[Entrevue] [walnut + locust]
Cette deuxième entrevue en est une toute particulière. Non seulement vous aurez la chance de découvrir une vingtaine d’artistes extraordinaires de la région de Montréal, mais vous le ferez en venant en aide à une cause excessivement importante, celle des droits des animaux. La manière dont notre société interagit avec la nature et les autres espèces vivantes reflète très bien les nombreux problèmes de la race humaine. Le projet de loi concernant l’interdiction des chiens jugés « dangereux » à Montréal est un exemple supplémentaire d’une classe politique et médiatique complètement déconnecté des réels enjeux et solutions.
Il était donc important de souligner l’admirable initiative de la maison de disques [walnut + locust] et sa compilation My Montreal Inludes All Dogs And Cats, qui viendra en aide à la SPCA dans sa lutte judiciaire contre la ville. Cet échange avec Albérick vous permettra d’en apprendre davantage sur cette étiquette basée à Montréal, mais surtout, vous plongera au cœur de la scène musicale expérimentale qui a décidé de prendre position en faisant du bruit, beaucoup de bruit.
Pour acheter la compilation, c’est ICI.
Je tiens tout d’abord à te féliciter pour cette noble initiative. Il faut du courage pour s’investir dans un débat comme celui-ci et la compilation en regorge. Est-ce la première fois que [walnut + locust] met sur pied une parution directement reliée à une cause sociale?
Merci beaucoup pour ton soutien. Nous avions déjà collaboré avec 0BPM et Culture Is Not Your Friend! en 2011 pour la compilation Noises For Japan suite au tremblement de terre au Japon qui avait causé la catastrophe de Fukushima. Les dons recueillis par cette compilation sont allés directement à l’organisme JEARS qui aidait les animaux domestiques et ceux des fermes, ainsi que leurs propriétaires délocalisés. Il y a aussi eu la compilation Free Kittens pour aider des chats communautaires qui vivent sous un programme de CSRM (TNR).
De quelle manière cette loi s’attaquant aux droits des animaux te percute t’elle au point de poser un geste aussi significatif?
La première chose que je souhaite mentionner est que je n’ai pas de chien et que je vis dans une municipalité défusionnée, donc cette loi ne s’applique pas directement à moi. Ensuite, le Québec est une province absolument arriérée en matière des droits des animaux. Nous sommes tristement la capitale nord-américaine d’usines à chiots. En tant qu’européen d’origine, c’est vraiment quelque chose qui m’a profondément choqué en venant m’installer ici. Quand cette loi a été adoptée, j’ai ressenti une profonde honte d’être montréalais. Plusieurs milliers de chiens risquent d’être euthanasiés et des centaines de chiens et chats pourraient être abandonnés à cause des quotas imposés par la ville. C’est absolument dystopien comme vision. J’ai voulu transformer ça en quelque chose de positif qui allait aussi montrer à l’international ce qui se passe dans notre ville. Le droit des animaux est un sujet qui me touche beaucoup dans la vie en général. Je te recommande d’ailleurs vivement la lecture de la Cambridge Declaration On Consciouness.
La compilation regroupe un nombre imposant d’artistes de la région de Montréal, comment t’y es-tu pris pour rallier tous ces gens autour de la cause?
Je voulais faire une compilation réunissant uniquement des artistes montréalais. La mobilisation a été formidable et je tiens à saluer l’ensemble des participants pour leur implication. La compilation a été bouclée en seulement deux semaines. J’ai fait le tour de mon carnet d’adresses et il y a eu un effet de bouche à oreille inespéré au sein de notre communauté underground.
Mis à part la prise de position musicale que tu proposes avec l’album, quel est ton avis sur la décision de la mairie en rapport aux chiens jugés « dangereux ». Qu’aurais-tu préféré voir ressortir de ce débat animé plutôt que l’interdiction totale des pitbulls?
