[Mix] SHADYA
Notre série de mix se poursuit en grand avec la participation de la pétillante et talentueuse Salima Bouaraour, aka SHADYA! Co-fondatrice de l’étiquette CHEZ.KITO.KAT Records et militante très impliquée du nightlife montréalais, Salima nous propose une énergique sélection de techno, à la fois sombre et ardente. En plus de nous offrir ce merveilleux mix, elle répond avec beaucoup de générosité à quelques-unes de nos questions. Apprenez en plus sur le parcours d’une artiste et d’une personne formidable!
Ton parcours est pour le moins mouvementé, ayant habité en France, en Louisiane et étant maintenant établie à Montréal. Peux-tu nous parler de ce qui t’a menée vers Montréal et de la place qu’a occupée la musique tout au long de ce cheminement qui t’a fait explorer différentes scènes et divers milieux?
Montréal fut un coup de foudre en 2006, lorsque j’y suis venue la première fois, avec Samuel, mon ancien compagnon, co-fondateur du label. Il voulait poursuivre ses recherches doctorales en sociologie de l’art, sur les labels indépendants et moi, travailler comme enseignante. Nous avons décidé de nous y installer en 2007 pour profiter de la vie culturelle et musicale, en grande partie aussi. Depuis, c’est une histoire sans fin! Je suis passée de l’univers punk-hip hop dans lequel j’ai évolué étant jeune, dans l’Est de la France, à celui de Constellation, des premiers Piknik Électronik (ceux qui se faisaient sous la sculpture, l’Homme de Calder), MUTEK, les lieux comme la Casa Del Popolo, le Zoobizarre… Nous étions des grands fans de la tendance qui se dessinait à Montréal depuis notre Lorraine natale: Deadbeat, Akufen, Ghislain Poirier, God Speed et cie… D’ailleurs, au début de notre label, même pré-label, nous avions l’habitude d’organiser de nombreux concerts, dès 2004-2005, au rythme de 2 à 3 par semaine dans les bars, les salles de spectacle, les appartements… Nous avions invité Poirier, Hrsta, Below The Sea, thisquietarmy, loscil à venir à Metz…. et tellement d’autres. Montréal fut ma première expérience A/V lors d’une performance de Marc Leclair… c’était orgasmique. Malheureusement, en 2008, nous avons dû repartir en France pour des problèmes de visa. Mais, ce n’était que partie remise.
Le label a grandi. Nous avons poursuivi de nombreuses organisations de concerts et des sorties de disques. Les voyages furent nombreux en Europe, du fait que nous vivions dans une région multifrontalière. J’ai passé plus de temps à Luxembourg-ville, Amsterdam, Berlin, Bruxelles que Paris de par leur proximité géographique, mais aussi et surtout une proximité de cœur culturel, intellectuel et musical. Je me sentais en symbiose avec ces villes. Avec ma profession d’enseignante, j’ai mis à profit ma carrière pour voyager et parfaire mes compétences professionnelles. En 2014, je me suis retrouvée en Louisiane pour travailler dans un programme en partenariat avec Le Consulat Général de France de La Nouvelle-Orléans et le Conseil du développement du français en Louisiane. J’y ai enseigné les sciences sociales dans une école américaine qui avait pour but d’offrir une éducation en langue étrangère, gratuite, en faveur de la mixité sociale et raciale: un programme développé dans les Magnet school, post ségrégationniste du sud. Et parallèlement, le milieu Queer de Nola (Big Freedia par exemple) a bercé toutes mes fins de semaine mais aussi son jazz, le blues de Bâton-Rouge, le Juke Joint de Zachary et les musiques traditionnelles cajuns de Lafayette. Puis, en 2018, à la fin de mon contrat-visa US, je n’avais aucunement l’intention de repartir en France, peut-être ailleurs pour continuer à travailler à l’étranger… Mais, ma résidence permanente canadienne était prête depuis 2016. Après avoir hésité entre Vancouver et Toronto… J’ai décidé de me ré-installer ici.
Tu fais un formidable travail au sein de l’étiquette Chez Kito Kat Records qui fêtera d’ailleurs son quinzième anniversaire cette année. Peux-tu nous parler de la mission du label et des défis qui viennent avec la gestion d’une maison de disques basée entre différents pays?
