[Entrevue] Game Genie Sokolov
Véritable ovni de la scène électronique montréalaise, Game Genie Sokolov se démarque par son originalité et sa créativité débordante. Immersion en territoire chiptune et vaporwave avec une douce ambiance rétro, la musique de l’artiste de Montréal ne vous laissera certainement pas de marbre. Avec la parution de son deuxième album Trans // Mission il y a quelques jours à peine, nous souhaitions nous entretenir avec Game Genie Sokolov pour en apprendre plus sur son travail et sa démarche. Bonne lecture!
Game Genie Sokolov arbore une esthétique bien particulière et originale tant au niveau sonore que visuel. Peux-tu nous faire part de l’histoire derrière ton coloré projet autant d’un point de vue musical, graphique que pour son nom en soi?
Le projet Game Genie Sokolov est un porte-manteau sur lequel se regroupent plusieurs genres de musique électronique avec une approche très nerd, des sensibilités funk et des influences japonaises. Ça va du chillwave au synthwave, mais ça a commencé par du chiptune à l’origine. Les pièces musicales sont variées, mais toutes rassemblent ma sensibilité et mon approche du sound design. Le son est assez reconnaissable et cohérent paraît-il. ^^
J’ai toujours fait de la musique en dilettante, depuis très jeune, mais jamais au point de sortir quoi que ce soit. Je suis en programmation de logiciel et rétrogaymeuse (surtout SEGA). À force de jouer avec la console Sega Genesis, je me suis attachée à sa couleur musicale, en particulier à son hardware. Il m’est apparu que cette console contenait un chipset Yamaha FM des années 80, une version simplifiée et plus abordable de celle qu’on trouvait alors dans les fameux DX7 (qui furent dans toute la musique pop des années 80: Queen, Michael Jackson, a-Ha, Madonna, tout le monde). J’adore le DX7, mais je ne peux pas m’en procurer un (trop cher). En revanche, j’ai cette console chez nous. Peut-être était-il possible de faire quelque chose?
Avec un peu de patience, j’ai décidé d’expérimenter un peu et de faire une première pièce pour tester son sound-design, un pur exercice. Je me suis approchée de la communauté chiptune et ils m’ont aidé à comprendre le hardware et les limitations. La première pièce que j’ai faite pour essayer s’appelle “Pyramid Zone”. Pour rire, je me suis dit que j’allais la mettre en ligne sur SoundCloud. Sauf que je n’avais pas de nom. Je l’ai improvisé après avoir réfléchi même pas une minute et ça a donné “Game Genie Sokolov”.
Le nom du projet vient de deux choses. La cartouche de jeu “Game Genie” qui permettait de tricher aux jeux vidéos à l’époque, et le livre de Serge Gainsbourg “Evguénie Sokolov” sur le monde de l’art contemporain et son escroquerie (j’adore Gainsbourg). La première toune a eu un bon écho, j’en ai fait une deuxième, puis une autre, puis à la fin j’avais quatre titres, ça a fait un EP. Voilà, c’est parti de là. C’était pas prévu.
L’esthétique visuelle, c’est une idée des gens de Lisbon Lux Records. Ils m’ont vu faire du cosplay et du drag queen (amateur) et se sont dit que je devrais marier cet aspect de moi à mon projet musical. Et voilà le travail.
© Photo: Matante Alex
Pour enchaîner sur l’histoire derrière GGS, quelles ont été tes influences, à tous les niveaux, qui ont mené à sa création et qu’est-ce qui t’inspire toujours pour faire évoluer ton projet?
Les influences sont nombreuses. En premier lieu le funk, 80s beaucoup: Prince, les productions de Quincy Jones, Lettuce, Eddie Hazel, Chromeo même, Michael Jackson aussi. Comment peut-on faire un son énorme sans trop de production et qui te fasse bouger avec peu de notes et peu d’instruments: le funk 80s.
Ensuite les artistes japonais. J’en écoute beaucoup, les progressions d’accords ont quelque chose d’indéfinissable que nous ne rencontrons pas ici dans nos musiques, toujours surprenantes, inspirées du jazz. Je peux te citer Yuzo Koshiro, Hitomi Tohyama, Yoko Kanno, Sakamoto Maaya, etc. Le genre Future Funk (Funk 80s + Japon) me branche particulièrement, j’en suis fan.
