[Entrevue] TDA
Les concerts furent quelque chose de plutôt rare l’été dernier, mais la précédente saison estivale s’était soldée par une performance marquante de TDA dans une ambiance pittoresque. Ce projet solo du musicien Samuel Gougoux (que vous avez peut-être découvert sur le site grâce à notre chronique du groupe VICTIME) ne pouvait pas être ignoré vu le coup de foudre monumental que nous avions eu à ce moment. L’annonce de son nouvel album nous a donc inspiré quelques questions que nous avons eu le plaisir de lui poser afin d’en apprendre davantage sur le lancement de l’extraordinaire Ascète. Bonne lecture!
Nous sommes habitué·e·s à te voir derrière la batterie de plusieurs formations, mais tu sembles avoir décidé de t’accorder du temps pour toi depuis environ deux ans avec TDA. Comment approches-tu cette aventure solitaire en comparaison à tous tes projets parallèles? Était-ce une étape devenue nécessaire dans ton cheminement artistique?
J’ai toujours aimé jouer dans différents projets. Ça m’a souvent permis de sentir que j’abordais des zones que je trouvais complémentaires en musique. Avant d’arriver à Montréal, j’étais principalement actif dans VICTIME, un groupe qui était basé à Québec à l’époque. En me retrouvant à Montréal et loin de ce projet, j’ai graduellement senti que l’approche à la musique que nous avions avec VICTIME me manquait. C’est un peu de ce désir qu’est né TDA, dans l’intention de réaborder une musique brute au quotidien. Je dirais que oui, ça a été bénéfique dans mon cheminement artistique. Sortir de la musique en solo, c’est aussi apprendre à faire confiance en ce qu’on a à dire musicalement en tant qu’individu. Ça peut faire étrange de sentir qu’on demande à prendre cette place au début. Mais je suis content de ce que ça m’a fait apprendre, et d’où ça m’a mené pour le moment.
Tu as choisi ta région natale comme quartier général pour l’élaboration de ce deuxième album. Qu’est-ce qui explique ce retour aux sources et quelle est sa répercussion sur les sonorités présentes au sein de Ascète? Crois-tu que le même concept aurait pu voir le jour si tu n’avais pas choisi cette méthode et ce lieu de création?
Ça a été très intéressant de pouvoir me replonger dans ces lieux, surtout dans une intention de création. Le Bas-Saint-Laurent est une région que j’affectionne énormément, mais que je peux aussi rarement visiter pour de longues périodes vu la distance et mes engagements à Montréal. Évidemment, il y a le contexte de la pandémie de la dernière année qui a joué sur ma possibilité d’isolement créatif. Ça a été une chance pour moi d’avoir accès à une chambre et à l’hospitalité de mes parents durant cette période de création qui a duré quatre mois. Pour ce qui est de l’impact de cet environnement sur la musique, je dirais que mon rapport de sécurité en ces lieux m’a probablement donné l’assurance d’assumer les zones musicales et les thèmes que je désirais exploiter avec ce deuxième album. L’album se serait certainement déployé différemment si j’avais été ailleurs pour sa conceptualisation. Cette manière de travailler en étant isolé et en contact direct avec des sources d’inspiration tangibles m’a beaucoup plu. C’est certainement une approche que j’aimerais approfondir dans le futur.
Parallèlement à l’album, tu sortiras aussi un zine photographique qui accompagnera ton auditoire dans la découverte de ton univers sonore. Comment en es-tu venu à l’idée d’ajouter cet élément visuel à l’expérience unique que tu nous proposes avec cette deuxième parution? Pourrais-tu nous en dire plus sur son contenu?
Je n’aurais pas imaginé au départ, mais le fait de retourner m’installer au Bas-Saint-Laurent après quelques années m’a plongé dans un état de redécouverte face à ces lieux. Je crois que le zine est initialement né d’un attrait envers certaines caractéristiques de cet environnement qui m’ont toujours un peu mystifié, mais que je ne savais pas nécessairement comment documenter ou exploiter à l’époque où j’y vivais. C’est une fois le processus de documentation abordé que j’ai réalisé qu’il pourrait s’agir d’un objet visuel complémentaire à la musique que j’avais enregistrée. En fin de compte, le sujet principal du zine tourne beaucoup autour du rural et de la forêt. Ce sont des photographies prises principalement de nuit, lors de marches d’exploration à la lampe frontale dans des petits sentiers environnants. Je me suis rendu compte que j’aimais la dualité entre la sérénité qui se dégage des forêts la nuit et l’angoisse qui pourrait aussi se manifester dans ces mêmes espaces. Ces promenades sont finalement devenues des espaces d’explorations mentales, face aux perceptions et à la réceptivité. Je sens que cet aspect de mon travail photographique n’est pas si loin de l’approche que je peux avoir envers la musique que je crée en solo.
