[Scène locale] Martín Rodríguez – Entre Temps Perdus
À quel endroit sommes-nous si nous n’expérimentons pas le confinement obligatoire qui nous force à faire face à nous-même à l’intérieur de notre propre habitat?
Pour Martín Rodríguez, la pandémie semble un moment pour se retrouver à travers une ambiance à transmettre à autrui, comme un journal constitué de prises de son. La prémisse de ce témoignage est une promenade avec son chien dans une ruelle probablement attenante à son lieu de vie. C’est le point de démarrage de cet assemblage sonore, fruit de plusieurs enregistrements, tous réalisés lors du confinement général décrété en mars passé et s’étant étendu pendant quelques mois ensuite.
C’est dans le cadre d’une série de concerts extérieurs lors de l’été 2020, sur le bord du canal de Lachine, que j’ai eu la chance de voir une prestation de Martín. Performance prenante, car elle se déroulait tout juste après le coucher du soleil, les seules lumières restantes émanant principalement des appareils que manipulait le performeur, l’environnement aidant donc le public à se plonger pleinement dans l’écoute. Son installation en était une de plusieurs postes radios jouant en direct, d’une cymbale ainsi que d’un theremin, le tout manipulé à travers différentes modulations. C’est en partant de cette même installation qu’il a construit musicalement son album.
Quelle résonance avec notre propre parcours, notre propre trajet constamment répété, refait, réessayé, changé mais retourné à son propre rappel, jour après jour?
La première pièce, À la rencontre du silence enligne vers la recherche de ce moment imprécis de l’amorce et de la tentative de se stabiliser dans un univers, si peu instinctif soit-il, afin d’y trouver une forme de grâce et de plénitude, un exutoire dans un contexte nouveau, pandémique ou non. Dans Épuiser, Rodríguez nous emmène dans l’univers de la possibilité de la rencontre humaine à travers l’impossibilité de partager un téléphone cellulaire, qui se veut l’introduction d’une réelle interaction humaine, donnant lieu à une suite frénétique de retours de sons, à la limite de l’échange agressif et retenu entre instruments à vent. Il semble y avoir un désir de se retrouver avec l’autre, malgré sa verbalisation du refus, expliquée par la présence d’une altérité du quotidien sous-tendant l’incapacité d’en inclure une autre, celle-ci imprévue et spontanée.
C’est ainsi que Des cloches à la solidarité enchaîne, se souhaitant un renforcement de l’enregistrement de terrain comme une étape nécessaire à l’établissement d’une démarche (sans mauvais jeux de mots ici) de documentation et de proposition mélancolique à ce qui est vécu, ce qui l’a été et ce qui le sera. Est-ce un vestige du temps ou une invitation à essayer d’aller à cet endroit, donc l’expérimenter éventuellement par soi-même? Une grande onde se veut comme une réconciliation, le souhait d’un répit, du moins à l’écoute. Est-ce un clin d’œil à la pochette de l’album, de par laquelle on aperçoit le ciel depuis une fenêtre rappelant un hublot, comme si la place du passager, celle du témoin extérieur et celle du conducteur était la même? Temps perdus souhaite nous ramener à ce bruit ambiant, cet écho vrombissant, insécure mais réconfortant. Tout semble vide et plat, mais au loin on entend certains crépitements, telles les dernières braises de vie humaines animant la ville, toujours agitée peu importe l’heure, maintenant plus perceptibles car moins nombreuses. Et les crissements de cette vie permettent un équilibre et une forme d’espoir pour la suite des choses.
Il m’apparaît juste de faire un lien avec quelques autres artistes dont la collaboration improbable m’évoquerait quelque chose de similaire à l’album que Martín Rodríguez nous présente. C’est comme si on assistait à une rencontre entre le fatalisme d’Arca, la mélancolie de Jordan Torres Bussière, la spectrale présence radiophonique de Leyland Kirby et la distorsion lointaine de Sonic Youth. Voilà, sur ce, je vous recommande fortement de prêter une oreille à Entre Temps Perdus.
→ À écouter si vous aimez : Arca, Jordan Torres Bussière, Leyland Kirby et Sonic Youth
→ Morceau favori : Épuiser
Pour acheter l’album, c’est ICI.
Paru le 16 avril 2021 2021 sur Samizdat Records.
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