[Entrevue] Women Rule The Music – CMD & Jeanna
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Après le dévoilement de notre playlist du mois de mai, continuons à célébrer le quinzième anniversaire de Chez Kito Kat avec notre première (de deux) entrevue dans le cadre de la série Women Rule The Music organisée par Salima Bouararour, présidente du label! Pour se faire, nous avons posé quelques questions à CMD et à Jeanna qui ont toutes deux contribué à ce magnifique projet. CMD, que vous connaissez probablement pour son implication dans la scène électronique montréalaise, présente un fantastique mix de techno introspective et enivrante. Pour sa part, Jeanna, musicienne basée en Belgique, dévoile une magnifique composition aux allures électropop brumeuses. Bonne écoute et bonne lecture!
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Tout d’abord, je me demandais ce qui vous avait motivé à répondre positivement à l’appel de Salima pour participer au quinzième anniversaire de Chez Kito Kat Records et plus précisément au projet de podcast Women Rule The Music?
CMD: Je dois reconnaître la passion, l’engagement et le travail nécessaires pour diriger un label indépendant, et donc atteindre quinze ans est définitivement quelque chose à célébrer. En tant que fondatrice et gérante d’un label, Salima est très réfléchie, ouverte d’esprit et engagée dans des efforts pour promouvoir la justice sociale dans la vie nocturne et la scène musicale. Chez Kito Kat travaille à développer, soutenir et réseauter une communauté artistique de manière concrète et je voulais contribuer à leurs efforts.
Jeanna: Pour répondre à ta première question, je crois que c’était un «no brainer» comme ma devise est simplement «le partage et l’échange font du monde un meilleur endroit». Ajoute le thème des femmes musiciennes par dessus et tu as une gagnante!
L’enjeu de la représentation des femmes/personnes non binaires/personnes trans dans le monde de la musique prend plus de place dans l’espace public depuis quelques années avec de nombreuses initiatives visant à diversifier la scène et les festivals. Comment vis-tu avec l’orchestration de ce changement et sens-tu une réelle sincérité derrière les différentes actions qui sont prises? Selon toi, y aurait-il une approche qui pourrait être plus organique et sentie?
CMD: Il y a eu un plus grand intérêt à diversifier les programmations, même si, comme tu le mentionnes, la motivation de ces changements varie. Peu importe la raison, je crois que d’avoir plus de programmations diversifiées est une étape importante qui ajoute à l’élan pour élargir les conversations à propos des inégalités structurelles dans l’industrie de la musique. Mais nous avons besoin d’une approche plus intersectionnelle pour adresser ces problèmes, et il faut se rappeler que la représentation seule ne les résoudra pas. Nous aurons besoin d’une plus grande diversité dans l’industrie aux positions de pouvoir et également de faire des changements plus organiques.
Mise à part les questions de représentation, j’ai le sentiment que le moment présent a mis en avant beaucoup de problèmes dans l’industrie reliés à la précarité économique, à la sécurité, au consentement, au racisme, au classisme, et aux impacts de la scène en particulier sur les communautés et l’environnement. Je suspecte qu’il y aura une opposition à un retour au statu quo post-covid. En tant qu’artistes, amateurs et amatrices, nous pouvons repenser notre support aux scènes musicales à l’avenir et imaginer quelque chose de différent.
Jeanna: Toute initiative dans ce domaine est toujours un bon point de départ. Que ce soit sincère ou seulement de façade ne devrait pas être dissuasif. Prenons-le et espérons que cela provoquera de la bonne volonté et que tout le monde soit en accord à l’ouverture en utilisant notre langage commun, celui de la musique. Je ne peux penser à un meilleur outil pour débloquer les idées préconçues, démarrer une conversation et rassembler les gens.
Corina, ton mix reflète très bien ton univers sonore avec une techno pulsative et pétillante. Peux-tu nous parler de ce qui a influencé ta sélection, tes inspirations et quelles émotions voulais-tu véhiculer aux personnes qui l’écoutent?
J’ai enregistré le mix en janvier, une période difficile de l’année. C’était sombre, froid et le couvre-feu venait d’être instauré. Compte tenu des circonstances, je voulais créer une soundtrack pour un voyage intérieur, un mix qui pourrait vivre «dans votre esprit» (pour citer le titre de la pièce de Shinedoe qui se retrouve dans le mix! 😉
Ton émission sur CKUT, Modular Systems Radio, continue toujours malgré la pandémie et nous fait découvrir de fantastiques artistes à chaque édition. As-tu eu de la difficulté à garder la motivation durant la dernière année et est-ce que la musique a représenté un exutoire pour toi?
J’ai certainement eu des passages à vide, et la musique est définitivement une bouée de sauvetage. La régularité de l’émission aide à me garder motivée. C’est assez étrange de ne pas avoir accès au studio de CKUT depuis maintenant plus d’un an, j’ai vraiment hâte d’y retourner! J’ai également aidé à organiser l’espace de female:pressure pour COMMON dans les six derniers mois, ce qui m’a gardée occupée et qui m’a introduit à beaucoup d’artistes du réseau de female:pressure.
La dernière année a été plutôt tranquille de ton côté en matière de parution, est-ce que tu as quelques projets en cours qui verront le jour prochainement? Que réserve la fin de 2021 pour CMD?
