[Entrevue] Hildegard
Il était tout simplement impossible de passer sous silence l’éclatante première parution du nouveau duo Hildegard sur le label Section 1. Composée des musiciennes Helena Deland et Ouri, cette union des forces nous avait totalement attendris avec les trois extraits rendus disponibles avant la parution de leur album éponyme le 4 juin dernier. C’est donc avec notre toute nouvelle photographe Sara-Claudia que nous avons eu la chance d’aller rencontrer le duo préalablement au lancement afin de discuter d’une panoplie de sujets gravitant autour de leur univers électronique singulier et touchant. Espérons que ce bel entretien vous donnera envie de plonger à plein nez dans leur somptueuse musique. Bonne lecture!
Tout d’abord, j’aimerais en découvrir plus sur la rencontre humaine entre vous deux. Comment avez-vous fait connaissance et quand avez-vous découvert la musique de l’autre?
Ouri : On s’est rencontrée au sein d’un groupe d’ami·e·s duquel on gravitait toutes les deux autour, mais on n’avait pas encore réalisé le potentiel de notre comptabilité créative. Quelques années plus tard, notre manager a suggéré de faire des sessions ensemble. C’était vraiment léger et drôle, on a partagé quelques musiques et ensuite on a sauté en studio. C’était incroyable, la fusion était totale!
La chimie au sein de Hildegard est indéniable, comment l’idée de former un projet ensemble est-elle survenue? Est-ce que ça mijotait depuis longtemps dans votre esprit?
Helena : On n’avait pas vraiment l’intention de créer un projet avant d’avoir fait de la musique ensemble. À force d’avoir du plaisir à l’écouter entre nous, c’est devenu clair que nous avions envie de la partager. Au départ, on pensait que ce serait plaisant de maintenir notre anonymat en ne s’associant pas personnellement au projet. Éventuellement, ça nous a semblé plus réaliste d’assumer d’où on vient et qui on est artistiquement.
Chaque chanson correspond littéralement à un jour en studio où on l’a créée et produite. Par exemple, la pièce Jour 1 date de notre première journée en studio, ainsi de suite. Il n’y avait pas de préparation au préalable.
© Photo: Sara-Claudia Ligondé
Concernant la création musicale, avez-vous une manière spéciale de procéder? Avez-vous un rôle plus défini?
Ouri : C’est sûr qu’on a nos spécialités intrinsèques, mais on a bien voulu changer de rôle par moment pour amener une perspective nouvelle sur chaque élément qui compose la musique. On voulait faire des expériences musicales plus complètes. On voulait avoir une nouvelle approche et pas simplement garder les spécificités qu’on a dans nos projets solos, on ne voulait pas que ça crée un bloc, mais plutôt un tout.
Helena : Nos idées se sont beaucoup entremêlées, il faut aussi dire qu’on se complète très bien. C’est comme une conversation sonore. C’est généralement de l’improvisation, alors nos idées déclenchent des réactions chez l’autre et vice-versa.
Les trois premiers singles de votre album ont fait l’objet de vidéoclips originaux et variés stylistiquement, est-ce que vous prévoyez faire la même chose pour les autres pièces? Et comment avez-vous trouvé l’expérience de réaliser ces vidéos en temps de pandémie? Vous sentiez-vous limitées?
Helena : Ce serait très ambitieux que d’avoir une vidéo pour chaque pièce, mais nous n’avons pas fini d’en faire non plus. C’est une belle façon de souligner l’importance qu’on accorde à certains morceaux choisis. Quand il y a quelque chose qu’on a envie d’explorer plus loin que par la chanson elle-même, le vidéo est une belle façon d’y parvenir même si les tournages étaient vraiment intenses.
Ouri : On s’est dit qu’on ne voulait pas vraiment faire de compromis. On tenait à faire des choses avec lesquelles on était en accord et complètement fières. La distance pour la première vidéo qu’on avait faite et qui était dirigée par Melissa Matos était un bon challenge, ça n’a pas été très facile. Elle était au Royaume-Uni à ce moment-là, elle avait filmé des choses là-bas et nous avions dû en filmer d’autres sous sa direction à Montréal pour Jour 2. Finalement, c’était super intéressant et nous avons réussi à relever le défi.
© Photo: Sara-Claudia Ligondé
Melissa Matos est justement l’artiste responsable du sublime visuel de votre pochette, comment avez-vous fait sa rencontre?
Ouri : C’est une personne que je connaissais depuis plusieurs années, que j’admirais énormément. J’avais travaillé avec elle pour des projets un peu obscurs d’entraînements cérébraux, musicaux et visuels. Je suis allée la visiter à Londres à plusieurs reprises et je lui avais montré les maquettes à l’hiver 2019 peu après être passée en studio. Elle a donc suivi l’évolution de Hildegard. Quand on a vu qu’on avait vraiment du soutien de l’industrie, on a décidé de l’approcher comme on était toutes les deux fans de son travail et on s’est rendu compte qu’elle pouvait complètement soutenir la vision de ce projet.
Les trois pièces disponibles n’ont pas peur d’explorer des territoires stylistiques différents, est-ce primordial pour vous de laisser de la place à l’exploration et à la flexibilité dans votre musique, mais aussi au niveau du chant et des paroles?
