[Entrevue] dileta – coolground
Si vous aimez vous retrouver sur les pistes de danse aux petites heures du matin, il est fort probable que vous ayez déjà côtoyé Pascal Rivard devant ou derrière la cabine du DJ. Depuis plusieurs années, il nous éblouit par son énergie positive et ses mouvements inspirants sur le parterre. Sa passion pour la musique l’aura mené à se positionner derrière les platines sous le pseudonyme dileta et à fonder coolground l’an dernier. Il était enfin temps pour l’équipe de MEFD de lui rendre visite dans son studio afin de comprendre son parcours et de saisir l’ampleur de sa dévotion musicale. Bonne lecture!
Cela fait plusieurs années que nous nous croisons à des concerts de différents registres, mais en premier lieu nous avons tous les deux été impliqués dans la scène métal. Je suis curieux de connaître les facteurs qui ont mené à cette transition vers la musique électronique?
Je pense que dans la musique métal, le hardcore, le post-rock que j’écoutais, que j’écoute encore aujourd’hui, que j’allais voir et que je faisais, il y a les mêmes qualités que je recherche maintenant dans la musique électronique. J’ai toujours apprécié les groupes qui travaillent leurs textures sonores et qui créent des mélodies atypiques. L’attention au son est très importante pour moi et c’est ce qui m’a le plus captivé dans la musique électronique. C’est un style où toute la composition est faite dans un souci de travail du son. Il y a eu une transition entre les deux, lorsque j’ai commencé à écouter plus de dance music.
Le côté physique m’a attiré vers la musique rave, ça te permet de te laisser aller complètement. Je trouve que la scène est plus accueillante et moins compliquée. Dans la petite scène underground que l’on retrouve à Montréal, je me sens vraiment à la maison. Tout dépend de l’expérience que tu recherches, mais il y la partie plus solennelle d’un spectacle dans le métal et je me suis tanné. J’allais voir tellement de spectacles, j’allais à tous les shows locaux dans les styles que j’aimais, c’était environ quatre concerts par semaine et j’en ai eu assez de l’espèce de rituel que ce type de concert exige. J’avais besoin d’une forme plus libre, ça va mieux avec ma personnalité, je suis hyperactif, j’ai besoin de bouger, j’ai besoin de faire des choses. C’est ce qui m’attirait initialement dans la musique hardcore, parce que ça te permet de dégager beaucoup d’énergie, mais la musique rave m’a plus permis de me perdre là-dedans. J’ai toujours eu un esprit de collectionneur et un appétit insatiable de découvertes et c’est quelque chose qui est tellement plaisant à faire dans la musique électronique, ça m’a vraiment donné envie de creuser plus profondément et plus tu creuses, plus les possibilités sont infinies. Tu découvres toujours de nouveaux artistes qui ne sont pas connus, mais qui ont développé un son extrêmement unique à cause de la multitude de possibilités que tout l’équipement numérique ou électronique te donne.
Est-ce qu’il y a un concert spécifique qui t’a permis de découvrir le monde de la musique électronique ou c’est par le biais d’artistes métal qui mélangeaient les deux influences? Est-ce que tu te souviens d’un moment ou d’une soirée où tu as eu un déclic?
La première soirée où j’ai vraiment senti que la musique électronique était faite pour moi, c’était au Nouvel An de 2014 à la Fonderie Darling, il y avait Jon Hopkins, Purity Ring et TR/ST. C’était mon premier véritable rave, j’étais déjà allé dans des lofts quelques fois, mais je n’avais pas trop aimé parce que c’était de la musique plus légère, du disco et du house, j’avais encore besoin de mon métal. Cet événement-là regroupait les deux, c’était une ambiance dark avec du gros sound design. Maintenant qu’on en discute, je pense que ce qui a fait le pont est la scène coldwave montréalaise. J’ai commencé à aller voir avec mes ami·e·s de la scène black métal des shows coldwave à la Casa del Popolo. Je me souviens d’avoir vu TR/ST au Club Soda et ça m’a fait découvrir à quel point j’aimais danser, c’est quelque chose que je n’ai pas pu me passer par la suite, car j’avais juste cette envie de bouger. Je suis accro à la danse maintenant, j’en ai besoin!