Notre label a 15 ans. Beaucoup d’émotions! Nous avons le projet de faire un livre pour compiler tous les concerts organisés par le label, les artistes, les sorties de CD avec des pochettes cousues par mes petites mains (j’en ai fait à peu près 5000 je crois! Une autre époque, très DIY), les vinyles, les K7, les sorties digitales. Nous sommes, actuellement, en train de rénover notre site Internet, sans compter les sorties pour 2021 et peut-être si la situation le permet, des événements live. Jamais rien n’aurait été possible si Samuel n’était pas aux manettes avec Christophe. Nous sommes un trio ultra complémentaire tant dans les forces que dans les idées ou les compétences. On se balance tellement bien: Présidente-Fondatrice-Manager-Co/DA: Salima Bouaraour; Fondateur-Manager-Production-DA générale: Samuel Ricciuti et Manager-WebMaster-Post production-Co/DA: Christophe Biache. Nous sommes motivé·e·s par notre militantisme et notre engagement pour la scène électro-techno (par exemple, Christophe est un ancien de la scène techno et des premières raves en Lorraine); concernant la liberté de création (Samuel est engagé dans cette branche avec son doctorat par exemple); la diversité et la vie nocturne, pour ma part, par exemple. Nous travaillons par courriel, essentiellement, et leadons les projets de manière très organique, ensemble ou chacun son tour selon les disponibilités ou les projets. Les défis, les dernières années, ont été de garder une assise en Europe, notre base, et de s’ancrer davantage ici, même, si nous étions déjà présents. En 2014, le label s’est doté d’un bel outil pour rassembler les artistes du collectif sous le nom d’AnaLoveMyLog pour célébrer la composition analogique modulaire alliant des artistes visuels. Nous avons essayé de développer davantage les échanges Europe-Québec comme des tournées ou concerts avec nos artistes des deux bords de l’Atlantique, mais la pandémie a freiné le projet pour le concrétiser davantage, même si nous avions réussi à organiser des mini tournées, concerts ou événements en ligne. Nous poursuivrons cela dès que possible.
Kito Kat est actuellement à la recherche de productrices et de DJs pour une nouvelle série de podcasts 100% féminin et non binaire. Est-ce que tu peux nous donner quelques détails à propos de ce projet qui s’annonce très intéressant?
Ce projet fait partie, entre autres, d’un de nos événements anniversaires pour 2021. Nous avons toujours collaboré, de manière très informelle, et au gré des rencontres, avec des artistes. Les rencontres se font le plus souvent à travers notre réseau, nos ami·e·s, nos soirées après des concerts, nos voyages, etc… mais avec la pandémie, les rencontres, en temps réel, se sont raréfiées, alors, nous avons décidé de lancer un appel pour ouvrir nos horizons. Notre milieu n’a de raison d’exister que par les belles rencontres et nous espérons qu’avec cet appel, nous allons en faire des belles rencontres! J’ai sollicité quelques personnes, mais je trouve cela important de laisser la porte ouverte à toute personne voulant faire une proposition. Évidemment, en tant que femme de la diversité, d’origine algérienne, et de la communauté LGBTQI+, il est totalement naturel pour moi, de promouvoir les femmes dans toute leur diversité. Je ne vais rien vous apprendre de nouveau sur la situation des femmes vis-à-vis des diverses formes de discrimination que nous subissons. Très peu de femmes sont à la tête d’un label et je me rends compte que les choses évoluent doucement mais sûrement. Nous avons toutes un rôle à jouer pour faire évoluer la situation et ouvrir largement les portes aux femmes. Bien sûr, elles sont très actives dans le milieu, mais bien souvent, les femmes démarchent peu les labels. Par exemple, la majorité des démarchages que nous recevons sont masculins. Les sorties féminines que nous avons faites jusqu’à aujourd’hui ont été le fruit de rencontre. Par cette initiative, je veux clairement envoyer un message, celui que notre label est ouvert à toutes les femmes dans leur diversité! Nous planifions la sortie de ces podcasts au printemps.
Tu fais partie du comité MTL 24/24 (organisme visant à promouvoir la culture nocturne dans la métropole), j’aimerais t’entendre sur les avancements des discussions avec la ville et également sur la situation concernant l’absence totale de vie nocturne durant la pandémie.
J’ai découvert cet organisme en 2019, lors d’une consultation publique, rediffusée, sur le loisir public montréalais où MTL 24/24 avait présenté un mémoire qui prônait le développement de la vie nocturne comme projet urbain à part entière. Ce mémoire mettait l’accent sur les infrastructures et l’encadrement qui devaient accompagner ce changement. Comme je suis férue de politique (dans le sens antique du terme c’est-à-dire la gestion de la polis/cité par le citoyen), de culture, de vie nocturne et connaissant les restrictions législatives à ce sujet à Montréal, j’ai été complètement emballée par ce projet. Je me suis donc renseignée sur cet organisme et j’ai commencé à suivre leur actualité.
