[Festivale] MUTEK (2019) – Jour 5
A/Visions 3 @ Théâtre Maisonneuve
Le dernier A/Visions de cette vingtième édition présentait DUO, projet collaboratif des artistes France Jobin et Richard Chartier. L’environnement sonore sensible et immersif proposé par les deux musiciens était accompagné de visuels signés Markus Heckmann. Un univers onirique de nébuleuses monochromes occupait pleinement l’écran massif du théâtre Maisonneuve, traversé par moments de réverbérations colorées, jouant avec la diffraction de la lumière. Ces images suivaient agréablement les lentes circonvolutions de la musique, assemblage complexe, mais minimaliste de multiples textures sonore. Une sculpture musicale délicate qui ouvrait la soirée toute en douceur.
Par la suite, le collectif italien fuse* offrait une performance se démarquant de tous les A/V vus jusqu’alors, puisque délaissant le classique: table, ordinateur et projection. Seule sur scène un corps, celui d’une femme prise dans un monde abstrait fait de particules en mouvement. Basée sur un impressionnant mélange de technologies avec notamment des capteurs sensoriels, un double écran, la performance transporte l’audience dans un univers parallèle immersif.
La grâce opère lors des mouvements du corps en symbiose avec la technologie, notamment lors des lévitations de la danseuse, qui grâce au double écran semble littéralement prise dans un autre cosmos. L’interaction entre le numérique et l’organique proposé par le collectif est captivante et pleine d’élégance, la performeuse dégage une aura à chaque mouvement. Dans ce monde à la pesanteur variable, les émotions et les atomes prennent vie, apportant une ligne dramatique à ce qui se joue devant nos yeux ahuris, tantôt calme, tantôt tempête. L’espace-temps est lui aussi modifié et déjà l’ovation du public remercie fuse* pour ce moment incroyable.
Play 3 @ Agora Hydro-Québec du Coeur des Sciences de l’UQAM
Trop peu, trop tard pour capter la courte performance de Stephanie Castonguay à notre sortie du Théâtre Maisonneuve. Arborant une chemise à l’effigie des légendaires Neurosis, le québécois Nicolas Bernier s’apprêtait à diriger son Ensemble d’oscillateurs avec un large sourire aux lèvres. Segmenté en quatre compositions, il s’amuse lui-même avec ses dix machines lors de la première de celle-ci. À ses côtés, la saxophoniste Ida Toninato s’en donne à cœur joie avec des envolées qui dictaient le ton de cette introduction rythmée et prenante. S’en suivait de trois autres portions où une dizaine de musicien·ne·s se chargeaient d’opérer les instruments. Un hommage très réussi à Pauline Oliveros et une finale concoctée par Maxime Corbeil-Perron, où des lunettes 3D étaient requises, ont su donner le ton à une performance hautement originale et absorbante.
Venait maintenant le temps de la tant attendue performance d’Akiko Nakayama et de son majestueux Alive Painting. C’est devant une foule très attentive qu’elle eut l’occasion de jouer alors que tout l’auditoire était obnubilé par les grandioses projections peintes en direct aux sons de la musique de la Japonaise. Nous avons eu droit à une belle variation de styles. Principalement drone, mais par moments un peu plus rythmées, les compositions de la productrice étaient toutes en subtilité, ce qui créa un instant fort agréable. Le seul regret de cette prestation fut qu’elle était dans la salle avec le plus petit écran du festival, ce qui ne permettait pas de capter l’ampleur des visuels très créatifs et surtout tout à fait sublimes. Alive Painting aurait certainement pu faire partie de la série A/Visions ayant lieu au Théâtre Maisonneuve alors qu’il s’agit d’un concept plus original que la plupart des spectacles y ayant eu lieu cette année. Malgré tout, il s’agissait d’un des beaux moments du MUTEK qui nous aura encore fait découvrir un trésor caché.
Pour conclure la dernière édition de la série Play du vingtième MUTEK, la tâche était allouée au duo CLON x NWRMNTC et de la présentation de leur création META. Ana Quiroga, productrice espagnole, était derrière ses instruments électroniques pour nous en mettre plein les oreilles alors que sa collègue, l’artiste numérique Estela Oliva était en contrôle des visuels nous plongeant dans l’angoissante atmosphère des espaces virtuels d’un jeu vidéo. Alors que de puissantes basses résonnaient, les projections nous amenaient dans un univers parallèle, nous faisant déambuler sur les docks d’un port, dans des plaines, mais aussi dans une zone urbaine s’apparentant drôlement aux alentours de l’Agora Hydro-Québec. L’ambiance était sombre et lourde, la fusion de drone, de noise et d’industriel pesait énormément sur nos corps, mais nous hypnotisait sans retenue. Cette prestation très linéaire était l’une des plus atypiques du festival et probablement la plus étrange. Le dernier morceau, nous amenant auprès d’un groupe d’humanoïdes pouvant s’apparenter à une secte, était déconcertant. La foule était malheureusement trop peu nombreuse pour assister à l’une des performances les plus uniques du festival.
