[Recommandation] Musique d’ameublement pour espaces dissonants – Vol. 2
Plusieurs mois se sont écoulés depuis la parution du Vol. 1 de notre thématique spéciale sur des albums plus conceptuels et dissonants. Cette excellente idée que notre rédactrice Elena a instaurée précédemment à la pandémie revient au galop puisque nous avons amassé une multitude de sujets qui cadre parfaitement dans cette zone hors limite. Nous vous proposerons donc six textes un peu plus libres qu’à l’habitude sur des expériences musicales hors du commun que nous avons vécues dans les dernières semaines. Attendez-vous à revoir cette chronique de manière mensuelle à partir de maintenant. Bonne lecture, mais surtout bonne écoute!
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EARTHFLESH & KERNAL | A SEA OF BURDEN
Paru le 5 octobre 2020 sur Basement Corner Emissions, quinquae viae Records, Short Run Industries & Urgence Disk Records.
→ Texte de William
Un silence accablant règne, pourtant la tension est bien réelle. Peu à peu les décibels émanent des profondeurs, ou plutôt des machines du duo machiavélique. Les sons qui s’entrelacent ne se limitent pas à affecter nos tympans, ils deviennent aussi palpables, formant une sphère noire opulente qui nous englobe sans que nous puissions y changer quoi que ce soit. Cette lenteur écrasante a de quoi nous faire basculer du côté de la folie, l’alliage de sonorités corrosives qui nous masse le crâne empoisonne tout sur son passage.
C’est quelque chose qui doit être écouté à puissance élevée, la nuit, dans l’obscurité.
Après vingt minutes d’angoisse, le niveau grimpe d’un cran puisque le duo achemine de nouvelles menaces sonores jusqu’à nous. Sans avertir, une transition fabuleuse se matérialise dû à une attaque d’infrabasses donnant lieu à un éveil inattendu. La structure se délie de ses racines impures et une forme d’harmonie émerge du chaos. Les fluctuations rythmiques agissent comme des vagues qui viennent s’échouer à nos pieds, donnant un sens évident au titre de l’album. L’immobilisme s’impose alors, porté par le sifflement strident des appareils électroniques qui virevolte autour de notre corps et qui renchérit cette sensation de fusion avec les éléments de la nature. Il ne reste plus qu’à s’agenouiller sur le rivage en observant ce ciel opaque et de laisser les dernières vibrations rebrousser chemin vers les abysses au gré de la marée. A Sea Of Burden est une transe régénératrice qu’il faut absolument s’infliger.
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Hostile Surgery | Midnight Wounds
Paru le 14 septembre 2020 sur Basement Corner Emissions.
→ Texte de William
Une fois le casque d’écoute soudé au crâne, nous nous retrouvons au beau milieu d’un hangar où l’ambiance est poisseuse. Un rituel d’une grande importance se trame en coulisse, les objets métalliques hurlent, les échos sont affolants. Cet endroit désaffecté est pourtant bien vivant, il transpire la suie rendant l’air nauséabond. La locomotion organique des cliquetis venimeux nous obsède. Hostile Surgery se prépare à opérer avec le coffre à outils du malin. Il transpercera la chair, il broiera les extrémités, il se délectera de notre torpeur.
Non seulement ses méthodes sont choquantes, mais le lieu où il s’exécute est glauque, crasseux, rouillé et en pleine putréfaction. Le vent est notre seul compagnon, il souffle toutefois l’inquiétude. L’unique moment de répit survient lorsque les lacérations sont effectuées, nous observons alors nos plaies se vider, laissant notre vitalité se dissiper peu à peu. Ça pisse le sang et la bile. C’est un album que l’on subit plutôt que l’on apprécie. Le chef d’orchestre nous confronte à notre propre malheur, nous dévore les entrailles, nous épuise non par sa lourdeur, mais par son esprit pernicieux. La détresse règne, nous sommes seul·e·s et les machines grincent. Elles grinceront bien longtemps après notre abandon…
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L’Ordre de l’Infiniment Nada | Outrenoir
Paru le 31 octobre 2020.
→ Texte de FX
Outrenoir! Rituel fantastique, érigé sur les cratères des lunes aux mystères lointains, invocation profane, grondements immémoriels de l’ondulation des carcasses d’étoiles!
Outrenoir! Nuée vrombissante! Univers entropique mystifié, dessinant au coeur des artères filamenteux, la chevelure spectrale de l’éther initié!
