[Entrevue] Booster Fawn
Depuis la découverte de son Internet Mixtape #1 en 2018, la musique de Booster Fawn nous accompagne religieusement. Afin de célébrer le premier anniversaire de l’excellent album Psychic Laundry from Smoke-and-Mirror World et la sortie du tout nouveau vidéoclip pour Love These Eyes, l’idée de s’entretenir avec l’artiste Joshua Séguin était absolument inévitable. Nous lui avons donc posé quelques questions afin d’en apprendre davantage sur l’histoire derrière cette vidéo et sur comment les derniers mois ont influencé ses méthodes de créations et sa relation avec la performance scénique. Bienvenue dans l’univers chaleureux d’un musicien aussi attachant que touchant, bonne lecture!
La vidéo de Love These Eyes comporte une évidente fibre nostalgique d’une époque récente, mais qui nous paraît pourtant si lointaine. Est-ce que d’assembler des images de tes performances scéniques antérieures fut une épreuve libératrice pour toi ou s’est-elle plutôt avérée ardue?
J’ai choisi ces images pour cette vidéo parce que les paroles de la chanson m’ont toujours paru comme étant une lettre d’amour et de remerciement à tous ceux qui m’accompagnent dans la vie et le parcours de mon œuvre. Je désirais montrer à quel point j’étais reconnaissant de tout le support et tout l’amour qui m’avaient été montrés dans les spectacles de Booster Fawn depuis que j’ai commencé à en faire en 2016. C’était extrêmement libérateur pour moi de finalement pouvoir utiliser ces images pour accompagner une chanson qui, je trouve, leur rendaient justice. Le fait qu’elle coïncide avec la pandémie et les restrictions qui viennent avec sont un bel exemple de synchronicité, étant donné que la préparation de la chanson et la vidéo précède les événements que nous vivons actuellement.
© Photo: Pier-Hélène Rioux
Au-delà des restrictions, tu parviens à garder contact avec ton audience en performant en streaming sur les réseaux sociaux assez fréquemment. Comment t’adaptes-tu à cette nouvelle réalité? Es-tu en mesure de te satisfaire de cette nouvelle façon de faire?
J’ai toujours été quelqu’un qui adorait travailler sur un projet pendant très longtemps pour ensuite le présenter aux autres quand la situation le demande. D’une manière, je suis une espèce d’archiviste cachotier… Avec la musique c’est la même chose! J’oscille beaucoup entre le besoin d’être seul et le besoin d’être entouré de gens, et c’est même souvent aux deux extrêmes que je me sens le plus confortable. Cela dit, la pandémie m’a permis de travailler d’aplomb sur mon instrument et de perfectionner mon jeu de manière plus concentrée. Pour moi, le fait de pouvoir faire des lives sur les réseaux sociaux représente un défi de taille puisqu’au contraire de quand je joue mes chansons dans une salle de spectacle devant un public qui s’est physiquement déplacé pour écouter ma musique, je joue pour des gens qui sont chez eux, sur leur téléphone, et je dois toujours être conscient de ceci et parvenir à trouver des moyens créatifs pour capter leur attention et la garder. C’est satisfaisant pour moi de travailler avec cet outil que je trouve extrêmement limité – sans scène, sans jeu de lumière, sans ambiance de bar. C’est un peu comme se regarder très intensément dans un miroir, mais de savoir qu’il a bel et bien des gens qui sont cachés derrière.
L’écriture et la poésie semblent toujours avoir occupé une place primordiale dans ton art, les magnifiques paroles de Love These Eyes en sont une énième preuve. Parviens-tu à demeurer inspiré à ce niveau malgré l’année particulière que nous vivons? Comment cela se traduit-il dans tes nouvelles chansons?
L’inspiration a certainement changé. Au début de la pandémie, j’ai commencé à travailler pour une banque et, depuis, l’apprentissage du métier occupe une grande partie de mon temps et de mon énergie créative. Ce fut aussi très difficile au début de m’adapter au fait qu’il n’y aura plus de soirées dansantes pour un bon bout de temps – là où je puisais beaucoup de mon inspiration pour Booster Fawn. C’est seulement qu’après quelques mois de tournage en rond dans mon imaginaire que j’ai réalisé que c’est vraiment les choses les plus simples qui m’inspirent le plus – et cette période me permet certainement de me pencher sur ces petits points magiques de ma pensée. Je dirais que mes nouvelles chansons sont davantage informées par mes émotions qui sont déjà assez intenses de nature, d’autant plus que les distractions qui existaient en prépandémie sont maintenant inexistantes. D’ailleurs, mon nouveau projet JAWSTRADAMUS a vu le jour suite à ces révélations personnelles – ce qui n’est jamais une mauvaise chose!
