[Entrevue] Automatisme & Erinome
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Les deux noms ci-haut vous sont certainement familiers si vous suivez le site depuis déjà un bon moment. Ce sont deux artistes avec qui nous entretenons des liens bien particuliers. Le talent de ces deux musiciens n’a d’égal que leur grande générosité. Ils furent parmi les premiers à s’intéresser à notre projet et à nous avoir fait confiance pour la diffusion de leur somptueuse musique.
Cette collaboration très attendue au sein de la rédaction ne se méritait rien de moins qu’une entrevue afin d’apprendre les moindres détails derrière cette première association entre William Jourdain d’Automatisme et Aaron Hansen d’Erinome. Prenez quelques minutes pour découvrir les origines de cette relation spontanée qui résulta en la création de Post-Landscape 1, une parution des plus fascinantes!
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Pour débuter, j’aimerais savoir comment votre relation a-t-elle pris forme? De quelle manière avez-vous découvert le travail de l’autre et qu’est-ce qui vous a poussé à entamer ce projet commun qui donna vie à l’album Post-Landscape 1?
Aaron : J’ai tout d’abord découvert le travail de William en tant qu’Automatisme sur le site internet de Constellation Records. J’étais très heureux de voir que l’étiquette commençait à donner la chance à quelques projets plutôt orientés vers l’électronique, je l’ai rapidement remarqué. À la base, je n’avais aucunement l’idée de le contacter. En réalité, j’avais préparé un DJ set pour un concert local en utilisant son morceau Simultanéité 4, mais je n’ai finalement pas pu faire la performance. Je l’ai plus tard réutilisé pour un mix sur le podcast Underground Heroes. Lorsqu’il est sorti, j’ai identifié tous les artistes que je pouvais et à ma grande surprise il l’a remarqué, commenté et nous avons entamé une conversation qui se perpétue depuis ce jour. Je l’ai alors encouragé à soumettre du matériel à Neologist Productions s’il cherchait à faire paraitre quelque chose en format cassette. Nous avions aussi brièvement évoqué l’idée de faire une collaboration lorsque le temps serait opportun. Aussitôt que le moment a été propice, nous avons débuté le travail qui a mené à la création de cet album.
William : Au début du mois d’août 2017, j’ai reçu des notifications sur mes pages Facebook et Soundcloud provenant d’un podcast des États-Unis. C’était une série d’épisodes où un artiste sonore est invité à faire des remix. C’est le collectif d’artistes et maison de disques Make Mistakes qui est derrière ce projet. Or, pour l’épisode 39, le musicien Erinome a remixé l’une de mes pièces publiée chez Constellation en 2016. J’ai écouté l’entièreté de son podcast d’environ une heure et j’ai été épaté instantanément par la qualité et par le caractère englobant de ses productions. Aussi, j’étais ravi que l’une de mes compositions soit retravaillée dans le même épisode que d’autres artistes que j’adore comme Aphex Twin et Jetone, un ancien projet de Tim Hecker. Aussitôt, Aaron et moi avons commencé une conversation virtuelle, une amitié s’est développée et depuis, nous nous écrivons tous les jours.
Nos conversations tournent autour de la philosophie, de nos croyances et de la musique. Tout cela, bien sûr, à travers l’apprentissage de ce que fait l’autre dans la vie. Nos projets solos reviennent constamment dans nos conversations. Nous écoutons et commentons la production personnelle de l’autre. Cela se fait avec un ton constructif, ce qui nous permet, par la suite, de mettre l’accent ou de réduire certains éléments dans notre musique. La présence de quelqu’un qui sait commenter ma musique en l’aidant et sans l’attaquer est importante et rare.
