[Recommandation] Phalioo – Night In Depth
Panoramique sur les réverbères éteints d’une cité moderne. Un écho lointain dont l’ampleur croît. Un millier de grillons mécaniques frottent leurs élytres d’acier. Une lueur fantomatique éclaire les rues désertes de cette banlieue pavillonnaire – à moins que ce ne soit celles d’un quartier mal famé de quelque mégalopole de science-fiction. Une voiture s’approche, silencieuse, tous phares éteints. La portière s’ouvre. On monte. Au volant, Phalioo qui nous embarque pour une virée nocturne.
La nuit. C’est donc ce thème qu’a choisi d’explorer le prolifique artiste uruguayen à travers les quatre titres de sa dernière livraison. Économie de moyen, subtilité du propos, Phalioo installe ses ambiances avec très peu: les synthétiseurs et les field recordings utilisés pour cet album donnent dans la nuance. Sombre, évidemment, sur le fabuleux Just Barely a Light Talk, errance nocturne commencée comme une promenade pédestre à l’abri des haies soigneusement taillées d’un quartier résidentiel et terminée dans la quiétude menaçante d’une station service ouverte 24h/24h. Des conversations étouffées nous parviennent, captées par hasard; un carillon sonne comme les cloches synthétiques d’une église éclairée aux néons. Minuit, l’heure du crime, l’heure où les morts sortent de leur tombeau pour déferler lentement dans les artères vides. Les chromes se ternissent, la berline se transforme en citrouille: image d’une réalité qui se désagrège et laisse apparaître le béton derrière le vernis. On pense à la bande originale des Revenants, mais aussi à J.G. Ballard et Philip K. Dick (Ubik, bien sûr, mais aussi À Rebrousse Temps).
Phalioo n’en est pas à son galop d’essai. Compositeur chevronné, le natif de Montevideo sort là rien moins que son treizième effort (si l’on met de côté le single Dead End, également présent sur cet album). Et c’est peu dire qu’il nous avait déjà passionnés avec les non moins recommandables A Certain Escape (double négatif de Conundrum Monolithic) et Broadcasting ajoutée. Depuis 2018, l’artiste ambient minimaliste construit une œuvre où les atmosphères ténébreuses occupent une place de choix. La noirceur de sa musique diffuse pourtant, paradoxe plaisant, une étrange sensation de bien-être. L’univers de Phalioo, c’est une dystopie, mais dans laquelle on se sent bien.
On ne s’étonne donc pas de le retrouver à explorer ces heures où le soleil se cache. Moment propice à toutes les extrapolations, la nuit charrie cet imaginaire dans lequel la peur et la féérie se tiennent continuellement la main. C’est cette ambiance que capte Phalioo sur Night in Depth, ce mélange d’émerveillement et de terreur sourde qui est le propre des atmosphères nocturnes. Les graves murmurent sur Just Barely a Light Talk, donc, mais aussi sur Dead End, le titre qui clôt l’album. Sur ce dernier, une mélodie répétitive jouée au piano (qui n’est pas sans rappeler le Canada Disappears de Number One Cup) se délite jusqu’à son entière corrosion dans une mare de delay. Des halètements, des grognements bestiaux démangent l’audition périphérique: derrière l’apparente tranquillité du royaume de Nyx, le danger rôde.
S’il excelle dans la nuance, Phalioo sait aussi donner dans le violent contraste. Sur Dawning Jolts, le chuintement électrique se mue en vagues angoissantes qui déferlent sur l’auditeur, le submergent jusqu’à saturation au milieu du morceau. Soutenu par des nappes sinistres, le morceau donne à l’auditeur.trice l’impression de s’approcher au plus près d’une centrale électrique en surchauffe. Les transformateurs crépitent, les fréquences grésillent, mais l’explosion tant attendue ne surviendra jamais et c’est finalement en douceur que l’on s’éloigne de ce chaos entropique.
Album ambivalent, Night in Depth (disponible en édition limitée cassette – ce qui devrait affoler collectionneuses et collectionneurs) exprime à la perfection la dualité de la nuit. Exploration urbaine, éloge de la lenteur, cet album mérite qu’on y revienne plusieurs fois, que l’on s’y attarde comme pour ces lieux dont on découvre le charme dès lors qu’on se familiarise avec eux. «C’est beau une ville la nuit» a écrit Bohringer. Surtout quand c’est Phalioo qui en fait la bande-son.
→ À écouter si vous aimez: Celer, Hotel Neon, Stars of The Lid, The Caretaker & Trucking To Tokyo
→ Morceau favori: Just Barely A Light Talk
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Paru le 24 mai 2021 sur Veinte 33 Records.