Même si tu composes une grande partie du matériel de TDA en solo, tu t’entoures de plusieurs ami·e·s pour la version scénique du projet. Comment ces musicien·ne·s se sont retrouvé·e·s à collaborer avec toi et quelle est leur influence sur l’évolution de ta pratique artistique?
Je suis en effet accompagné par trois autres musicien·ne·s dans la version live de cet album. Il s’agit de Simon Provencher (VICTIME, SP), Mathieu Arsenault (Technical Kidman, Seulement) et Élise Paradis. Je travaille avec Simon depuis déjà plusieurs années, c’est avec lui que j’ai formé mon premier groupe de musique en 2013. Notre complicité musicale est devenue très intuitive depuis. C’est vraiment un de mes partners musicaux préférés et je n’aurais pas imaginé quelqu’un d’autre jouer la guitare dans la version live de TDA. J’ai rencontré Mathieu lors d’un spectacle avec son ancien groupe Technical Kidman, on est vite devenus de très bons amis, et il a été un support très important pour moi lors de l’enregistrement de Ascète. Je savais que je serais accompagné d’un groupe et je sentais qu’il était la bonne personne pour s’occuper du synth/triggers/percs additionnelles en live. Finalement, j’ai rencontré Élise lorsque j’étais à la recherche de quelqu’un pour jouer du violon dans les performances. On vient de milieux musicaux assez différents, elle est surtout impliquée en musique baroque à la base. Son input a été vraiment intéressant lorsqu’on a monté la version live pour la première fois l’été dernier.
Anciennement connu sous le nom de Trafic des airs, tu as choisi de remiser cette appellation pour le nouveau chapitre de ton aventure. Y a-t-il une raison particulière expliquant cette décision?
Honnêtement, il n’y a pas de très grande raison face à ce changement de nom. Je crois qu’en voyant la direction que je prenais avec Ascète, j’ai senti que le nom Trafic des airs s’appliquait un peu moins à l’ambiance que je souhaitais dégager avec le nouveau matériel. C’était probablement un moyen de souligner l’intention d’un nouveau départ, car même si ça reste le même projet, l’intention est différente. En même temps, connaissant mon rapport au changement, TDA risque d’évoluer de manière encore drastique dans le futur, peut-être que le nom changera à nouveau, qui sait.
L’aura autour de ton album est dense et bouleversante. Un simple regard sur la pochette et nous sommes déjà absorbé·e·s, la musique vient ensuite consolider cette impression d’émerveillement. Comment en es-tu arrivé à une esthétique visuelle et sonore si cohérente? Y a-t-il d’autres artistes sonores ou visuels qui t’ont inspiré pour la conception de ce disque?
Merci pour les bons mots face aux impressions que la musique et le visuel peuvent laisser! 🙂 Pour moi, ce sont en effet deux choses absolument indissociables, surtout dans un contexte classique de release d’album. Pour celui-ci comme pour celui d’avant, je trouvais important de savoir quelle serait la pochette avant/pendant le processus d’enregistrement de la musique. En tant qu’auditeur, c’est la première chose qu’on voit et je trouve que ça dirige énormément l’écoute. Visuellement, je dirais que j’ai été beaucoup inspiré par le rural comme je le mentionnais plus tôt. J’aime beaucoup le travail de Dylan Hausthor, le photographe qui a fait la photo qui sert de pochette à l’album. Je trouve qu’il a une approche très engagée dans son travail, et je sens que son travail évoque des zones qui sont similaires à celles que ma musique peut dégager. Sinon, j’ai bien aimé regarder des photos d’archives de campagnes lors du processus d’enregistrement. Ça m’a fait beaucoup réfléchir à la condition humaine en général, et étant immergé dans des lieux semblables lors de l’enregistrement, j’ai retrouvé en ces images une certaine transcendance des époques. Russell Lee (1903-1986) est pour moi un bon exemple de photographe qui m’a transporté d’une époque à l’autre. Pour ce qui est de la musique, les inspirations sont multiples. Beaucoup de musique expérimentale, industrielle, mais aussi de la musique électronique, et issue du courant no-wave.
Pour conclure, ton album est une expérience immersive et prenante qui mérite une dévotion particulière chez l’auditoire. Quelles sont les conditions d’écoute idéale que tu pourrais suggérer à ton public qui désirerait retirer le maximum de Ascète?
Pour ma part, Ascète m’a accompagné dans une période de réflexions et de changements. Je ne pense pas qu’il y ait de conditions d’écoute idéales, mais peut-être plus un état d’esprit compatible à l’énergie de l’album. Même si la musique peut sembler dense, il est important pour moi qu’il soit entendu que cet album a été créé dans un état de sensibilité et d’écoute de soi. J’imagine donc un peu plus l’écoute de cet album comme un chemin à emprunter lors de moments déstabilisant que comme quelque chose d’étrange à affronter. Mais au final, je pense que ceux qui seront touchés par la proposition se l’approprieront de la manière qui fait le plus de sens pour eux.
Merci pour ton temps!