[Entrevue] Simone Provencher
L’année 2021 commence à s’activer musicalement avec l’arrivée du printemps et la scène locale brille par la même occasion. Après avoir présenté en primeur Les grandes solitudes des femmes sauvages d’Elyze Venne-Deshaies qui paraîtra le 30 mars sur Small Scale Music, nous avons la chance de vous dévoiler une nouvelle entrevue, cette fois avec le musicien Simon Provencher. L’ayant d’abord connu pour sa présence au sein du groupe VICTIME et pour ses collaborations avec TDA, Simon présentait la semaine dernière son tout premier album solo, Mesures, sur l’étiquette Michel Records. Magnifique excursion en territoires expérimentaux, les compositions réalisées en collaboration avec Elyze et Olivier Fairfield, nous lancent dans un univers sonore excitant et texturé. À cette occasion, nous avons souhaité en apprendre davantage sur cette œuvre grandiose et sur le parcours de Simon. Bonne lecture!
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Nous avons fait ta découverte en tant que guitariste au sein du groupe de rock frénétique VICTIME ainsi que pour ta collaboration avec TDA, tu lances maintenant ton premier album sous ton nom personnel. Je me demandais ce qui t’a motivé à pousser l’aventure en solo plus loin après avoir laissé paraître quelques morceaux sur ton Bandcamp au courant des dernières années?
Quand j’ai commencé le processus pour Mesures, je considérais VICTIME et TDA comme des “vrais” projets et je voyais les sorties en solo plutôt comme des explorations autour de sons ou de concepts. Souvent, les explorations étaient plus “techniques” qu’autre chose. Demi-mots par exemple, qui est sorti en janvier 2020, est presque tout composé avec un “patch” que j’ai programmé sur une de mes pédales de guitare (la ZOIA de Empress Effects, pour les curieuses.x). C’est vraiment exploratoire d’abord, et je trouvais ça assez bon pour le mettre sur bandcamp, mais pas assez complet, ou abouti pour en faire une sortie plus officielle.
Mesures, au début, c’était la même chose: je me suis donné le défi de faire quelques compositions sans utiliser d’effets. Je ne partais pas avec l’idée d’en faire un projet, mais j’ai vu un certain potentiel dans les pièces alors j’ai décidé de demander à Olivier et Elyze d’y ajouter du leur. C’est en ajoutant leurs parties que j’ai réalisé que le matériel était devenu quelque chose de plus spécial, que je devais le traiter avec soin et essayer d’en faire la meilleure sortie possible.
Tout en restant dans les sphères expérimentales de la musique, tu explores maintenant des sonorités différentes de ce que nous pouvons entendre au sein des groupes dans lesquels tu évolues. Quelles sont tes inspirations, qu’elles soient musicales ou non, pour arriver à un résultat aussi effervescent et dynamique?
Mon déménagement à Hull a précipité beaucoup les changements dans ma pratique, c’est certain. D’être loin de mes collaborateurs habituels d’abord, en plus des confinements, ça force à trouver une démarche différente pour continuer à faire de la musique au quotidien.
Il y a eu des rencontres importantes aussi. J’ai fait quelques “jams” avec Simon Labelle, qui a masterisé l’album et qui est impliqué à Daïmon, un centre d’artiste qui est à deux pas de chez moi. Il a comme un système de pédales de guitare modifiées qu’il peut connecter de manières vraiment intéressantes.
On a passé pas mal de temps au studio du centre à travailler sur des projets ou à “profiter” du système de son incroyable. J’ai aussi collaboré au projet Radio Hull de Daïmon en faisant quelques pièces génératives. Tout ça m’a permis de m’initier davantage au monde de l’art audio et de la musique expérimentale. Il y a plein de classiques du genre que je n’avais jamais écoutés et ces découvertes là ont beaucoup informé ce que je fais ces temps-ci. Je pense à Jon Hassel, Pauline Oliveros, Jan Jelinek, etc. Sinon, une inspiration majeure pour le projet c’est Vrioon d’Alva Noto et Ryuichi Sakamoto, et Vashti Bunyan pour les guitares.