Il a été prouvé que le bannissement d’une race particulière de chiens n’est pas une solution à ce problème. Les Pays-Bas et l’Italie ont aboli ces interdictions. Malheureusement, il semblerait que le maire Denis Coderre préfère se fier aux conseils d’une « experte » que de ceux de vétérinaires réputés. Je te conseille l’article Chiens dangereux à Montréal: un règlement abusif, irrationnel et arbitraire du Huffington Post. Le réel problème n’est pas la race du chien, ni la quantité d’animaux, mais le comportement du maître. La ville de Calgary a mis en place une législation dans ce sens qui semble réellement fonctionner. Malheureusement, ici c’est du grand guignol devant les médias et rien de plus.
La qualité des compositions est percutante, la variété des styles proposée est étonnante. Es-tu agréablement surpris de l’effort fourni par tous les musiciens et musiciennes qui ont décidés de collaborer à My Montreal Includes All Dogs And Cats?
Tous les artistes présents sont établis et reconnus non seulement dans notre scène locale, mais aussi à l’échelle internationale. Ce sont des artistes que je vais voir en concert, à qui j’achète les disques. J’ai même reçu certains comme invités dans mon émission Symbiose. J’avais entièrement confiance sur la qualité de leurs compositions.
Afin que les lecteurs en apprennent davantage sur [walnut + locust], voici quelques questions sur les origines de la maison de disques. Tout d’abord, que signifie le nom intrigant et qui se cache derrière ce projet qui perdure depuis 1999?
Walnut et Locust sont deux rues parallèles à Philadelphie où j’ai vécu dans les années 1990. [walnut + locust] a débuté en tant que webzine en 1999, issu de mes expériences fanzinesques du début des années 1990. Notre première production, la compilation Red, est sortie pour souligner les cinq ans du webzine et de fil en aiguille nous sommes toujours là en tant que micro-label indépendant.
Le label était originalement basé à Lyon, quelles raisons t’ont poussé à quitter la France pour t’établir à Montréal en 2007?
Des raisons purement personnelles. Je suis venu pour la première fois à Montréal en 2002 et j’ai tout de suite été fasciné par la scène locale. J’étais déjà un très grand amateur des groupes de la première vague du label Constellation et Alien8.
La plupart de tes publications sont offertes en quantités limitées, souvent dans des formats non conventionnels. D’où provient ta fascination pour faire les choses hors des sentiers battus et de manière plus personnelle?
Je suis un collectionneur de disques. J’ai toujours été fasciné par les beaux objets et les éditions limitées. J’aime aussi collectionner tous ces formats aujourd’hui obsolètes: le minidisc, le DAT, le reel-to-reel et le 8-track. Aujourd’hui avec la dématérialisation de la musique, le CD a perdu quasiment toute sa valeur et les ordinateurs n’ont même plus de lecteurs. J’aime particulièrement le format CD 3″ car il se prête à la mise en vente dans les machines automatiques du réseau Distroboto. Louis Rastelli a vraiment eu une idée de génie avec ces machines et je suis réellement très heureux de pouvoir distribuer nos productions à travers ce réseau.
En plus de [walnut + locust], il y a également Obsolete Records. Quelle est la différence fondamentale entre ces deux paliers de ton label, y a-t-il un type de matériel que tu réserves pour l’un en particulier?
Obsolete Records est la facette DIY de [walnut + locust]. Au départ, c’était un moyen de diffuser ma propre musique et celle de mes amis pour que les gens qui viennent nous voir en concert puissent repartir avec un souvenir. Je suis ensuite venu au digital, la plupart des productions étant en téléchargement libre.
Pour conclure, dans la triste éventualité d’une application de la loi après les procédures judiciaires en cours, as-tu d’autres idées pour continuer la lutte face à cette injustice, par exemple des concerts-bénéfices ou même d’autres volumes de cette compilation?
Je ne prévois pas d’autres volumes de la compilation, mais une application de la loi serait une réelle tragédie pour la ville. Les prochaines élections municipales auront lieu en 2017. Nous aurons alors la possibilité d’exercer notre droit d’électeur pour que le maire Denis Coderre puisse céder la place à quelqu’un de plus « humain ».
Merci pour ton temps!
- Révision du texte par Geneviève Larouche.