque je suis tombé sur les labels 12k de Taylor Deupree et LINE de Richard Chartier.
Pour moi, c’était impensable de faire de la musique comme ça puisqu’on jouait du rock. Frank s’est acheté un peu de matériel et c’est là que le flirt avec la musique électronique s’est développé avec notre premier projet Arrhes. Mais je crois qu’il n’y avait rien de sérieux avant 2018, quand on a commencé à travailler chacun de notre côté.
Francis : Effectivement, le simple fait de créer sans restriction précise est une source d’inspiration pour moi. C’est la solitude qui est au centre de ce processus. Dans mon cas, il est impératif de créer hebdomadairement pour conserver un certain équilibre. Le passage à la musique ambiante fait partie d’une suite logique à mon cheminement personnel et musical; ce qui m’intéresse avec notre groupe de musique rock est de trouver des textures avec mes pédales. Grandbruit consiste exclusivement en ça.
De quelle manière votre lien familial influence-t-il votre progression et votre démarche créative? Partagez-vous certaines techniques, astuces de création ou même certains instruments ou bien vous êtes plutôt du type à faire votre bout de chemin en solitaire?
Pier-Luc : Le fait que nous sommes frères influence davantage notre relation que notre création musicale, amour inconditionnel oblige, haha! On se partage surtout des coups de cœur musicaux et des découvertes. Bien entendu, on se parle de notre travail, mais on est plus du genre à créer chacun de notre côté en utilisant nos propres techniques. D’ailleurs, on est présentement en train de faire un album collaboratif, mais ironiquement, chacun de notre côté; l’un fournit une track de base et l’autre la complète à sa manière.
Vous avez tous les deux lancé un album au début du mois d’octobre sur le réputé label américain Past Inside The Present. Comment la relation s’est-elle établie entre vos projets respectifs et cette étiquette référence en matière d’ambient?
Pier-Luc : Après la sortie de mon premier album, j’ai réalisé que je voulais m’investir davantage dans la création de musique ambiante. Comme le désir de tout artiste est de partager son travail et qu’il soit apprécié à sa juste valeur, j’avais envie d’atteindre un plus large public pour ma seconde parution. Je me suis dit que j’y parviendrais probablement en étant signé sur un label avec un fanbase bien implanté. Je visais Healing Sound Propagandist (sous-label digital de Past Inside the Present) mais Zakè, le fondateur, m’a fait part qu’il pourrait le sortir en format cassette sur Past Inside the Present si je patientais un peu. Étant fan de l’étiquette, j’ai bien voulu attendre, je n’en revenais pas qu’il soit tombé en amour avec mes loops!
Francis : Quand Pier-Luc m’a partagé cette nouvelle, j’ai enregistré l’album Sédum en moins d’une semaine et je l’ai envoyé à Zakè. C’est sorti digitalement sur Healing Sound Propagandist. Quelques mois et quelques albums plus tard, je lui ai envoyé la track La Marée sur ton corps et il est tombé sous ivresse, il voulait absolument sortir ça sur PITP. C’est juste après ça qu’on lui a dit que nous étions frères. On a ensuite développé l’idée de faire une sortie commune sur cassettes. Je crois qu’il aimait bien l’idée que nous sommes des frères, l’aspect familial semble être une philosophie chère à l’étiquette.
Grandbruit nous a offert une multitude d’albums tous plus somptueux les uns que les autres au cours de la dernière année. Au-delà de cette impressionnante productivité, y a-t-il quelque chose de spécial que tu voulais essayer avec Ruptures ou peut-être un défi particulier que tu avais envie de relever?
Francis : L’album a été créé en quelques jours de façon très spontanée. Je n’avais aucune attente particulière avec Ruptures, comme dans la plupart de mes albums d’ailleurs. C’est vraiment avec la première chanson La marée sur ton corps que la ligne directrice s’est développée. Au niveau équipement, j’ai laissé tomber ma pédale PLUS de Gamechanger Audio qui sert à gérer les volumes et les dynamiques. Je l’ai remplacée par un looper supplémentaire. C’est à travers cette expérimentation que Ruptures a été développé.
