[Scène locale] CFCF – Self Service
On connait depuis une dizaine d’années déjà le prolifique musicien montréalais Michael Silver qui œuvre sous le pseudonyme CFCF. Sa nomination aux Grammy en 2016 pour son fantastique remix du morceau de Max Richter, Berlin By Overnight ainsi que sa collaboration avec le pianiste Jean-Michel Blais en 2017 n’ont fait que confirmer son statut de producteur éminent. En février dernier, son plus récent EP Self Service sortait sur l’étiquette montréalaise SOBO. Il s’agit d’une œuvre importante dans le cheminement musical de CFCF puisqu’elle explore les mondes house et techno alors que la musique du producteur était jusqu’à présent marquée par un son majoritairement electronica, chill out, ambiant et new age. Self Service est tombé comme un obus original dans le paysage de la dance music montréalaise, fracassant au passage quelques conceptions rigidifiées.
La première pièce, par exemple, l’énorme bombe Cell Site in Somerset, nuance l’inquiétante obscurité qu’on attribue d’emblée au techno et à l’acid house: bien que brutale et transcendante, elle dégage quelque chose d’émouvant et de lumineux et même de tout à fait lyrique. Il y a cette question complètement anachronique que je me pose de temps à autre: Mozart aurait-il tripé dans un rave? Je n’en sais toujours rien, mais je suis convaincu que si Wagner ou Arvo Pärt avait composé de l’acid house, leur musique aurait été empreinte de ce même élan épique et romantique que CFCF insuffle à Cell Site in Somerset. Un titre qui, m’a confié Mike, évoque pour lui le fantasme de cette grande tour de télécommunications plantée dans la campagne anglaise aux environs de Londres et sous laquelle des raves étaient organisés. Merci Mike, maintenant je m’imagine Mozart qui rave comme un malade au pied d’une tour de métal digne de l’URSS… Non, mais sérieusement, dans la vie moins imaginaire de tous les jours, je lance ce morceau le plus souvent possible au milieu du dancefloor parce que ça bouge en titi.
Tout aussi prenants, les deux autres titres du EP, Marigold Mix et Self Service, nous offrent du CFCF comme on a appris à le connaitre. Les accords, les mélodies voluptueuses et les riffs de guitare aériens sont au rendez-vous. Si vous me permettez une nouvelle parenthèse, j’ai cette anecdote qui dit toute l’importance de la guitare pour le musicien et la cohérence qu’elle confère à ses productions. Il y a deux ans de cela, alors que je passais l’été à Berlin, il m’est arrivé d’atterrir un soir dans un club où il était justement en train de performer. C’était un hasard, aussi étions-nous très étonnés de nous retrouver ainsi à mille lieues de chez nous. Mais le plus étonnant pour moi fut qu’il était là, dans l’obscurité de ce club souterrain, la guitare à la main et plaquant des accords éthérés sur chacune de ses pièces. Écoutez Marigold Mix, vous saisirez cette atmosphère maitresse qui traverse l’œuvre entière de CFCF. Quant à la pièce éponyme, comment ne pas l’écouter comme un hommage et une reconnaissance de l’influence de Daft Punk. C’est savoureux.
CFCF a ce talent compositionnel bien spécial: il se diversifie de plus en plus, il aborde des territoires musicaux jusqu’alors intouchés par lui et y appose sa note personnelle. Un artiste plein d’humilité, mais un indéniable pilier de la scène locale. CFCF: Canada’s First Canada’s Finest…
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Paru le 16 février 2018 sur SOBO.
- Révision du texte par Geneviève.