[Recommandation] Amenra – De Doorn
Chroniquer un nouvel album d’Amenra n’est pas chose aisée. Dans la scène actuelle, très peu de groupes jouissent d’une telle reconnaissance. Fleuron de la scène post-hardcore/métal, chacun de leur disque est le chef-d’œuvre de quelqu’un. Depuis plus de 20 ans, ils délivrent de véritables hymnes à la souffrance ne laissant que peu de place à l’espoir et à la lumière. Le groupe use beaucoup de symbolisme religieux. Ce n’est pas pour rien que leurs six premières sorties se nomment Mass (Messe). Cette souffrance, cet aspect de rituel, se retrouve aussi sur scène. Leurs interprétations sont d’une intensité hors du commun. En 2009, lors d’une interprétation à Courtrai, Colin Van Eeckhout était pendu par des crochets, à même la peau, le tenant en lévitation. Les voix furent alors assurées par Caro Tanghe de Oathbreaker. Lors du lancement de Mass VI en 2017, Colin avait 14 grosses pierres comme le poing pendu à son corps, par des crochets encore une fois. C’est une manière de cristalliser la souffrance et d’atteindre un certain soulagement. De cette intensité naît quelque chose de transcendantal qui pourra en repousser certains et certaines. On l’aura donc compris, un album d’Amenra ne peut s’aborder comme n’importe quel autre album, et, devient une expérience en soi. Il y a une dimension émotive que l’on acceptera… ou pas.
Qu’il s’agisse de la musique, de l’esthétique ou des prestations scéniques, tout est peaufiné dans les moindres détails. Au-delà du groupe lui-même, s’est développé le Church Of Ra (dans lequel évolue Oathbreaker) qui est un rassemblement de formations et de musiciens proches du groupe. Amenra fait donc preuve d’une cohérence implacable.
Pourtant, les deux dernières années marquent un tournant. Le bassiste, Levy Seynaeve, quittait le navire pour laisser la place à Tim de Gieter, et le groupe signait chez Relapse Records, label un peu fourre-tout, mais qui a connu ses moments de gloire. À cela s’ajoute l’annonce du nouvel album, De Doorn. Un disque qui rompt avec le cycle des Mass, et qui est exclusivement chanté en Flamand. Si la somme de ces petits événements au sein du quintette pouvait en rendre anxieux·euses plus d’un·e, force est de constater que le résultat est extrêmement puissant. Cet acte de foi s’impose comme la suite logique d’une discographique sans faille.
La conception de cet album a quelque chose de bien particulier. En 2019, le groupe a célébré ses 20 années d’existence avec une performance mettant en scène un rituel. Le groupe jouait devant une structure en feu servant à exorciser les démons de l’assistance et du groupe lui-même. Les flammes laissaient apparaître une sculpture en bronze de Johan Tahon. Le rouge incandescent dû à la chaleur serait alors la représentation d’un nouveau symbole d’espoir. De ce concert est né De Doorn. Le groupe, ne faisant pas les choses à moitié, a offert la possibilité de visionner ce spectacle deux jours après la sortie de l’album. Ce qui ajoute une dimension supplémentaire à cette œuvre majeure.
Si nous n’échappons pas à la souffrance avec cet album, nous avons atteint ici un autre stade. Nous sommes toujours dans le rituel. De Doorn sonne comme un chemin de croix, une purification voire une expiation. L’introduction y est lente et inquiétante. C’est toujours douloureux, mais nous pouvons ressentir une certaine sérénité. Sous cette déferlante de décibels et cette lourdeur titanesque, cet apaisement se manifeste non seulement par un chant clair désormais omniprésent, mais aussi par l’intervention de Caro Tanghe qui viendrait presque nous réconforter avec son chant hypnotique. Sur Ogentroost le duo fait des merveilles avec leur chant entremêlé lors d’une déclamation limite incantatoire. Elle est aussi le parfait contrepoids au chant arraché de Colin. À ce titre, il offre tout son éventail, et dispense ainsi la meilleure performance vocale de sa carrière. Sa voix claire n’aura jamais été aussi juste. Il acquiert une assurance assez incroyable, notamment sur De Evenmens, chanson sur laquelle les parties en spoken words et chant clair se complètent avant de terminer dans une décharge émotive incommensurable. Le charismatique leader atteint une dimension stratosphérique sur Het Gloren où il conjugue spoken word (à la limite des murmures), chant éraillé, voire carrément hardcore, témoignant de cette assurance. Si le groupe ne remet pas en question son identité musicale, ou ne cherche pas à se réinventer, il la transcende avec des compositions qui respirent davantage. La production, plus ample et plus ronde renforce cette sensation de communion et de partage.
En délaissant l’anglais et le français, le groupe délivre son album le plus sincère. Avec sa langue maternelle, la formation se met d’autant plus à nu, et offre son véritable visage. Cette sincérité est palpable dans les moments susurrés ou en spoken words, où Colin se livre corps et âme. Ces moments sont précieux et nous offrent une intimité partagée qu’Amenra n’avait que peu ou pas abordée auparavant. En cela le groupe rompt avec son passé. Là où la période des Mass était une expérience intime et solitaire, celle amorcée par De Doorn est une expérience de partage. Le groupe se devait donc de trouver un nouveau vocabulaire. Outre l’apparition d’une nouvelle clarté dans la musique, et de cette représentation live d’un nouvel espoir. S’ils ont mis en scène ce rituel, c’est bien pour le partager avec les adeptes du groupe. Lors des rituels précédents, nous étions spectateurs et spectatrices d’une souffrance et d’une délivrance personnelle. Là, nous sommes témoins d’une purification par le feu. Le spectacle devient une catharsis et redonne ainsi un certain espoir, aussi lugubre soit-il. La participation de Caro à l’album en tant que chanteuse est aussi une preuve de ce partage. Le plus remarquable est que malgré la barrière de la langue, le groupe s’ouvre davantage et resserre ce lien privilégié avec son public.
Cet album est le résultat d’une carrière de plus de 20 ans sur la souffrance. Une souffrance dont le groupe parvient enfin à se libérer tout en gardant les stigmates. Une œuvre somme qui aboutit à un enregistrement sincère autant dans la démarche que dans les convictions.
→ À écouter si vous aimez: Cult Of Luna, Neurosis et Sunrot
→ Morceau favori: Het Gloren
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Paru le 25 juin 2021 sur Relapse Records.
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