Dans nos premières discussions, le sujet de nos projets à venir est survenu et Aaron m’a fait découvrir l’étiquette de son cousin Zach Schiermann se nommant Neologist Productions. Nous avons lancé l’idée de collaborer et de publier sur cette étiquette un disque sans nécessairement nous fixer de date. Deux à trois mois plus tard, au début de l’automne, il m’a envoyé un jam de drone ambiant s’intitulant Inwant 2 qui durait plus d’une heure en me disant de faire ce que je voulais avec cela. À la première écoute, j’ai tout de suite accroché et imaginé ma musique jumelée à ses thèmes. Comme un tableau abstrait avec plusieurs plans qui s’imbriquent librement. J’ai eu instantanément l’idée d’une musique ou des drones et des rythmes s’influencent en continu. Lors de la première écoute de la pièce qu’Aaron m’a envoyée, j’étais dans mon lit épuisé de ma journée. J’ai enfilé mes écouteurs et la fatigue s’est dissipée, car l’écoute fut vraiment captivante! En plus, durant les derniers temps, j’avais accumulé plusieurs nouveaux squelettes de compositions s’intitulant Entrepôt, qui étaient divisés en plusieurs chapitres. Donc, le synchronisme était parfait pour faire un album avec lui. Ces pièces étaient issues d’échantillonnages que j’avais captés dans un entrepôt à Saint-Hyacinthe se trouvant dans un lieu de transit. Cet endroit jumelait plusieurs types de sites, ce qui renforçait sa richesse sonore. Les sons d’une autoroute, d’un concessionnaire automobile, d’un interphone extérieur, de divers commerces et d’une vaste forêt sont tous captés via cet entrepôt. Les autres instruments agissant sur celles-ci étaient de nouvelles patches d’instruments modulaires digitaux issues d’expérimentations récentes. Le tout était monté ensemble dans plusieurs projets Ableton Live sous forme de pièces en construction. Entrepôt représente des expérimentations et des compositions récentes qui s’alignaient pour être le prochain album solo d’Automatisme faisant suite à l’album intitulé Transit que je venais de remettre à Constellation.
La pièce Transit 2 figurant sur Post-Landscape 1 est issue de mes sessions de production de cet album et Aaron a ensuite ajouté sa touche. Les échantillonnages originaux présents dans la pièce Transport 4 et les images originales utilisées pour la pochette de l’album et pour le vidéo de cette pièce sont de la gracieuseté de mes amis chiliens, les deux frères Juan David et Christian Lucio Sanchez œuvrant avec leur étiquette G89 Records. Ce sont des sonorités et des images captées à Santiago au Chili dans deux stations de métro en construction. Ceci me rappela le thème des lieux de transport que j’avais utilisé pour l’album Momentform Accumulations. Or, Aaron, Zach et moi avons fait des compositions abstraites sonores et visuelles à partir de tout cela pour l’album Post-Landscape 1.
J’ai cru comprendre que la création s’est déroulée à distance. Est-ce la première fois que vous faites la conception d’un album de cette manière et comment avez-vous vécu l’expérience?
Aaron : En effet, nous sommes très éloignés. Je suis basé à Omaha, dans le Nebraska aux États-Unis et William est dans la région de Montréal. J’ai déjà retravaillé les compositions de plusieurs artistes et vice-versa, alors je suis habitué au principe d’échange de fichiers. Par contre, il s’agit de ma première expérience de création d’un album entièrement conçu à distance. C’était une expérience vraiment simple et amusante. Comme nous utilisons tous les deux Ableton Live, c’était plutôt facile de savoir comment l’autre allait ajouter les couches supplémentaires. Je me sentais un peu comme dans un jeu, nous ajoutions les morceaux à tour de rôle. Parfois, nous discutions de nos idées avant de les exécuter pour finalement surpasser nos attentes initiales. J’ai vraiment eu du bon temps en faisant cela!
William : C’est la première fois que je fais une création sonore à distance. Je suis de nature solitaire et j’aime avoir beaucoup de temps seul pour créer et réfléchir. J’ai tout de même quelques amis artistes que je fréquente ou contacte toutes les semaines et mes emplois de disquaire et de libraire me permettent de discuter constamment sur l’art, ce qui fait écho dans Automatisme. Habituellement, les autres créations à distance que je fais sont pour des concerts audiovisuels où je fais la création sonore et où un·e artiste fait la portion visuelle. Comme Myriam Boucher, Patrick Foisy ou encore Jacob Gladu avec qui j’ai principalement collaboré. Dans tous ces cas, nous créons à distance, mais nous nous rencontrons pour discuter, composer et pratiquer nos performances.