Lorsque tu as commencé à organiser des événements, c’était souvent avec tes amies Lésions, il s’agissait en quelque sorte de vos premiers pas en rave. Quand et de quelle façon avez-vous débuté à mixer ensemble et qui a initié ce mouvement?
J’ai commencé à la fin de 2017, ça ne fait pas très longtemps. À ce moment-là, j’étais à l’Université de Sherbrooke et je me suis mis à écouter plus de mix, j’écoutais Rinse FM, la radio londonienne, et j’étais vraiment fasciné par les DJ de bass music. Je parlais avec mon amie Lexi qui m’a montré Burial et plusieurs projets de two-step, de drum & bass dark de Londres. Ça m’a donné envie et j’ai finalement installé VirtualDJ sur mon ordinateur et commencé à trouver de la musique que j’aimais. C’était la base, j’allais voir sur Rate Your Music les meilleurs albums bass en provenance du UK et j’ai commencé à les mixer et à apprendre. Je me suis ensuite trouvé un petit contrôleur en plastique pas trop cher. C’est justement Lexi qui m’a montré comment faire, car elle a appris à mixer il y a une dizaine d’années lorsqu’elle habitait à Winnipeg.
En parallèle, mes amies de Lésions, Ève-Laurence et Julie, s’étaient trouvé un contrôleur aussi et elles apprenaient sur Traktor. On avait chacun notre méthode et on faisait des partys dans mon sous-sol d’Hochelaga. On était des DJs débutant·e·s, donc il n’y avait aucune pression, on s’est poussé·e en essayant toujours de faire des trucs un peu plus ridicules que l’autre, en s’efforçant de toujours rendre ça plus fou. Le fait d’avoir VirtualDJ avec quatre decks et l’auto-sync est vraiment habilitant. Tu n’as pas besoin de savoir comment être DJ, tu as seulement besoin d’avoir des idées et un appétit pour trouver de la musique et d’essayer des mélanges. On essayait juste de faire une espèce de trame narrative avec plein de musique qu’on aimait et on a fini par s’améliorer.
Lésions et moi avons décidé d’organiser un événement à la Sotterenea. La soirée s’appelait Badtiming parce qu’elle était en même temps que les examens finaux à l’université. Il y avait un live set de Lakes Delay ainsi que Lésions et moi. C’était très validant parce que c’était un gros party, la salle était pleine. C’était au début de la Sotterenea, maintenant c’est devenu un lieu important de la scène montréalaise. Ensuite, j’ai fait mon premier rave au Cyberia, c’était vraiment une belle expérience. J’ai été très chanceux au début, je n’avais aucune connexion dans la scène, j’ai simplement booké mes ami·e·s. Il y avait Lésions et DJ Criature (Lexi). Le Cyberia était l’une de mes places préférées – mystique, enfumée. Quand tu commences à aller dans des raves, c’est assez impressionnant. J’essaie toujours de retrouver cette magie qui t’habite lorsque tu entres dans un rave et que tu ne comprends pas exactement dans quel univers tu vas mettre les pieds.
À quel moment as-tu joué ton premier rave où tu n’étais pas entouré de tes ami·e·s? Comment ça c’est produit, est-ce que c’est quelqu’un qui t’a approché?
Après le rave du Cyberia, ça a été assez long. Je voulais en faire d’autres, mais les salles à Montréal sont quand même difficiles à trouver et ça m’a pris du temps. J’ai fini par m’investir plus dans la scène, aller à plein de partys, de raves, d’événements afin de commencer à connaître les gens. Le premier que j’ai organisé qui n’était pas juste avec mes ami·e·s, je pense que c’était LNS de Vancouver. C’est grâce à Maxence de Homegrown Harvest que j’ai été en contact avec elle. J’ai co-organisé cet événement avec Aram et RAMZi. C’est aussi lors de cette soirée que j’ai commencé Coolground.
Tu as fondé Coolground l’an dernier et tu as maintenant l’aide de Honeydrip, comment ce projet a débuté et comment votre rencontre s’est-elle déroulée?
