[Scène française] L’Effondras – Anabasis
Avant de chroniquer cet album, il me semble important de mettre quelque chose au clair. S’il y a bien une chose que j’ai apprise de mon entrevue avec BRUIT ≤ , c’est qu’il ne faut jamais se fier aux étiquettes. Non pas que je l’ignorais, mais le groupe a mis le doigt sur le fait qu’elles ont tendance à enfermer les formations dans des cases et à les empêcher de se développer. De là naissent les niches. Mais elles ont néanmoins une fonction importante, celle de servir de références, de point de repère. Mais c’est tout. Dans les musiques actuelles, elles sont surtout vouées à ouvrir de nouveaux horizons qui mèneront vers des créations plus riches et fascinantes.
Dans le monde du rock, certains sous-genres se mordent la queue. Bien qu’étant adepte du post-rock, je reconnais volontiers que ce style est hyper codifié et qu’il est difficile de trouver sa place. Pourtant, L’Effondras a ce petit «je ne sais quoi», qui fait la différence, ce petit truc qui explose les frontières pour en tirer un album hybride tout en restant dans un esprit rock pur et dur. La production y est rugueuse, le son et les structures atypiques. Il y a un côté sauvage et insaisissable, une vision presque anarchique du post-rock. Ainsi, ils ne sont pas sans rappeler les suisses Ventura. On sent que le trio veut faire avancer le genre, surprendre et surtout fracasser les codes qui lui sont inhérents.
Fondé en 2011, L’Effondras se compose d’une batterie et de deux guitares (dont une baryton), ce qui viendra expliquer ce côté rugueux, même si la section rythmique apporte une certaine rondeur qui viendra faciliter notre écoute.
À l’écoute de Grinding Wheel, le titre d’ouverture, nous sommes décontenancé·e·s et nous comprenons qu’on ne pourra pas envisager cet album comme un disque de post-rock. S’il y a une chose que la formation conserve de cette musique, c’est le côté grandiloquent et répétitif (ne pas comprendre chiant, mais plutôt hypnotique). Cette composition développe une atmosphère crépusculaire mise en relief par un blues que n’aurait pas renié un groupe comme Iron Tongue (side project de Chris Terry, chanteur de Rwake). Ce blues sera omniprésent sur tout l’album, parfois imposant (Grinding Wheel, Anhedonia), parfois en filigrane (Ce que Révèle l’Éclipse, Norea).
Si le premier contact est en apparence facile, on aura tôt fait d’être désorienté·e. Le groupe a tendance à casser ses compositions, en les laissant respirer et en les menant dans une direction complètement inattendue (Ce que Révèle l’Éclipse, The Grinding Wheel, encore). Anabasis ne prend personne par la main et exige aux auditeurs et aux auditrices une écoute attentive pour en comprendre tous les aspects, au risque d’en perdre certains et certaines. Le groupe en a pleinement conscience et délivre en milieu de parcours un Aura Phase au rythme plus enlevé et up-tempo pour unifier le tout avant de repartir sur des terrains plus complexes et épiques.
On l’aura donc compris, aborder Anabasis comme un disque post-rock pourrait donner du fil à retordre. Bien évidemment, il ne faut pas faire l’autruche non plus. Du post-rock, il y en a, je dirais même qu’il s’agit de la base de cet l’album. D’ailleurs, la chanson Norea a les deux pieds dans cet univers même si elle comporte une pincée de shoegaze. Elle clôt majestueusement l’album, par une lourdeur plus prononcée et une mélodie plus entêtante.
L’Effondras trompe son monde, brouille les pistes et délivre un album puissant, coloré et totalement inattendu. Un des essentiels de cette année.
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Paru le 21 mai 2021 sur 98db, Araki Records, Kerviniou Recordz et Medication Time Records