Vrai, ça a été plutôt calme même si j’ai eu la chance de faire quelques remixes, ce qui est un défi intéressant. J’ai également travaillé sur de nouvelles productions alors je planifie sortir quelque chose plus tard cette année!
Jeanna, malgré la pandémie, tu as réalisé plusieurs performances dans les derniers mois, dont une au Kanal Pompidou. Je me demandais comment tu avais vécu cette période avec toutes les contraintes liées à l’organisation de concert et quel fut le sentiment d’offrir une prestation dans un lieu aussi culte dans la situation actuelle?
Oui, étonnamment/étrangement, j’ai pu jouer plus durant la pandémie qu’avant celle-ci. J’avais déjà commencé à travailler sur cette pièce et j’étais plutôt avancée dans mon processus, donc j’étais prête à profiter au maximum d’une résidence qui m’était offerte durant la pandémie. Il y a un hôtel à Bruxelles appelé The Jam Hotel qui voulait supporter les artistes locaux·les tout en générant au même moment du contenu pour l’hôtel dans ces temps difficiles. Ça a vraiment été salutaire pour moi d’avoir la chance d’interagir avec d’autres artistes… partager et échanger… J’ai décidé d’inviter des gens en groupe de deux pour assister à ma performance. C’était très intense de performer pour seulement deux personnes dans une petite pièce. Il y avait une superbe connexion avec «l’audience» dans cette formule unique.
J’ai adoré le faire et j’ai reçu tellement d’énergie de leurs réactions. C’était vraiment inspirant et ça m’a empêchée de ressentir une perte de perspective comme tant de mes ami·e·s musicien·ne·s l’ont vécu lorsque leurs tournées ont été annulées, que leurs parutions ont été reportées, etc… J’ai trouvé une formule qui fonctionne bien pour moi et je me sens très chanceuse. C’est en raison de ses mini-performances que j’ai rencontré l’organisatrice du Kanal Pompidou, Anna Lopocaro. Elle a aimé ça et m’a invitée à performer pour leur émission de radio en direct, After Hours, qui est accessible sur SoundCloud à ce lien.
Je suis une grande amatrice de radio en direct en premier lieu et la manière dont est disposée la station de radio dans leur édifice est incroyable. Je crois que chaque institution devrait avoir sa propre station de radio. C’est une fantastique troisième dimension pour découvrir le travail des artistes. Et encore mieux, la petite équipe était composée de deux femmes vraiment cool qui ont beaucoup aimé ce que je faisais. Je me suis sentie à la maison et très honorée d’avoir cette opportunité.
Alors que toutes les autres artistes offrent des mix dans le cadre de la série Women Rule The Music, tu nous proposes plutôt une composition personnelle aux allures électro-pop, une splendide ballade. Qu’est-ce qui t’a incitée à présenter cette pièce et d’où tires-tu ton inspiration lorsque vient le temps de produire la musique?
La chanson qui a été choisie pour la série Women Rule The Music a en fait été sélectionnée par Salima Bouaraour. Je lui ai envoyé toutes mes pièces et elle a opté pour celle-ci. Ça a beaucoup de sens conceptuellement considérant qu’elle a été écrite selon la perspective de Penelope, la femme d’Ulysse de l’Odyssée d’Homère. Et en effet, elle a régné sur Ithaca alors qu’Ulysse était parti combattre dans la Guerre de Troie. Bien sûr, ce fait était évité dans l’Antiquité et du même coup, elle était peut-être la première modèle pour le féminisme. Tout au long de l’histoire, elle est louée pour sa «fidélité» à son mari, mais en fait, elle représente une intelligence et une ruse suprême, une dirigeante juste, une femme seule parmi les hommes, une formidable tisserande, une mère monoparentale dévouée et une fille attentionnée. Je pense qu’elle est un peu la première femme «badass» de tous les temps et elle m’a fait penser à l’artiste sri-lankaise M.I.A. J’ai aimé une série de photos qu’elle a réalisée pour un magazine, et bien sûr, je ne me souviens plus lequel c’était, mais les photos étaient prises dans un château et elle était habillée comme un prince indien. J’adore son audace et sa beauté. C’était une inspiration pour la chanson et ça correspond assez bien au thème.
Après quelques mois plus actifs à offrir de nombreuses performances, qu’est-ce que les prochains mois annoncent pour Jeanna? As-tu des parutions, des collaborations ou des concerts qui s’en viennent?
Oui, beaucoup de charbon sur le feu comme on dit. Je suis présentement en train de produire un album, mais je me questionne encore à savoir comment je veux le laisser paraître. Il y a, espérons-le, des performances à l’international qui s’en viennent, mais souhaitons aussi que nous continuions à garder le virus sous contrôle pour que les festivals et la culture en général reviennent. Ça semble prometteur, alors c’est positif. Mais, une chose est certaine… je ne crois pas que nous devons espérer que les choses reviennent comme elles l’étaient avant la pandémie parce nous devrions avoir appris certaines choses de cette folie. Je suis intéressée à continuer de trouver des solutions et à penser plus créativement à propos de profiter de plus en plus de mon processus créatif afin que le résultat, sur lequel je n’ai pas de contrôle, soit de moins en moins un obstacle. Je produis de la musique et c’est déjà bien pour moi.
Merci pour votre temps!