Pier-Luc : Les textures étouffées de Ruptures m’ont séduit dès la première écoute. La marée sur ton corps en particulier à cause de son caractère hypnotisant. Je n’en reviens juste pas qu’il ait fait cet album en si peu de temps! D’ailleurs, ce qui m’impressionne le plus chez Frank, c’est sa spontanéité. Il est capable d’improviser des ambiances incroyables avec son matériel qu’il maîtrise à merveille. Sa rapidité de travail m’exaspère pour être honnête.
De ton côté Pier-Luc, l’inspiration semble venir à plus petite dose et tu nous proposes ton deuxième album, une sublime suite à Étymologie. Ton approche volontairement minimaliste frappe encore une fois dans le mile en forçant l’auditoire à porter une attention particulière aux détails. Que cherchais-tu à exprimer avec ce nouveau disque et quels sont les changements majeurs au niveau du processus par rapport à ta parution initiale?
Pier-Luc : Étymologie était mon premier album élaboré autour de field recordings et des sons de mon synthétiseur que je trouvais intéressants. Je le vois un peu comme si c’était un journal intime sonore composé des moments captés avec mon enregistreuse portative. Ça donne quelque chose dont je suis fier, mais c’est un peu éparpillé comme résultat. Toutes les pièces sont très différentes les unes des autres.
Avec Nature Morte, j’ai voulu créer un album concept qui allait être davantage homogène du début à la fin. C’est avec énormément d’expérimentations que j’en suis venu à faire des pièces utilisant un seul tape loop comme source sonore. C’était long et laborieux de créer des loops qui me satisfaisaient, mais je tenais absolument à respecter ma méthode de travail pour garder une uniformité. Je savais que je tenais quelque chose de puissant et de très personnel. Une fois le loop parfait atteint, c’était très facile de faire une pièce intéressante qui évoluait au gré des manipulations analogues.
Pour la suite des choses, je suis encore en phase expérimentation. Je ne sais pas ce qui s’en vient, mais j’attends de trouver un concept inspirant avant de commencer l’enregistrement d’un troisième album. Je suis intéressé par le processus de création; pour moi la démarche est aussi importante que le produit final.
En plus de nous accompagner dans nos moments de relaxation avec votre musique en solo, vous faites également partie de la formation Faux Fuyant qui change complètement de trajectoire stylistique. Où en est le projet après avoir lancé un premier album il y a un an?
Pier-Luc : Quand on a commencé à faire de la musique électronique avec notre projet Arrhes, on expérimentait beaucoup avec les rythmes. On était clairement habitués de travailler avec cet aspect musical. D’ailleurs, on utilisait la basse électrique et la guitare de manière traditionnelle, c’est-à-dire en suivant le rythme des pièces. Je pense que ça s’entend qu’on provient d’un milieu rock. Mais c’est quand on s’est affranchis du rythme que notre intérêt pour la musique ambiante s’est vraiment développé.
Francis: Faux Fuyant existe encore, mais ça fait longtemps que nous avons pratiqué, Covid-19 oblige… Je pense que quand on va recommencer à se voir, nous allons expérimenter davantage, introduire différentes techniques de création dans notre musique, mais on n’a pas d’objectif précis autre que de créer de la musique qui nous emballe.
En terminant, comme nous aurons beaucoup de temps pour prendre du recul et écouter de la musique avec l’hiver pandémique qui nous attend, pourriez-vous nous faire part des artistes musicaux qui vous ont inspirés pour la création de vos deux albums? Vos suggestions nous aideront certainement à mieux comprendre votre art et nous donneront de quoi tuer le temps dans les mois à venir!
Francis : Je dirais Chihei Hatakeyama et Jefre Cantu-Ledesma principalement.
Pier-Luc : De mon côté, tout ce que Federico Durand fait. C’est un artiste incroyable qui crée avec peu. Rafael Anton Irisarri est aussi pour moi une grande influence, de même que Taylor Deupree et Christopher Bissonnette. Les textures et les univers développés par ces artistes sont tout simplement sublimes.
Merci pour votre temps!
- Révision du texte par Sandra.