© Photo: Pier-Hélène Rioux
La sortie du clip souligne également le premier anniversaire de l’album Psychic Laundry from Smoke-and-Mirror World. Quel bilan tires-tu de la première année d’existence de cet album marquant de votre discographie?
Je pense que l’album est une réalisation complète de la vision que nous avions en tête de produire quand nous avions commencé à monter les chansons. Le fait que mon bassiste, Andrew Burgess, a servi comme technicien de son tout au long du processus a certainement contribué à rendre l’expérience plus intime. Le drummer, Emory Shaw, est un des premiers gars avec qui j’ai jammé, quand nous étions au Cégep du Vieux Montréal en 2008 ou 2009. Alex Morency-Letto, aussi, je le connaissais depuis longtemps et j’avais toujours voulu travailler avec lui: son jeu de guitare étant un de mes préférés en ville. Bref, c’était vraiment juste nous quatre, et le bilan que j’en tire est que je n’aurais pas pu rassembler une meilleure bande de musiciens pour cet album! Et les chansons qui sont dessus comptent parmi celles que j’ai le plus de plaisir à jouer. Le temps passé sur ces chansons m’a aussi permis d’en apprendre beaucoup sur la production d’un album complet avec band, le travail en équipe en studio, et la gestion d’un projet de musique semi-professionnel en général. Il y a des choses que je connais maintenant sur le marketing d’un album que je ne ferai pas au prochain… Tout compte fait, par contre, la soirée du lancement demeure dans mes souvenirs un des shows les plus réussis de Booster Fawn – on a vraiment pu faire de beaux spectacles avec ces neuf chansons là! J’ai aussi eu la chance d’avoir le temps de créer de nombreuses vidéos pour l’album au courant de la dernière année, et c’est plaisant de pouvoir faire découvrir (ou redécouvrir) l’album à chaque nouvelle sortie. Je pense que c’est important de réaliser que – dans la vie d’un album – un an c’est encore très jeune.
© Photo: Bouchra Assou
Les collaborations ont toujours fait partie intégrante de ta musique. Nous pouvons agréablement le constater sur la pièce en compagnie d’Alexia Avina parue en 2019, mais aussi avec le sublime chant de Zaab Celeste qui se mêle au tient sur Like Magic. Est-ce important pour toi de t’entourer d’artistes que tu apprécies pour faire évoluer ta pratique et tes méthodes de création?
Certainement. J’ai toujours adoré cet aspect de la création musicale. C’est précisément le fait de mélanger ses inspirations individuelles pour en arriver à un résultat totalement inattendu qui m’a toujours passionné. Mes premières chansons étaient composées avec une violoniste que j’avais rencontrée à l’université, Gabrielle Bouissou. Si ce n’était pas d’elle, mon parcours musical aurait probablement été super différent! Avec Zaab c’était très spécial – au printemps 2016 nous avions parcouru le Québec, l’Ontario, certaines régions des États-Unis, l’Alberta et la Colombie-Britannique en jouant les chansons de Like Magic. Je pense qu’on a joué une vingtaine de spectacles ce printemps-là. Je suis très fier du résultat de notre travail musical ensemble, et je la remercie pour son dévouement au projet et l’influence qu’elle a eue sur ma vision artistique. Aussi, j’ai grandi en écoutant des duos de voix homme-femme, donc ça a du sens que ça a aujourd’hui partie de ma trousse d’outils musicaux. Haha!
Pour conclure, puisque la vidéo nous force un peu à réimaginer la musique live post-pandémie, comment entrevois-tu ton retour sur scène et quel genre d’effervescence prévois-tu dans l’écosystème culturel montréalais?
Peu importe le format de mon retour sur scène post-pandémie, et de quoi ça va avoir l’air, c’est sûr que je serai prêt! J’y pense tous les jours. Pour ce qui est de la scène montréalaise, je pense qu’on va vivre un nouvel engouement pour la chanson chantée et la mélodie musicale traditionnellement parlant. Un peu comme il a eu dans cette même ville au début des années 2000. Il y aura probablement une explosion de créativité qui va se manifester en une structure plus solide et un engouement pour la composition de chansons avec paroles. Ça va être intéressant de voir comment le tout va se passer!
Merci pour ton temps!
© Photo: Kyle Kostecki