Helena : Définitivement, je pense que la liberté qu’on a ressentie en collaborant au début est demeurée. Ce n’est pas évident à conserver, mais on aimerait bien que ça fasse toujours partie du résultat. Notre musique est très intuitive, mais aussi très chargée. Notre approche est assez “joueur”, il y a beaucoup de légèreté même s’il y a des thèmes qui sont plus lourds. Ils sont abordés dans une sorte de fébrilité, ce qui était nouveau pour moi.
Ouri : Helena est définitivement plus à l’écriture des paroles, mais il y a quand même des idées qui viennent de nous deux.
Helena : C’est souvent inspiré des conversations et des échanges qu’on a au quotidien. Dans le fond, on a écrit ce que notre voix chante, la thématique se construit autour de l’improvisation.
Ouri : On suivait toutes les énergies qui se présentaient à nous au fil des jours en studio. On essayait de capturer ça de manière analytique.
© Photo: Sara-Claudia Ligondé
Les dernières semaines ont été ponctuées de spectacles pour vous deux. Comment se sont déroulés les premiers concerts pour Hildegard? Est-ce que ça vous a donné envie de retourner sur scène le plus rapidement possible?
Helena : C’était vraiment cool d’explorer la contrainte de ne pas utiliser d’amplification, donc aucun instrument synthétique. C’était amusant de transposer notre musique de cette manière. Je pense qu’il faudra s’adapter constamment selon les opportunités et la situation actuelle. C’est notre booker Michael Bardier (Heavy Trip) qui a proposé cette formule de spectacle au théâtre La Chapelle qui faisait une série de concerts acoustiques.
Ouri : Pour le festival Santa Teresa, c’était quand même un défi de transposer notre musique dans ces conditions. Comme le concert était dans une église, ça nous a poussées à réfléchir à une approche hybride de nos prestations et de conserver certains éléments de notre set acoustique, de revisiter les choses différemment. On tenait quand même à amener l’aspect dense et intense de l’électronique. Il va définitivement falloir continuer d’explorer cette façon de procéder.
Helena : C’était drôle de jouer dans une église avec la lueur du jour, l’ambiance était particulière et les gens étaient très visibles et tous masqués. On était très contentes de jouer, mais il y avait une forme de désenchantement, car on pouvait difficilement percevoir la réaction du public comme les gens devaient demeurer sur leur siège. Le décor était grandiose, mais plein de choses rentraient en ligne de compte et j’étais assez nerveuse.
Même si vous faites partie d’une multitude de projets, vous n’hésitez pas à réaliser plusieurs collaborations avec des artistes d’ici et d’ailleurs. Comment cela influence-t-il votre créativité?
Helena : Chaque collaboration nous forme comme musicienne. On essaye d’emporter tout ce qu’on a à la table quand on entreprend un projet. On grandit et on s’ajuste sans cesse et c’est difficile de savoir exactement ce que nous en retirons. J’essaie de voir si c’est une collaboration qui semble pouvoir m’offrir quelque chose d’unique. Ça devient très stimulant et tentant d’accepter dans ce temps-là, sans nécessairement avoir besoin de sortir de ma zone de confort. C’est parfois très agréable aussi quand c’est facile et organique.
Ouri : Quelque chose à laquelle je suis sensible est ma manière d’approcher la musique dans les collaborations. Je me questionne à savoir si c’est le bon moment, si nous sommes tou·te·s aligné·e·s et je m’assure qu’il n’y a aucun égo. Il faut s’assurer que les personnes sont réellement disponibles, sinon il vaut mieux profiter d’un autre moment pour faire de la création ensemble. J’ai l’impression que je suis de plus en plus sensible au contexte de création, et c’est une chose que j’ai toujours bien ressentie dans Hildegard.
© Photo: Sara-Claudia Ligondé
Vous avez la chance de collaborer avec l’agence Chivi Chivi, était-ce important pour vous de travailler avec une entité vous faisant sentir comme à la maison, d’avoir un contrôle sur l’image et la direction artistique du projet?
Helena : Je travaille avec Chivi Chivi depuis cinq ans et ça m’a semblé être la bonne chose à faire que de continuer cette relation. On est vraiment reconnaissantes, on a une amitié profonde et épanouissante avec les gens qui en font partie.
Ouri : Ça nous nourrit et ça nous apporte de la simplicité et de la fluidité dans le processus. Ça nous encourage à vouloir affronter les défis qui se présentent et on désire continuer dans cette direction-là. À la base, on veut ressentir quelque chose de simple dans un lien comme celui-ci.
Pour conclure, étant très occupées avec vos projets solos et autres groupes, quelle place aimeriez-vous accorder à Hildegard dans l’avenir? Aimeriez-vous emporter le projet en tournée?
Ouri : Faire de la tournée peut être extrêmement éreintant. Avec la COVID, ça m’a soulagée de ne pas avoir à affronter ça et d’être capable de me préserver. C’était agréable de ne pas devoir focaliser sur la performance.
Helena : La magie se passe pour l’instant dans la composition et dans les jams. C’est certain que j’ai vraiment envie de préserver mon temps pour ça. Notre méthode de travail constitue davantage à de petites périodes concentrées de création et ça se place bien dans des vies comme les nôtres. On fabrique notre horaire plus facilement de cette manière et c’est un peu comme ça que nous voulons fonctionner pour le futur aussi.
Merci pour votre temps!
© Photo: Sara-Claudia Ligondé