Motion 2 @ Studio des 7 Doigts
Pour ouvrir le deuxième volet Motion, Errhead surprenait les premier·ère·s curieux·euses avec de langoureuses basses agrémentées d’enregistrements vocaux et de glitchs électroniques séduisants. Les rythmiques étaient, quant à elles, imparables pour faire danser la foule conquise. Un set agrémenté de visuels réalisés par lui-même et présentés pour la première fois. Passionnant du début à la fin avec deux dernières pièces plus relevées et déchaînées.
© Photo: Vivien Gaumand – Errhead
Huerco S. dessinait des paysages sonores comme un impressionniste peint une toile: par touche successive. La palette de nappes était large. Celles qui marquaient le plus étaient les plus profondes et sourdes, laissant libre cours aux vibrations les plus intenses qui s’animaient par dessus des textures aériennes. Ce contraste saisissant laissait à quiconque le loisir de planer les pieds sur terre. Le vrombissement était permanent, contrastant avec le minimalisme visuel de la performance. Après une heure de secousses, il clôturait son set par une montée rythmique surprenante, jusqu’au moment où il referme son laptop!
© Photo: Vivien Gaumand – Huerco S.
Rashad Becker et Ena trituraient des sonorités orientales qui sortaient de leurs machines avec de puissantes réverbérations et effets divers. Le rendu était un dub aux allures de manipulation expérimentale. Le métronome des compositions était la basse, là encore d’une puissance redoutable, laissant les vibrations atteindre les corps inertes ou enivrés de la foule. Les textures enlaçaient les fréquences dans un lent processus de tension, alternant les séquences de manipulations sonores, à d’autres moins hermétiques, un peu comme ci le duo s’efforçait à faire naître du dansant dans le dissonant.
© Photo: Vivien Gaumand – Rashad Becker & Ena
Changement de ton drastique dans la soirée puisque le duo britannique Overmono prenait les reines d’une salle qui semblait avoir eu peur du mur de son créé par les artistes précédents. Peu à peu, le parterre se regarnissait sous le savoureux mélange d’influences des Européens. Naviguant avec douceur entre breakbeat, drum & bass, acid et techno lente, nous étions sous le charme absolu devant une telle maîtrise des styles. L’expérience était totalement réussie et nous avions l’un des dancefloor les plus agréables de tout le festival. Toujours très spatiales et flottantes, les rythmiques saccadées et changeantes du duo nous permettaient de faire le vide sur la surdose de musique des derniers jours. Très jolie surprise!
© Photo: Vivien Gaumand – Overmono
Ne sachant aucunement à quoi nous attendre pour la suite des choses, disons simplement que nous en avons eu plein la gueule avec la déchéance auditive que nous proposait Nkisi. L’ambiance sonore tumultueuse, mais pourtant extrêmement dansante, faisait crouler le parterre sous les coups de pied répétés du public. Elle pouvait faire ce qu’elle voulait avec les corps en mouvement qui se dressaient devant ses yeux, l’hypnose était totale. Une quantité impressionnante d’artistes présent·e·s au MUTEK était dans la salle, révélant un grand intérêt de la part des Montréalais·e·s, mais aussi de nos visiteur·euse·s. Quelle jolie prise de l’équipe de programmation qui donnait une magnifique alternative à ceux et celles qui ne désiraient pas s’aventurer au MTelus pour la populaire Nocturne du samedi soir. Ce qui fut d’ailleurs notre cas, impossible de nous déhancher sur quoi que ce soit d’autre par la suite, c’était plutôt la direction sommeil dans notre cas afin d’être frais pour la dernière journée.
© Photo: Vivien Gaumand – Nkisi
À voir lors du Jour 6:
- Les élans aériens et ambient de la productrice Desert Bloom.
- L’électronique hypnotisant du montréalais Persuasion fera tourner les têtes.
- L’efficacité déconcertante de la fusion entre house et techno de Beta Librae.