On se voit dans la scène depuis longtemps, je suis un admirateur de ses DJs sets et j’allais lui parler à l’occasion et finalement, on est devenu ami·e·s. Elle s’implique de plus en plus dans le collectif. Avec Coolground, j’ai commencé une série d’événements qui s’appelle KV, c’était d’abord au Groove Nation avec seulement des DJs locaux et finalement, à la quatrième édition, on a invité Batu de Bristol au Salon Daomé. Depuis ce temps-là, on essaie d’avoir un·e artiste qui vient de l’extérieur à chaque fois en plus de deux ou trois DJs locaux. On essaie de créer un dialogue entre plusieurs scènes. Je trouve que tu peux facilement tomber dans des habitudes quand tu es toujours dans le même univers et c’est bien d’avoir un nouveau DJ ou artiste live qui arrive, mais qui a une autre approche complètement. Nous avons eu Ploy à notre dernier événement, le KV005, il a apporté un set ultra rapide, il commençait à 152 BPM et il est allé jusque dans les 160 avec à peu près aucun drum & bass, que l’on entend habituellement à ce tempo. Il y avait plusieurs formes de musique hip-hop, électro, beaucoup de musique percussive moins digitale. Tout le monde m’en parlait après le set, ça a donné beaucoup d’idées aux gens présents. C’est important de regarder d’autres réalités, c’est pour ça que j’essaie d’amener des artistes d’un peu partout.
Mon exemple de dialogue préféré à ce jour: nous avons invité Viiaan, une DJ et productrice hors pair, qui gère le label électronique expérimental Voragine à Mexico, à jouer à Montréal après l’avoir entendue à l’émission Despacito d’Amelia Holt à n10.as. Après une prestation magistrale à la Plante qui aura inspiré plusieurs DJs dans la salle, ainsi que deux émissions de radio à CKUT et n10.as, elle va nous joindre à VAULT le samedi 29 février prochain. Durant son séjour à Montréal, elle a pu rencontrer plusieurs autres artistes d’ici, dont plusieurs feront des apparitions auditives ou visuelles pour son label. C’est la prémisse d’une source quasi inépuisable d’échanges et de collaborations!
Côté sonore, Coolground tente d’apporter une nouvelle dimension à la scène montréalaise. À force d’écouter du dance music, mes goûts se sont solidifiés plus précisément dans une zone, c’est une sorte de zone grise entre la techno et la bass music qui, à défaut d’avoir un nom, est souvent appelée leftfield. C’est de la musique très percussive et il y a des grooves qui ne sont pas en four to the floor, en plus d’avoir beaucoup de sound design. C’est le style qui me titille le plus, je pourrais en écouter à l’infini et à chaque fois il y a des surprises et des petits événements dans la musique, ce n’est pas fait pour être écouté en background, ça te saisit complètement.
J’allais souvent à des dance partys, à des raves et j’avais beaucoup de plaisir, on a des DJ et des artistes incroyables à Montréal, mais ma chose préférée était ce style-là et je ne pouvais pas en retrouver ici. Je l’écoutais à la maison, au travail toute la journée, en me promenant dans la rue, j’arrivais sur le dancefloor et ce n’était pas exactement la chose que je voulais entendre, il y avait toujours un petit manque à l’intérieur de moi. Je me suis donc dit que si je ne le faisais pas, ça n’arriverait pas. Il y avait anabasine qui organisait dans ce genre à l’occasion, mais c’était pratiquement ma seule chance. J’ai donc commencé à inviter des artistes et à créer des événements qui mettaient en valeur ce type de sonorités parce que je voulais l’entendre, c’est purement égoïste!
Comment se passe la recherche de personnes avec qui vous souhaitez collaborer?
C’est généralement des artistes dont je suis très fan. Ça se fait de plus en plus facilement. Lorsque tu commences à le faire, les gens voient ton nom grâce à Resident Advisor ou Facebook et les agents te contactent lorsqu’ils voient que tu organises des événements. Ce que je fais, c’est du leftfield techno ou leftfield bass et il n’y a pas vraiment d’autres promoteurs à Montréal dans ce milieu. Les artistes qui ont aimé jouer ici vont également en parler à leurs ami·e·s.
Le mini festival VAULT:Unlocked est l’union de plusieurs forces à Montréal, comment vois-tu cette idée de réunir différentes parties de la communauté afin de créer une certaine communication et une unité? Vois-tu ce mélange d’un bon oeil pour la scène?