Les seules exceptions sont les longues balades de captations de sons et d’images avec l’artiste visuel Patrick Foisy qui sont davantage quotidiennes. C’est une tout autre histoire pour ma collaboration avec Erinome, car nous habitons dans deux pays différents, nous ne nous sommes jamais rencontrés physiquement et que nos seules conversations ont été sur internet. Tel que susmentionné, le courant passe aisément entre nous deux, donc la création est entièrement spontanée. L’expérience de faire un duo avec lui est une révélation et une bénédiction. Elle a permis une élévation de notre créativité. Jamais nous n’étions bloqués dans le processus de composition et de production. Au contraire, nous avions toujours des idées et des portions à améliorer.
Quels sont les éléments présents dans la musique de l’autre qui vous sortent de votre zone de confort? Pourriez-vous décrire vos processus créatifs afin de mieux comprendre vos rôles au sein de cette collaboration?
Aaron : Je n’ai jamais été très doué dans l’art de créer des rythmiques. Mon intérêt immédiat à travailler avec lui provenait de la dense esthétique mécanique qui émanait de son travail. Ses compositions sont formées presque uniquement de rythmes qui s’apparentent à des courants électriques. Quand nous avons commencé la création de Post-Landscape 1, j’ai remis à William un long morceau de drone de plus d’une heure en lui disant de faire ce qu’il désirait avec cela. Je voulais que l’élément de surprise soit présent au maximum dans le processus créatif. Mon champ d’expertise est plutôt le drone et la mélodie, c’est un peu comme mettre de la colle dans les fissures si on veut. Pour ma façon de composer, je joue de la guitare à travers une chaine de pédales d’effets que j’enregistre ensuite et je les retravaille dans Ableton Live pour le rendu final. Ensuite, j’envoyais le tout à William pour l’étape suivante.
William : Ce qu’Aaron fait qui me sort de ma zone de confort est qu’il n’utilise aucun tempo et qu’il fait sa musique de manière improvisée. Plus précisément, après avoir enregistré de longues improvisations à la guitare et aux machines, il fait un montage et une postproduction dans Ableton Live sans considérer le tempo, mais seulement en suivant ses habiletés et son intuition. Ainsi, selon moi, il parvient à créer une musique atemporelle qui va au-delà du temps linéaire et en flouant la perception de la durée. Pour ma part, je fais moduler et automatise extrêmement le tempo de mes pièces pour flouer le temps. Pour Automatisme, le tempo est un instrument aussi. L’intégration de ces deux conceptions et utilisations différentes dans une même composition nous a surpris dans le bon sens du terme!
Notre processus créatif est de faire un premier jet où nous créons de nouveaux squelettes de pièces et des patches d’instruments chacun de notre côté, puis, nous mettons ces deux mondes en commun. Le deuxième jet est que je fais la production de l’album dans mon studio. Lors de chacune des modifications dans la production d’une pièce, j’exporte la composition et je lui fais parvenir, puis, nous discutons de ce que nous voulons ajouter où enlever dans la pièce. C’est de cette manière que nous avons construit notre musique. Aaron me renvoyait souvent de nouveaux clips audios comblant certaines facettes manquantes que nous avions précédemment discutées. Finalement, j’ai plusieurs dizaines de fichiers audios d’exportations de chacune de nos compositions qui couvrent toute l’évolution de la production de l’album. Aussi, les squelettes de mes morceaux Entrepôt avaient des longueurs de tempos, de mesures et de boucles déjà fixées avant notre collaboration. Après avoir séparé par parties les longs thèmes d’Aaron, je les ai intégrés à mes structures déjà existantes. La rencontre de nos deux mondes a été un jeu de composition qui donna lieu à un résultat aussi fluide que complexe tout en mixant la considération ou non du tempo. Pour terminer, c’est moi qui ai mixé et qui ai fait le mastering de l’album.
