[Recommandation] REALMOREREAL – The Four Player Model
Le jeune label américain REALMOREREAL ne fait rien comme les autres. En réalité, il s’efforce tout simplement d’être lui-même et d’approfondir à chaque parution des concepts d’expérimentations sonores toujours très pertinents et d’en faire bénéficier son auditoire grandissant. Si la chronique de The Four Player Model arrive quelques mois après sa sortie, c’est parce que l’idée derrière ce disque requiert un certain état d’esprit, ou disons plutôt une disponibilité d’écoute plus vaste qu’à l’habitude. Explorant une formule dialogale entre les quatre artistes qui y prennent part, il aurait été dommage de s’attaquer à l’écriture avec l’esprit embrouillé ou un manque de dévotion envers le travail minutieux accompli sur celui-ci.
Se voulant être une expérience désirant démontrer la puissance et la force de l’écoute « réelle/active », cette aventure nous force à tendre non seulement l’oreille, mais également tous nos autres sens afin d’y plonger entièrement et de déceler des informations qui pourraient facilement se perdre dans l’espace-temps sans les conditions propices. Bâtit sous forme d’hommage au psychologue et chercheur David Kantor et son idée de « Four player model », la première personne à se prêter au jeu est la musicienne égyptienne Nur qui y joue le rôle du « Mover ». C’est elle qui initie le mouvement, ou la communication si vous préférez le voir ainsi. Pourtant, cette longue composition existe depuis près d’une dizaine d’années et c’est grâce à la beauté du hasard qu’elle fut découverte lors d’une lecture par l’un des membres du label. Étant tombé sous le charme de ce sinueux périple auditif où les échos, les voix et les silences se côtoient avec brio et imprévisibilité, cette pièce merveilleuse allait alors devenir la figure de proue du concept rattaché à l’album.
Vient ensuite le tour de l’Allemand Lorenz Erdmann qui agit en tant que « Follower », dont le rôle est de venir supporter le dialogue entamé par Nur. C’est une intéressante approche que le musicien nous propose ici, en canalisant une énergie électroacoustique bourrée d’échantillonnages similaires à celle de sa prédécesseur. Le tout demeure très spirituel, mais il complémente avec une dose d’effervescence inattendue. Légèrement plus brusque que l’introduction, on s’y perd aisément en attendant le prochain soubresaut. Si vous n’aviez pas encore saisi l’idée jusque là, l’écoute au casque est obligatoire vu le judicieux travail de profondeur et la quantité faramineuse de détails audios minutieux qui nous sont projetés aux tympans.
Une fois que l’omniprésente résonance des cloches de Lorenz Erdmann s’évapore, c’est Spätzer qui fait surface en tant que « Opposer ». Vous aurez deviné, ce troisième acte en est un de contestation, de divergence en lien avec ce que Nur nous proposait en entrée de jeu. Cette autre immense fresque auditive d’une durée pratiquement identique à la pièce initiale nous prend la main d’une tout autre manière. Les voix transformées détonnent de la véracité des échantillonnages vocaux de l’Égyptienne. Les subtils élans de guitare et les percussions spectrales qui surviennent en deuxième moitié de morceaux donnent naissance au moment le plus merveilleux de The Four Player Model, c’est un véritable vortex où notre esprit se voit absorbé. Spätzer est devenu maître dans l’art de décupler les sensations reliées à sa musique, voilà un artiste qui nous surprend énormément à chaque nouvelle parution et qui a la capacité d’aller dans une multitude de directions et de styles différents.
Pour conclure, c’est le regard du « Bystander » qui sera posé sur l’ensemble de ce périple auditif. Le compositeur américain George Sarah conçoit une musique qui s’inspire des trois précédentes œuvres et parvient à unifier les trois styles d’ambient relativement distants que les artistes nous avaient jadis proposés. Bien entendu, on y retrouve une très grande profondeur émotive, mais c’est l’immense patience dont fait preuve George qui nous séduit. Flirtant davantage avec le dark ambient que ses comparses, on y ressent un réel sentiment de finalité. Le dialogue a bel et bien eu lieu, une écoute transcendante s’est produite entre les trois projets et un respect de l’art d’autrui émane de l’ensemble du disque. Le label prouve une fois de plus que l’écoute est une activité à part entière et que s’investir adéquatement dans cette action peut avoir des bénéfices extraordinaires sur notre for intérieur. Merci à REALMOREREAL pour le splendide voyage astral!
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Paru le 10 novembre 2020 sur REALMOREREAL.