Je pense qu’il est important de collaborer davantage. On est tou·te·s aussi passionné·e·s par cette musique et je pense qu’on peut juste gagner en s’entraidant. Ça nous aidera à aller chercher de meilleurs espaces, à organiser de plus grands événements qui vont rassembler plus de personnes. De faire des ponts entre différents styles de musique peut seulement profiter à tout le monde et aider à se faire découvrir. On a chacun notre petite niche qui n’est pas vraiment connectée aux autres, mais les personnes dans ces niches n’ont pas de goûts fixes, les gens sont ouverts d’esprit dans la scène underground à Montréal. On peut gagner à partager ces scènes-là et aussi à s’unir sur le plan logistique, parce que Montréal n’est pas facile du côté organisation, tout est cher, on a de la difficulté à avoir des espaces illégaux pour organiser nos événements. Si tout le monde se parle et qu’on s’organise ensemble, ça peut être plus efficace et harmonieux, on aurait également plus de pouvoir. Chaque personne a eu des problèmes individuellement et on peut partager ces expériences et en tirer des leçons pour s’améliorer.
Je crois aussi que les conférences et le moment de rencontre en après-midi sont des initiatives cruciales pour faciliter les échanges d’idées entre participants de la scène. Ce sont souvent ces échanges d’idées qui font naître de nouveaux projets et qui éliminent les obstacles sur lesquels on aurait autrement buté longtemps. Ça nous rappelle qu’on n’est pas seul·e·s!
Nous avons parlé tout à l’heure de Homegrown Harvest qui t’a inclus dans son équipe comme DJ résident, cette connexion s’est-elle faite avec le concert que tu as mentionné plus tôt?
Ça date d’avant cette soirée. Maxence et moi avons fréquenté la même école secondaire. J’allais à ses événements depuis le début et on discutait à chaque fois. Je lui ai mentionné que j’avais commencé à mixer, je lui ai envoyé des trucs, mais il ne me trouvait pas assez bon. Un an plus tard, il m’a dit que j’étais devenu vraiment meilleur. Je travaillais beaucoup, je pratiquais tous les jours et finalement il m’a recruté comme résident!
À quoi ressemble une journée dans la vie de Pascal? Pratiques-tu tous les jours? Comment fais-tu ta recherche musicale?
Ma pratique se déroule en plusieurs étapes. Il y a la pratique technique sur les platines, il y a une énorme partie de recherche et il y a l’organisation. Premièrement, la recherche… Je crois que c’est ma passion numéro un de creuser et d’essayer de trouver de nouveaux sons, de nouveaux beats. Je suis aussi très fan du DJing en général, je suis sans cesse en train d’écouter des mixes et la radio en ligne comme Rinse FM, NTS, n10.as, Noods Radio à Bristol et The Lot Radio à New York. On dirait que j’ai toujours une fascination à écouter les fusions que les DJ font quand ils empilent deux chansons, j’ai toujours une certaine excitation quand j’entends un nouvel élément arriver, ça me passionne vraiment. Je vais écouter deux ou trois mixes par jour. Quand il y a des chansons qui m’intéressent, je vais les prendre en note, j’ai des feuilles Excel avec des milliers de chansons à télécharger.
Ensuite, quelques fois par semaine, je vais m’asseoir devant mon ordinateur et passer à travers les notes que j’ai prises et je vais aller voir sur Bandcamp pour savoir si je peux acheter la musique. J’essaie d’éviter Beatport si possible, ce n’est pas très convivial et c’est trop cher. Je vais souvent regarder ce qu’il y a sur les mêmes labels, le travail des autres artistes, je vais fouiller de manière un peu maniaque sans pouvoir m’arrêter, je me couche parfois très tard le soir. Je commence en trouvant une chose qui m’intéresse et après, ça ouvre dix-huit autres portes et je ne veux pas me coucher avant de toutes les avoir ouvertes. Plus j’ouvre de portes, plus j’en découvre et à 5h du matin, j’arrive finalement à un cul-de-sac et je peux aller dormir. Je suis incapable d’arrêter, j’ai des goûts vraiment précis et je suis très pointilleux sur le type de sonorités qui me rejoint, si je n’aime pas le son du kick-drum, je ne vais pas prendre la chanson, je veux qu’il y ait un sound design particulier.
