[Scène française] BRUIT ≤ – The Machine is burning and now everyone knows it could happen again
Le post-rock coule dans mes veines depuis plus de 20 ans maintenant. Ce genre est bien évidemment présent aux quatre coins du monde. De la France on peut penser à Year Of No Light (qui sort son nouvel album le 2 juillet), mais pour la suite il faut creuser dans une scène plus indépendante pour trouver des pépites. En 2018, Silent Whale Becomes A° Dream a confirmé une belle réputation avec le désormais culte Requiem, en 2019 Lost In Kiev nous présentait leur merveilleux Persona, l’année 2021 sera celle de BRUIT ≤ qui sort son premier véritable album faisant suite à un excellent EP portant le nom de Monolith paru en 2018.
On ferme les yeux, on se lance dans The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again. Et on tombe. La chute se veut vertigineuse et on ne sait pas comment on en ressortira. On est émotionnellement violenté·e et une quantité d’images chaotiques s’entrechoque. Pourtant on se sent comme dans du coton, en sécurité. Il n’est nullement question de bruit ici, mais de sons mélodiques enveloppants, dans une ambiance chaude et froide en même temps.
Chaude parce que la production est incroyable. La démarche est assez unique pour un disque récent. Effectivement, le quatuor a créé sa propre base de samples à partir de synthés analogues, de boîtes à rythmes ou d’enregistrement acoustique. S’il y a eu des modifications numériques, le tout a été généré de manière artisanale. Alors qu’aujourd’hui beaucoup de groupes ont recours à des paysages sonores (néologisme inventé par R. Murray Schafer en 1977) tout droit issus d’internet, nous sommes face à une exécution des plus organique, des plus humaine.
Curieusement, il en résulte aussi une certaine froideur provenant de l’engagement des musiciens. Le titre de l’album en lui-même est révélateur. Effectivement, il y a un parti pris, très politique et assez sombre. Cela se manifeste par exemple par un monologue d’Albert Jacquard (scientifique français) contre la compétition sur Industry, ou celui d’un activiste écologique (extrait issu du documentaire If a Tree Falls: A Story of the Earth Liberation Front) témoignant de la catastrophique déforestation aux États-Unis sur Amazing Old Tree.
L’écoute est exigeante, il y a ce choc entre le néo-classique, le post-rock et l’électronique qui ne cessent de s’entremêler, mais le voyage n’en est que plus saisissant. Cela peut donner comme première impression un petit côté Godspeed You! Black Emperor, mais le groupe parvient à s’affranchir de ces géants sans trop de mal. Comme dans Monolith, le son nous interpelle par sa clarté et nous enveloppe. Par ce fait, nous entendons chaque membre.
Il s’agit d’un album intime, même si, dans sa construction, il est épique. Cette dimension intimiste est renforcée par le fait que les compositions fourmillent de petits détails et par ce sentiment d’immersion. Il y a une dimension cathartique, un grand cri du cœur, tant le tout sonne juste. L’atmosphère qui se veut douce au premier contact renferme une douleur, une noirceur et un certain désespoir, résultat de la frustration sociopolitique qui nous entoure. Les samples sont criants de vérité et donnent un côté anxiogène qui sied bien au contexte de notre époque, pandémie ou pas. Épique, parce qu’il est question de longues compositions typiques au genre, ponctuées d’une mélancolie et de crescendos implacables, laissant place à l’évasion.
Nous sommes face à un groupe poussant les limites intrinsèques du post-rock, qui apporte un regard nouveau par une conception qui, si elle peut paraître désuète, n’en reste pas moins authentique, et finalement innovante. The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again est sensible et juste, bourré de paradoxes et pourtant très cohérent. Il provoque un grand frisson, et il n’est pas interdit de verser une petite larme.
→ À écouter si vous aimez : Flies Are Spies From Hell, Godspeed You! Black Emperor, Mono & Sigur Rós
→ Morceau favori : Industry
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Paru le 2 avril 2021.
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