J’ai aussi commencé à travailler chez Fairfield Circuitry, une compagnie de pédales de guitare, elle aussi à deux pas de chez moi. Les circuits faits par Guillaume sont vraiment inspirants. Sans trop faire de placement de produits, les deux nouvelles pédales sorties cette année font à elles seules 90% du bruit et du traitement audio qu’on peut entendre sur Mesures.
© Photo: Charlotte Savoie
Tu collabores avec Elyze Venne-Deshaies (clarinette/fx) et Olivier Fairfield (batterie/guitare acoustique) sur ton album, ce qui permet de pousser l’expérience encore plus loin. J’aimerais en apprendre plus sur ta rencontre avec ces deux artistes et comment avez-vous commencé à travailler ensemble?
J’ai rencontré Olivier via mon ancien groupe La Fête. On a fait quelques shows avec Fet.Nat si je me souviens bien, ou du moins, on s’est croisés assez souvent au Pantoum pour commencer à bien se connaître. Olivier a enregistré et mixé la dernière sortie du band, un split avec le LAPS, de Fredericton. VICTIME a aussi fait de la tournée un peu avec son excellent projet H. de Heutz. Quand j’ai déménagé ici, on se connaissait déjà et on a commencé à collaborer pas mal immédiatement. On a travaillé sur un album qui va sortir dans les prochains mois, mais je dois me retenir d’en dire plus!
Quand je lui ai envoyé Mesures, qui était encore seulement 3 courtes pièces de guitares, je lui ai laissé carte blanche pour faire ce qu’il voulait, avec la prémisse que ce serait édité et retravaillé par la suite. Finalement, j’ai rien touché, j’ai trouvé que le sentiment vraiment cru, les bruits, les moments de silence, tout ça marchait bien avec la démarche déjà entamée.
J’ai rencontré Elyze quand elle a joué du saxophone au lancement de Daniel de Jesuslesfilles, où VICTIME jouait aussi. On est restés connectés sur Facebook, où j’ai assez simplement demandé si quelqu’un dans mon réseau jouait de la clarinette..! Bon, l’histoire fait simple, mais la collaboration a vraiment été fructueuse. Elle aussi a eu complète carte blanche et quand elle m’a renvoyé ses “takes”, j’ai été jeté à terre. Elle m’a envoyé 4 versions pour chacune des trois pièces, mais c’était tellement difficile de choisir entre les versions qu’on a décidé de rajouter trois chansons à l’album, ce qui est devenu la face B, et qui contiennent les clarinettes “unedited”.
Ta musique est porteuse d’une certaine frénésie, mais également d’une sérénité enthousiasmante où chaque écoute apporte de nouvelles dimensions. Qu’essaies-tu de véhiculer sur Mesures et as-tu un conseil à nous donner pour en faire une écoute optimale?
Il y a toujours eu dans ce que je fais un genre de sentiment d’impatience. Souvent, je sais que je veux que les choses bougent assez vite et il y a en moi un penchant plutôt maximaliste. J’aime beaucoup la musique où les couches s’entremêlent, où il y a beaucoup d’éléments.
Mesures c’est un peu le résultat des trois processus de composition d’Elyze, Olivier et moi, un projet où le but, la direction s’est comme dessinée par elle-même. Donc, j’essaie de rien “véhiculer” à proprement parler, mais évidemment qu’il y a certaines résonances ou associations qui émanent du projet pour moi. Je trouve qu’il y a une beauté unique qui sort un peu du hasard des choses, des clarinettes composées indépendamment mais qui crient aux mêmes moments, comme si la musique était plus organisée qu’elle l’est réellement.
