[Scène française] Namoro – Cassia Popée
La musique live me manque. Elle vous manque assurément aussi; les dancefloor enfumés, l’ambiance de fête, les mouvements comme s’il n’y avait pas de lendemain, l’atmosphère survoltée, les ami·e·s… Quoi de mieux qu’un album portant une énergie si pure et entraînante que Cassia Popée pour nous rappeler ce besoin viscéral. Transpirant la performance artistique vigoureuse et étincelante, la musique de Namoro se savourerait probablement davantage dans une salle de concert, mais nous ne sommes pas à plaindre à l’écoute de leur fantastique premier long jeu. Regorgeant d’assurance, Bili Bellegarde et Mascare nous entraînent dans leur univers alliant poésie et rythmiques enflammées.
Dix secondes après avoir entamé l’écoute, jurez-moi que vous n’êtes pas déjà en train de hocher la tête ou de taper du pied. C’est ce que je pensais! Les premiers instants de Dance in the dyke suffisent pour capter notre attention, laissant présager une aventure colorée. Les mélodies électroniques qui nous sont proposées se veulent originales grâce à leur ingéniosité et leur richesse. Impossible de s’ennuyer face à un arsenal sonore aussi diversifié et efficace. On assiste à l’avènement de l’Intelligent Body Music, le croisement parfait entre les rythmiques astucieuses et inventives de l’IDM et le tempérament primal et vivifiant de l’EBM.
Néanmoins, ce qui rend la musique de Namoro si unique est sa verve, son caractère poétique cru, honnête et pertinent. Cette rencontre entre les voix de Bili Bellegarde et Mascare permet de raconter une histoire et de nous projeter encore plus loin dans leurs compositions. Ce résultat éblouissant rappelle assurément l’univers de La Fièvre, autant par son féminisme, ses textes, ses beats, son chant ou cette énergie si contagieuse qui se répand au fil de l’album. Plusieurs écoutes sont nécessaires pour saisir l’ampleur du travail derrière Cassia Popée alors que notre attention se déchire entre l’étincelante portion instrumentale et les confessions qui nous sont exprimées. Une chose est claire, ce n’est certainement pas la dernière fois que nous vous parlons de ce dynamique duo sur MEFD!
→ À écouter si vous aimez : Brigitte Fontaine, Daisy Mortem, La Fièvre, Leny MÜH & Marie Davidson
→ Morceau favori : Amour courant
Pour acheter l’album, c’est ICI.
Paru le 26 février 2021 sur Atypeek Music.
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L’histoire de Cassia Popée:
Cassia Popée existe depuis toujours mais elle ne se montre que depuis le 26 février 2021.
C’est une chimère affublée de 10 doigts dont un est en forme de papillon. Dotée de trois yeux, de trois bouches et de trois nez, Cassia Popée n’est pas caractérisée par la binarité. Sa peau luit continuellement de sueur car elle est en perpétuelle course depuis toujours. On la trouve le plus souvent vêtue d’un ensemble, pantalon et débardeur, matelassé doré. Elle va pieds nus. Cassia Popée est aussi reconnaissable par les attributs suivants : sa chevelure est de couleur lilas, tout comme la moustache d’une de ses bouches, elle possède également une dent en or. Elle exhibe aussi quelques ornements et bijoux tels qu’une boucle d’oreille grappe de raisin, des bracelets et chaines en or, une bague de doigt de pied, ses ongles sont peints, elle a un coquillage en poche et enfin elle possède un tatouage sur le bras sur lequel est inscrit Namoro sous une rose rouge. Nous l’observons accompagnée de son téléphone portable, disons qu’elle semble vivre avec son temps. Cassia Popée est notre muse, notre déesse de papier. Par elle, nous modifions le champ des représentations possibles, du corps, du désir.
Ce premier album s’appelle Cassia Popée, il porte son nom car il est grandement inspiré des écrits de Monique Wittig qui ouvrit la voix à la réappropriation des figures mythiques et mythologiques. Monique Wittig a par exemple réécrit le mythe d’Orphée qui tente d’arracher son épouse défunte des Enfers. Chez Wittig, Orphée devient Orphéa, et elle sauvera Eurydice des Enfers là où Orphée aura échoué. Toutes les histoires qui ont bercé nos enfances, nos études, nos imaginaires, sont des histoires où la norme hétéro patriarcale fait référence commune. Mais nous, où sommes-nous dans l’H/histoire, dans les histoires ? Comme notre Cassia Popée, nous savons que nous avons toujours existé mais nous peinons à trouver nos racines. Wittig dit « Tu dis que tu as perdu la mémoire, souviens-toi (…) Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente ». Nous te prenons au mot Wittig. Nous inventons. Notre passé, il nous faut l’écrire, l’inventer, se forger un sol sur lequel germeront nos figures. Cassia Popée est un jalon. Cette bête est une première pierre à un bestiaire queer qui s’étendra.
Nous ne sommes pas seules.