En décembre 2019, j’ai assisté à un apéro de discussion, après mes heures de bureau à la Société des arts technologiques où je travaillais à l’époque au centre de formation, et les sujets débattus me paraissaient avoir tellement de sens. Ça me faisait chaud au cœur de voir que des gens se mobilisaient pour faire évoluer la situation à Montréal pour la rendre plus moderne et progressiste. Durant mon parcours, j’ai eu la chance d’expérimenter la vie nocturne à Berlin ou à La Nouvelle-Orléans ou à Amsterdam, avec des horaires d’ouverture 24h/24h, des transports de nuit et des politiques pro night life! Montréal a d’énormes lacunes dans ce domaine.
Au printemps 2020, MTL24/24 a crée son Conseil de nuit dont je fais partie à présent. Étant donné, mon engagement, mon militantisme et mon expérience avec le label ainsi que d’avoir déjà participé à des mouvements en Lorraine, étant plus jeune, je me suis dit que je pouvais partager mon expérience et rencontrer des personnes qui avaient des valeurs communes aux miennes pour bâtir le Montréal de demain. À l’âge de 25-27 ans, je m’étais engagée pour que ma ville natale de Metz, en Lorraine, nous offre des lieux de diffusion et qu’on cesse de se faire expulser des bars pour tapage nocturne. Avec MTL24/24, le projet est bien plus large et colossal. Il porte sur tous les aspects de la vie nocturne. À 41 ans, aujourd’hui, je trouve cela comme la suite logique des choses. L’organisme est devenu un des consultants pour participer à l’élaboration de la politique de la vie nocturne de Montréal. Des comités de réflexion ont été mis en place sur divers sujets et nous espérons que tout cela va aboutir. Cependant, la pandémie s’est ajoutée aux nombreux stigmates dont la nuit doit s’affranchir. J’avoue que c’est une lourde problématique. À l’heure où je vous écris, nous faisons face à un couvre-feu. MTL24/24 est partenaire d’un organisme qui se nomme Night Time de Vibe Lab qui travaillent sur un projet de relance de la vie nocturne: Global Nighttime Recovery Plan. Si on s’informe sur le reste du monde, des pays ou des villes font des projets pilotes très concluants. Notre persévérance et notre résilience nous permettront d’aller de l’avant, j’en suis convaincue.
En conclusion, est-ce que tu peux nous présenter ton mix que tu dévoiles aujourd’hui et du contexte dans lequel il est né? D’autre part, comment se passe la création de ton côté en période de confinement?
Un énorme merci pour cette belle invitation!!! Ça me procure beaucoup de bonheur que de parler musique et partager. La sélection est principalement de la dark techno, minimale, indus à connotation allemande, italienne et anglaise. Ce mix est la musique que j’ai envie d’écouter à fort volume, dans un sous-sol, aux lumières tamisées, bondé d’une foule en transe: une ambiance comme je les aime jusqu’au petit matin. J’ai besoin des nuits qui m’affranchissent de l’asservissement de nos jours. Un espace-temps libéré de toutes contraintes où la musique fait parler nos corps et nos esprits pour leur permettre de s’épanouir, de communier, de reprendre des forces, de s’apaiser, de se décharger et de revenir plus fort. Des gens vont dans une église ou un temple pour nourrir leur âme, moi je vais dans une soirée techno! Il y a du VSK, Setaoc Mass, Nicolas Bougaieff, Javi Lago, KUSP, Scalameriya… des artistes que j’ai beaucoup écouté depuis le début de la pandémie. À l’âge de 13-14 ans, j’ai commencé à écrire des textes de rap que je posais sur des K7, des mix tapes scratch session avec Samuel à 16 ans, puis un groupe de hip-hop avec MC La Flake. Pendant 7 ans, j’ai fait parti d’un groupe d’électro clash avec mes deux acolytes du label, Samuel et Christophe. Notre groupe s’appelait Beat for sale. Mon surnom était la Peaches de Metz, haha! Nous avons pris beaucoup de plaisir. Après avoir fait beaucoup de scène, en 2014, pour des raisons personnelles et professionnelles, j’ai mis un coup d’arrêt à tout ça. Aujourd’hui, je prends beaucoup de plaisir à mixer, très modestement. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais l’énergie est là. Merci à MEFD.
Merci pour ton temps!
BEAT FOR SALE – douchebag from Super5 on Vimeo.
Tracklist:
VSK – Under Processing
[ Wex 10 ] – Crypto
Setaoc Mass – Destruction
Nicolas Bougaieff – Nocturne 5
Exal – Endless Wrath
Javi Lago – Cube
Javi Lago – Vanguard
Setaoc Mass – To Not Exist
KUSP – Warehaus