Y a-t-il une composition qui vous est plus chère ou plus personnelle? L’une qui a été plus intense en termes de démarche créative par exemple ou qui signifie quelque chose de spécial pour vous.
Aaron : Transport 4 est probablement la plus importante à mes yeux. Elle fut originalement enregistrée avec mon téléphone à partir d’un microphone condensateur qui était dirigé directement vers mon amplificateur. Je testais une nouvelle pédale à ce moment, comme nous pouvons le constater, ce fut un succès. Beaucoup plus que ce à quoi je m’attendais! Le traitement que William a ensuite fait aux morceaux a donné un résultat qui surpassait mes attentes. Je suis un grand amateur de trémolo, il a su ajouter au momentum et renchérir la puissance initialement présente dans la pièce.
William : La composition la plus chère et personnelle est Inwant 2 Entrepôt 1, la face B de l’album, car c’est la pièce la plus complexe et variée que j’ai créée jusqu’à présent. Toutes nos thématiques sont dans cette même pièce ; musique semi-générative, improvisation, post-paysagisme et ambiant. En produisant l’album, nous avons découvert que nous affirmions une musique qui était en constant changement, car la portion semi-générative fait appel à des probabilités et l’improvisation est également présente. Donc, à chaque fois que j’exporte l’un de nos morceaux, le logiciel calcule différemment les probabilités de génération du son dans des barèmes que j’ai fixés préalablement et ceci engendre une résultante toujours variable.
C’est ainsi que le thème du post-paysagisme est arrivé, car nous présentons notre musique comme une forme de paysage qui jumelle la contemplation et le hasard. Ce qui le compose est un mélange de dub, d’IDM et de glitch semi-génératifs formant les rythmes au premier plan, tout cela en ajoutant des échantillonnages et du drone en continu dans l’arrière-plan. Le format idéal serait de faire une installation sonore où nos compositions se génèreraient continuellement et où nous ajoutons en temps réel des improvisations de manipulations sonores.
Pour conclure, avez-vous songé à rendre cette musique vivante physiquement avec une performance? Que réserve l’avenir de cette collaboration, y a-t-il d’autres volets de Post-Landscape à anticiper ou bien vous vous concentrerez sur vos projets personnels?
Aaron : Nous n’avons encore rien de concrètement planifié, mais j’imagine définitivement une suite à l’album dans le futur. Pour le moment, nous allons sans doute réutiliser les bases de ces compositions afin de les intégrer dans nos prestations en solo. C’est la manière idéale de garder les pistes fraîches et de préparer le terrain pour une éventuelle collaboration en concert. Lorsque nous composions l’album, nous avions beaucoup de projets personnels en simultané. Ce fut un réel plaisir de travailler ensemble et nous avons déjà hâte de le faire à nouveau.
William : Il y a des prestations d’Automatisme en solo de prévues. Aussi, il y a le souhait de nous produire en duo, mais ce n’est pas encore planifié. Nous aimerions bien le faire dans le cadre d’un festival comme le Mutek par exemple. Nous apprécierions bien que ce genre d’événements s’intéressent à nous pour des performances en duo. Avis aux intéressés·e·s! De plus, l’avenir entre Aaron et moi nous permettra certainement de continuer nos nombreuses discussions sur internet et aussi de donner lieu à d’autres collaborations musicales. Les autres volets à Post-Landscpace 1 sont mes deux prochaines performances les 12 et 13 mai prochain à Montréal et à Saint-Hyacinthe. Ce seront des performances reliées à l’album incluant les méthodes semi-génératives et semi-improvisées.
Finalement, du côté d’Automatisme en solo, je travaille présentement sur deux nouvelles parutions. Une qui sortira chez l’étiquette chilienne G89 records prévue pour la fin de 2018. Le premier extrait paraîtra au mois de juin via leur compilation Minds On Future. Aussi, il y a en préparation un album en duo avec thisquietarmy, une légende de la musique drone avec qui j’ai eu la chance de jouer il y a plusieurs années. Bien sûr, il y a l’album Transit que j’ai réalisé en 2017 et qui est à paraître chez Constellation le 24 août 2018.
Merci pour votre temps!