En termes de sound design, ceux qui utilisent souvent les mêmes instruments, mais leur donne une couleur unique à force de chercher leurs meilleures possibilités.. Les artistes chiptunes bien sûr (cTrix, nanode, etc.), mais aussi ceux plus pop ou vaporwave: Com Truise, Blank Banshee, Neon Indian, George Clanton, Jacob 2-2, Washed Out, Proux, Hotel Pools, Windows 96, Guerilla Toss, etc.
Ton nouvel album Trans // Mission est paru il y a quelques jours et tu le décris comme étant très personnel, qu’il reflète qui tu es aujourd’hui alors que ce n’était pas le cas dans le passé. Est-ce que cette transition était nécessaire pour Game Genie Sokolov? Comment c’est passé cette évolution au niveau de tes créations?
Il y a un malentendu sur ma musique. J’utilise une console de jeux vidéos pour faire de la musique (parce que je n’avais pas les moyens d’avoir un DX7), j’ai joué avec cette esthétique SEGA, mais je ne fais PAS de musique de jeu vidéo. J’aime les esthétiques, c’est tout, je compose autour d’une ambiance. J’ai fait des tracks de hip-hop (3 fois), du chillwave, du synthwave, du footwork aussi et de la synth-pop.
Je suis guitariste, bassiste, je programme et joue du drum (un peu), et je chante aussi. J’utilise de nombreux drum machine et différents synths, mais l’album que j’ai sorti avant, lui, utilisait en majorité un seul synth. Il montrait seulement une toute petite partie de ma personnalité, voire à peine celle-ci. Je suis une artiste électronique qui a fait un album aux couleurs chiptunes, mais je fais beaucoup d’autres choses.
Désormais, je me laisse totalement aller. C’était nécessaire, car j’avais fait le tour de ce que je voulais dire avec la chiptune pure. Cet album contient beaucoup plus qui je suis, toutes mes facettes. J’ai incorporé beaucoup plus de ce que je sais faire dans celui-ci pour montrer l’étendu de ma palette de couleur. C’est varié, éclectique, mais c’est moi. C’était nécessaire pour briser le malentendu. C’est venu naturellement, par pur plaisir.
© Photo: Matante Alex
Trans // Mission offre trois collaborations et quelques vidéo-clips, dont un que tu as réalisé personnellement. Peux-tu nous parler de l’importance de mettre en images quelques-uns de tes morceaux et également de partager ta musique avec des artistes que tu apprécies?
C’est malheureusement une nécessité quand on fait de la musique électronique instrumentale qui n’est pas orientée dancefloor. Quand je suis en spectacle, je suis coincée derrière le drum pad, la guitare et les séquenceurs, ce qui n’est pas super intéressant à voir. Il faut en faire une expérience multimédia: vidéos, lumières, costumes, etc. Ça permet aussi de contextualiser la musique un peu, de montrer ce que j’avais en tête pendant la composition. C’est aussi une forme de partage de mon univers.
Pour la lyrics vidéo de “Fille/Garçon”, elle a été réalisée par la superbe gang de “Collaboration Spéciale” pour mettre en avant le single un peu plus pour les médias. Les autres vidéos sont des montages utilisés en show pour faire des projections sur les pièces où je suis le plus occupée.
Les collaborations, c’était une vraie envie. Au début, je cherchais des vocalistes parce que j’avais peur de le faire moi-même. J’étais fan de Le Couleur depuis toujours et je leur ai écrit en me disant que peut-être on pourrait faire quelque chose? Laurence m’a répondu tout de suite, a écrit des paroles vraiment superbes, et a enregistré les voix en studio de son côté. On ne s’est jamais rencontrées en vrai, même à ce jour. Elle a fait un travail formidable, c’est un vrai honneur de pouvoir collaborer avec quelqu’un dont on est fan, elle est immensément talentueuse et gentille.
Jules G. et Vadell Gabriel sont des artistes hip-hop qui évoluent dans les mêmes cercles que moi: Jeux vidéos pour Jules (on a beaucoup d’amis communs), Chiptunes et New Jack Swing pour Vadell. J’ai toujours aimé le hip-hop, je vais même à des shows (à la grande surprise des gens autour quand ils me voient, mais ça fait partie du plaisir) et autant travailler avec des artistes que je respecte et qui n’ont pas de préjugés. Ils ont tous les deux été formidables et se sont approprié les ambiances facilement.