Je cherche beaucoup sur Soundcloud et Bandcamp, je vais éplucher les suggestions jusqu’à l’infini, j’aime les chaînes algorithmiques. Celle de Soundcloud est vraiment bien faite, elle se base sur les personnes ayant écouté le morceau et ce qu’elles ont écouté d’autre. Quand une plateforme fait des premières pour des chansons, j’attends quelques jours, je vais dans les suggestions connexes et je retrouve toutes les exclusivités du même style. C’est une très bonne manière de se tenir informé. Je suis également sur beaucoup de groupes Facebook de partage de musique avec des gens du UK et d’ailleurs aux États-Unis, entre autres. Il y a des artistes que j’ai booké de cette manière, à travers des groupes où on s’est parlé. C’est une approche très informelle, il n’y a pas de distance entre les artistes et les personnes qui apprécient la musique. C’est tout pour la partie découverte.
Lorsque j’ai passé une nuit ou deux à télécharger obsessivement des centaines de chansons que j’aime vraiment beaucoup, je dois ensuite faire le tri. Alors, ce qui m’attend est une longue et pénible session de rekordbox, le logiciel qui permet d’organiser ta musique et de mettre du metadata pour les jouer sur des CDJ, l’équipement typique d’un·e DJ digital à l’époque moderne. Je vais toutes les organiser en playlist selon les styles, je vais mettre des tags pour les styles selon des classifications que j’ai créées, ça prend beaucoup de temps. Je viens souvent au studio, deux ou trois fois par semaine, pour tester ma nouvelle musique, pour tenter plein de choses, pour pratiquer le beatmatching, mais aussi pour essayer plein d’idées, aller dans des zones, des vitesses, des énergies et des ambiances différentes. J’essaie de faire des changements de dynamique entre intense, moins intense, linéaire, brisé pour toujours garder les gens sur la pointe des orteils.
Récemment, j’ai commencé à apprendre à mixer des vinyles, ça fait quelques mois que j’ai débuté, c’est vraiment difficile. Au début, tu es vraiment confus parce que tu es habitué d’avoir un support visuel. Ça demande une certaine connaissance de ta musique, sur un CDJ ou sur un logiciel de mixing, tu peux anticiper ce qu’y se passera dans la chanson en voyant la suite, mais sur un record, tu vois les lignes, mais tu ne sais pas exactement ce qui va arriver. Il faut que tu l’aies écouté au moins une fois avant, ce qui n’est pas toujours le cas quand je télécharge de 400 à 500 chansons par semaine. Je vais avoir écouté une partie, mais pas l’intégralité. J’ai commencé à faire une petite collection, je vais à La Rama et à La fin du vinyle, j’essaie de supporter les disquaires locaux. C’est une autre chose de mixer les vinyles, ça donne une meilleure compréhension. Je pense que je suis devenu meilleur DJ numérique depuis que j’ai appris à mixer de cette manière. Ça te force à te placer impeccablement pour partir tes deux chansons exactement au même moment afin de comprendre laquelle est plus rapide que l’autre pour ensuite l’ajuster. Ma vie est un cycle de download compulsif, suivi d’organisation et de pratique sur les tables.
Ton rôle au VAULT sera de fermer le rave en B2B avec anabasine. Comment prépares-tu tes performances lorsque tu dois mixer avec quelqu’un d’autre et plus particulièrement celle du 29 février où vous jouerez jusqu’à 9h du matin? Est-ce que ces conditions particulières influencent ta sélection musicale?
Il faudra rester éveillé! J’y réfléchis encore, il y a plusieurs approches possibles. J’essaie de garder mon approche du DJing assez spontanée, j’ai des playlists qui sont organisées selon les styles et les énergies, mais c’est rare que je prépare ma tracklist à l’avance. Je trouve que ça gâche le plaisir, car l’une des parties plaisantes du DJing est d’être en réaction à ce que tu entends. Je préfère rester flexible par rapport à ça. Je pense que je n’ai jamais fait un événement aussi long. J’ai déjà joué à la fin de rave, mais ce sera encore plus longtemps après le début de l’événement. Tout dépendra du niveau de fatigue de l’auditoire, tu peux regarder et voir si les gens font encore de gros mouvements. Un set de fin donne beaucoup de liberté parce que tu peux faire n’importe quoi, tu n’as aucune responsabilité de faire danser le public. Il faut que tu évalues l’intensité que les gens sont capables de prendre, ça se peut qu’ils soient épuisés, mais ça se peut aussi qu’ils aient envie de donner un dernier coup.