Une écoute optimale, selon moi, se fait d’abord du début à la fin. C’est juste 16 minutes, c’est pas trop difficile et ça met en perspective la dualité entre les deux faces, qui est une des choses les plus intéressantes sur l’album selon moi. J’aime penser qu’en effet les écoutes répétées dévoilent certaines des subtilités de l’arrangement, que ce soit la guitare acoustique jouée comme percussion et le “phasing” des guitares dans Mesures ou les couches de la montée bruitiste de Pesée. On comprend aussi mieux les patterns et les complexités du feedback avec le temps, parce qu’à premier abord j’en conviens que ça peut paraître un peu “harsh”.
Sans que ce soit nécessaire, je trouve aussi que ça “fit” pour les soirées où la conscience est plus altérée. Je trouve qu’il y a quelque chose dans le pointillisme des percussions, des clarinettes en mouvement constant qui se prête particulièrement bien à un “examen de conscience”… ou du moins à une bonne vieille séance de Deep Listening.
© Photo: Charlotte Savoie
Le visuel de l’album est coloré et égayant, un peu comme son contenu sonore. Peux-tu nous parler du travail de Camille Bertini, qui est derrière la magnifique couverture, et de ce qui vous a mené·e·s à collaborer sur l’aspect visuel de ce projet?
Ça fait longtemps que je vois passer les peintures de Camille, mais c’est son cover pour le simple The Good Thing d’Hélène Barbier qui m’a vraiment donné envie que ce soit elle qui fasse l’identité visuelle du projet. Elle a peint trois toiles en tout, une pour chaque simple et une pour le visuel de l’album!
Les couleurs naïves, mêlées à la subtilité des traits, des lignes et les imperfections de la peinture, tout ça était vraiment cohérent avec la représentation que je me faisais de la musique. C’est elle qui a eu l’idée du vase, des escaliers, des idées associées à un équilibre précaire, à une certaine délicatesse.
Nous avons eu la chance de te voir en concert en compagnie de TDA cet automne, à peine quelques jours avant le nouveau confinement. L’ambiance était extraordinaire et nous rappelle à quel point la musique live est importante. Je me demandais si tu avais commencé à planifier un spectacle pour faire vivre Mesures en direct et comment tu avais vécu ce dernier show plutôt unique?
Le spectacle de TDA était vraiment un des hauts points de l’année. J’étais tellement excité après que j’ai abandonné l’université..
Pour un peu de contexte, le show était organisé en semi-secret, sans médias sociaux (sauf les DMs, essentiels), dans un parc de Verdun, sur le bord du fleuve et sous le couvert d’un grand toit extérieur. TDA, c’est le projet “solo” de Samuel Gougoux, qui compose et enregistre toute la musique. En live, Mathieu Seulement, Élise Paradis et moi, on se joint à lui pour transformer le tout en un “vrai band” de musique industrielle. La musique de Sam est tellement viscérale, mais intime en même temps, c’est vraiment un plaisir de participer à ce projet-là.
J’ai tellement été ému par la réception au spectacle et par le plaisir de retrouver les shows en direct que j’ai décidé pour de bon que c’est la musique qui occuperait la place première dans ma vie. Avant, j’étudiais en parallèle en enseignement, mais avec les stages et les déplacements fréquents à Montréal, ça devenait difficile pas mal à coordonner. Et quel meilleur moment que maintenant pour essayer de faire de la musique à temps plein! 😉
Mesures étant d’abord un projet de confinement, je n’avais rien planifié pour du live, et j’ai encore rien de concret entre les mains si je suis honnête. Il y a seulement 16 minutes de musique aussi, alors je me dis que je dois écrire un peu plus, collaborer plus. Je continue à travailler sur des pièces dans une esthétique très similaire, alors oui, avec plus de matériel je voudrais essayer d’amener cette proposition là en direct, post-COVID et si les autres projets le permettent. Sinon, ce serait autre chose, mais il y a des projets d’ensembles de musique improvisée qui flottent dans l’air et qui pourraient rejoindre beaucoup de ce que je trouve dans ma pratique solo. À suivre!
Merci pour ton temps!