Tu utilises une panoplie d’instruments (guitare, saxophone, synthé, Sega Genesis, etc.) pour bâtir ta musique, j’aimerais en connaître plus sur ton processus créatif. Est-ce qu’il y a un instrument qui fait office de ligne directrice lorsque tu composes ou tout dépend d’un morceau à l’autre?
Chaque track est différente des autres. Le plus souvent, la seule ligne directrice est de créer des mélodies, quelque soit l’instrument. Une fois la mélodie trouvée vient l’étape du sound design qui me sert à faire en sorte que la mélodie reflète le mood qu’elle me fait ressentir. Tout le reste de l’instrumentation est basé autour du son de la mélodie, pour l’accompagner de façon organique. Du moment que l’ambiance est maintenue, tout est possible. Ensuite vient la composition de trois-quatre autres mélodies pour faire progresser la pièce. Les mélodies sont la base de mon travail.
Le concert de lancement de Trans // Mission devait avoir lieu à la Turbo Haüs le 24 avril dernier, mais dans les circonstances, il s’est plutôt déroulé en direct sur internet. As-tu songé à complètement annuler l’événement ou il était essentiel pour toi de lancer ton nouveau matériel, peu importe le moyen de diffusion? Comment c’est déroulé le concert?
J’ai pensé tout annuler oui. Plusieurs fois. Mais uniquement ma partie. Le concert de lancement n’est qu’une partie d’une soirée qui s’appelle TRANS // MISSION, visant à mettre en valeur les femmes (cis ou trans, toutes les femmes) faisant de la musique électronique underground. Mais, la crise peut durer longtemps, alors faisons avec, pas le choix. Ultra K et The Pink Popo ont voulu maintenir aussi, et nous nous sommes retrouvées à devoir créer des vidéos de nous-mêmes live, ce qui nous a forcées à réfléchir sur l’aspect de la mise en scène et à l’aspect technique. J’ai beaucoup répété pour les nouvelles pièces, autant que ça soit fait anyway. À l’heure où j’écris ce texte, le concert n’a pas encore eu lieu, espérons que ça ira. 🙂
Bien sûr que j’adore le live. Voir le public change la musique, y’a un stress et une pression qui ajoutent de quoi. C’est palpitant, ça donne un vrai plus à tout.
Il est de plus en plus question de la place des femmes dans les scènes électronique et techno, mais on en entend peu parler dans des styles qui sont moins dominants comme le chiptune ou le vaporwave. Observes-tu une amélioration au sein des scènes que tu côtoies en ce qui a trait à la place des femmes et des personnes issues des communautés LGBTQ2S+?
Je sors assez peu en général, alors j’ai peur de ne pas être assez informée pour pouvoir te donner une opinion réelle. Les femmes existent dans la communauté électronique bien sûr, comme dans tous les genres. Mais j’ai croisé peu d’événements focusant sur l’aspect underground électronique qui les mettent de l’avant en tant que femme à Montréal. Il y en a surement, mais je sors peu et n’ai pas eu l’occasion de m’y rendre, alors je ne vais pas dire qu’il n’y en a pas, je peux dire que je n’en ai pas entendu parler. D’où l’organisation de la soirée TRANS // MISSION pour essayer de les mettre en valeur un peu plus, en parallèle des éventuels autres événements. Les DJs plus crowd-pleaser / dancefloor ont, je pense, toujours leurs places dans les festivals et les bars, mais la musique considérée comme moins dansante met moins les femmes de l’avant de ce que j’en ai vu (encore une fois, je sors peu, je peux être dans le champ solide).
Ton nouvel album ratisse large et démontre un spectre énorme de possibilités autant au niveau stylistique que par son originalité. À quoi peut-on s’attendre pour le futur de Game Genie Sokolov, aurons-nous encore droit à cette esthétique unique ou est-ce que des changements sont à prévoir?
Je n’ai pas de projet pour la suite pour moi, juste des collaborations. En ce moment, en vrac: une track pour une drag queen, une autre avec une amie qui fait de l’électro vraiment flyé, et une toune pour une compilation. Un jour à la fois!
© Photo: Matante Alex