J’aime beaucoup jouer en back to back avec Danji parce que nous avons une approche assez similaire au rythme brisé, saccadé et angulaire. Avant je trouvais difficile de jouer avec lui, mais maintenant que je sais jouer avec les vinyles, ça va bien aller. Je ne sais pas comment ça va se passer. On a fait un closing set à Homegrown Harvest il y a quelques mois, on avait été très violent et ça a fonctionné, je ne sais pas si ce sera la même chose pour le VAULT. On veut vraiment explorer plein de zones et plusieurs vitesses, on va voir! Je pense que les DJs ne devraient pas se laisser gouverner par la foule, si on perpétue une culture de jouer ce que la foule demande et attend, ce sera toujours la même chose. Lorsque tu es sur un dancefloor, il arrive parfois des passages que tu ne savais pas que tu voulais entendre, mais que tu finis par apprécier énormément. Il faut essayer plein de possibilités, mais jusqu’à un certain point, si tu vois que ça fait 30 minutes que tu as commencé et que les gens ne bougent pas, il y a peut-être un problème.
Je suis vraiment enchanté par ce qu’y se passe dans la scène à Montréal en ce moment, je n’ai jamais été aussi heureux dans ma vie. Je vois qu’on est en train de construire quelque chose collectivement. VAULT est un exemple de collaboration, mais il y a vraiment beaucoup de dialogue dans la scène. J’ai plusieurs ami·e·s qui créent des labels. Tout ce que je me disais qui manquait il y a deux ans arrive avec de nouveaux artistes que j’adore et de belles initiatives, comme Aquaventure et l’organisation des Zona. Il y a plein de musique live, des crossovers entre l’électroacoustique et la musique dance. On est vraiment en train d’innover de plusieurs manières. C’est inspirant, car plus les gens ont d’initiatives, plus ça inspire de nouvelles personnes à faire de la musique. J’ai plusieurs ami·e·s qui ont commencé récemment et chacun a sa vision et c’est ça qui est magnifique. Chacun a des goûts vraiment particuliers et va amener quelque chose de nouveau à la scène.
Je pense qu’il faut continuer à s’aider, à grandir entre nous, à donner des chances à des nouvelles personnes, à de nouveaux artistes, de nouveaux ou nouvelles DJs. Il y a plein de personnes qui m’inspirent comme Knapsack qui est peut-être ma DJ préférée à Montréal en ce moment et ça fait seulement un an qu’elle mix. On a commencé un nouveau projet qui s’appelle Serrat, c’est une exploration de notre nouvelle fascination pour le techno ultra rapide autour de 150-160 BPM et l’espèce de bass mutante brisée. On est moins dans le groove, on essaie d’explorer une niche de techno vraiment rapide et violente, mais mince. La techno industrielle existe beaucoup à Montréal, mais on essaie d’aller chercher de la musique qui est moins large, qui est plus coupante. C’est un autre exemple d’une fascination pour un son, mais qui n’existe pas vraiment ici, on va essayer de le faire. Notre première performance était le 22 février à La poubelle magnifique, un événement organisé par Delian League qui avait joué lors de l’une de mes premières soirées au Groove Nation. C’est excitant, plein de nouvelles avenues. Cette année j’espère pouvoir faire plus de mélanges avec d’autres petites scènes de Montréal et d’ailleurs, et de découvrir de nouvelles personnes fantastiques. Restez enthousiastes!
Merci pour ton temps!
* Si vous avez appréciez la lecture de cette entrevue, pourquoi ne pas prendre quelques minutes pour découvrir les autres artistes du collectif coolground: Honeydrip, criature, Knapsack, Information, Lésions, Aiox et Aquaventure! Et si vous en voulez toujours plus, jetez une oreille à laced et son label Causal Chain!