Outrenoir! paupière de l’organe galactique, pulsar envoûté aux clochettes annonciatrices de l’Ordre!
Outrenoir! Outrenoir! Outrenoir!
De l’infiniment NADA!!!
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Loïse Bulot & Martina Lussi | Zenith / Serrinha Do Alambari Soundwalk
Paru le 21 septembre 2020 sur Ōtium.
→ Texte de William
Périple circulaire en deux temps, là où les circuits électroniques batifolent. Loïse et Martina s’unissent dans l’infini, mouvant séparément les décibels pour finalement les déverser dans une démarche similaire. Toutes deux soudées par une fascination des sons, et bien sûr, des sens. Grâce à leur ardeur au travail et à une recherche exhaustive, elles parviennent à faire beaucoup avec peu, démystifiant la simplicité pour procurer l’exaltation. Si la première nous bombarde de signaux intelligibles, la seconde unit l’humain à la nature. De quoi nous faire vriller la tête et nous faire pratiquement oublier l’inanité de notre existence. C’est une expérience évocatrice, qui provoque une émulsion du cerveau. L’investissement assure la récompense, sans quoi nager dans ces eaux limpides pourrait sembler anodin aux oreilles distraites. La qualité inexprimable de l’échantillonnage vaut le détour à elle seule, l’eau ruissellera sur votre peau, les insectes vous observeront malgré leur infime petitesse et les oiseaux régneront sur l’horizon. Sans même le savoir, c’est un album dont vous avez besoin, une œuvre qui vous bouleversera si vous l’attaquez avec les yeux fermés et l’esprit éveillé.
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Offermose | Stilhedens Tårn
Paru le 16 octobre 2020 sur Third Coming Records.
→ Texte de Louis
Fascinations dronesques virulentes
Réverbérations ambiantes entrelacées
Envolées synthétiques criantes
Alors que l’humanité fait face à des défis immenses et semble plus désemparée que jamais, Offermose lie les sons avec brio et délicatesse permettant de s’évader loin de tout tracas.
Vibrations cérébrales éloquentes
Incantations abyssales vénérées
Nappes sonores envoûtantes
Renvoyant des échos hypnotiques à la fois obscures et invitantes, Offermose édifie de somptueux paysages musicaux.
Ferveurs aériennes démentes
Litanies théâtrales animées
Étendues phoniques mouvantes
Larguant des vacillations électroniques infatigables, Offermose tisse un filet mélodique saisissant pour nous plonger dans un état de transe absolu.
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Tomita Minolta | Le Peuple des Mers
Paru le 1er avril 2020 sur Sub River Records.
→ Texte de Louis
À l’écho des basses qui résonnent, le voyage commence. L’ambiance est sombre, l’atmosphère est chargée et le temps est brumeux. Nul besoin de se préparer, car les ondes sonores viendront vous chercher sans crier gare. L’ultime solution, s’abandonner aux vibrations cosmiques de Tomita Minolta. Fermez les yeux, permettez à la musique de s’emparer de votre corps et laissez-vous bercer par la modulation expérimentale de la formation montréalaise.
Au-delà des drones juxtaposés élégamment et s’enchaînant à merveille se trouvent une recherche et un travail méthodique pour créer d’abstraites mélodies de synthétiseurs. Ce climat vaporeux laisse entendre quelques bruits de la nature, mais également d’ingénieuses ascensions du saxophone, captant momentanément nos regards et notre attention.
Alors que ce projet de la métropole jaillit dans nos enceintes en cette fin d’année musicale, il est impossible de ne pas s’avouer charmé·e·s par l’intensité désarmante qui émane de leur composition, aussi posée puisse-t-elle être… La construction réfléchie dont fait preuve Tomita Minolta témoigne d’une grande sensibilité et d’une importante compréhension de leurs instruments. Dessinant avec beaucoup de précision cette frasque sonore, le groupe rend un vibrant hommage au Peuple des Mers. Tout comme Joshua Séguin le fait habilement avec son splendide poème:
Are you curious of their ways?
Is it even possible to count the days it takes?
Without getting hurt, without getting lost.
Who are we to believe we’d be any different, when all we’ve known is opulence in gems?The sound of their drums is approaching fast, hold me now and maybe it’ll pass.
I am afraid, I am not brave, I wish I were as strong as the seaside cave.
From which we all come, even the sun.
One day, I hope, we’ll find the Promised Land.We are nothing but over ambition seeds chasing the sun.
Life will be better once this voyage is done…