[Scène locale] Humidex & la techno canadiana
Humidex, c’est le nom du tout nouveau label techno qui a vu le jour à Montréal le 4 juillet dernier, à l’initiative des artistes softcoresoft, S. Chioini et Absurde – trois artistes dont on sait le haut niveau d’implication dans la scène musicale locale: softcoresoft, le vent dans les voiles, enchaine les prestations et les collaborations ici et à l’international; S. Chioini, alias DJ Voilà, producteur chevronné et co-fondateur du label expérimental Acte; et Absurde, qui forme avec S. Chioini le duo Musique Nouvelle. Aussi, quand on m’a annoncé le lancement imminent d’Humidex, le degré d’enthousiasme que j’ai ressenti fut exactement proportionnel à celui, élevé, de l’engagement artistique du trio fondateur. Leur projet m’a tout de suite inspiré confiance et je me suis réjoui, j’étais joyeux comme lorsqu’une fenêtre s’ouvre et qu’il y a un futur.
Le nom, Humidex, reprend un terme météorologique qui réfère aux relations entre la chaleur et l’humidité, un phénomène climatique qui ne manque pas de se manifester quand ça se donne sur le dancefloor. Humidex… Un nom franchement loin d’être poétique, mais qui a le mérite d’être clair et fidèle au genre musical qu’il entend représenter. Car le nom nous donne le premier indice de l’identité sonore du label: manifestement, on va pouvoir s’attendre à de la musique chaude et humide, de la musique qui embue les vitres, de la musique qui fait suer les murs, de la musique qui te colle les cheveux dans la face.
Le label, disent ses fondateurs·trice, vise à mettre de l’avant le son actuel de la scène canadienne underground […] avec une interprétation vivifiante et ouverte du terme ‘‘techno’’.
Mais les habitué·e·s de cette scène canadienne underground connaissent très bien, trop bien peut-être, les conditions et les limites de cette scène. L’un des défis principaux est que, justement, il faut toujours composer avec le paradoxe de l’underground. C’est-à-dire que, oui, il existe bel et bien, ce «son actuel de la scène canadienne». Il y a un certain son techno qu’on aime et qu’on produit à Montréal: «banging, fun, trippy techno and bassier stuff», précise softcoresoft. Ce son, c’est lui qui nous inspire et nous réunit le temps d’un party aux Durochers ou à La Plante. Ce son, c’est parce qu’il nous reflète qu’il nous donne l’énergie de rêver à nous-mêmes. C’est pour lui qu’on rave, mais à l’inverse aussi: c’est parce qu’on rave qu’il existe. Donc il existe, ce son actuel – la techno canadiana d’après le mot d’Humidex – mais parce qu’il n’a encore ni définition ni base vraiment solide, il existe seulement temporairement, jusqu’à ce que l’énergie et l’inspiration finissent nécessairement par retomber.
Un label, c’est presqu’aussi physique qu’un club. C’est exactement le genre de plateforme qu’il faut pour qu’un son prenne racine et pour qu’un mouvement underground, au lieu de disparaître après quelque temps, prenne assez d’ampleur pour être, paradoxalement, reconnu comme mouvement underground à la face du monde. Le même sentiment de nécessité et la même volonté d’inscrire sa signature sonore dans l’histoire ont dû pousser D. Tiffnany à lancer son label Planet Euphorique. Yo, c’est vrai pareil. Tu te dis: c’est là que ça se passe. J’imagine complètement softcoresoft, S. Chioini et Absurde le soir où, dans un rave où tout le monde suffoquait, ils se sont dit: notre zique est hot, c’est là que ça se passe!
Pour Humidex, l’objectif est clair: «Le but, dit S. Chioini, est de rallier la scène techno canadiana, de la mettre en valeur et de créer des liens avec les scènes à l’international.» À mon avis, c’est exactement le genre de projet et d’ambition dont la scène techno montréalaise a besoin. Pour finir, laissez-moi vous partager une petite anecdote. La semaine dernière, j’ai croisé Broshuda dans un club à Berlin. Broshuda, ce musicien admirable dont l’approche expérimentale se situe bien loin de la techno berlinoise. Quand je lui ai fait part du nouveau label techno de S. Chioini, que Broshuda connaît déjà pour son autre label Acte, sa réaction fut: «No! We don’t need more techno, why doesn’t he keep making music like he used to make!» J’ai ri, parce que le contexte donnait assez raison à son commentaire: on était à Berlin, ville où la musique techno est tout sauf underground, dans un club où les DJs faisaient jouer de la techno pas super palpitante. Mais à Montréal, on n’en serait pas venu à la même conclusion. La techno canadiana est une fleur fraîche. J’ai toujours très envie de la cueillir et de la mettre à mon oreille. Aussi, j’applaudis l’aménagement d’un nouveau jardin comme Humidex, où les trois premiers bulbes qui viennent d’éclore préfigurent une aventure foisonnante.
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Paru le 5 juillet 2019 sur Humidex.