[Entrevue] Miley Serious
De passage à Montréal durant l’Igloofest le weekend dernier, nous avons pris un moment pour discuter avec la DJ Miley Serious, artiste qui a premièrement fait ses pas dans la scène punk pour enfin poursuivre vers le DJing. D’origine française, Miley nous partage ses impressions sur la scène électro-underground à l’étranger et en Europe et nous parle de ses projets à venir. En souhaitant que vous trouverez cet échange aussi intéressant et éclairant que nous. Bonne lecture!
Ton nom de scène est un jeu de mots très drôle, comment l’expliques-tu?
Avant je mixais en duo avec un gars, mais la vie a fait que l’on a dû arrêter. Puis une nuit je devais reprendre un nom, c’était en 2009 sur SoundCloud, l’époque où on faisait plein de chopped & screwed dans une scène qui s’appelait la witch house et en witch house, tu utilisais un nom de pop et c’est ce que j’ai fait. Il y a un artiste à ce moment-là qui s’appelait AIDS-3D et ma pote voulait le nom CHOLERA2D, alors je me suis dit que j’allais m’appeler Miley Serious. C’est une mauvaise blague de nuit, un nom random qui fait rire les gens. Niveau crédibilité parfois ce n’est pas si facile. Je ne voulais pas d’un nom de scène trop sérieux, trop techno ou juste Aurore, ça ne me représente pas.
Tu as récemment eu la chance de faire plusieurs dates en Chine et au Japon. Qu’est-ce que ce voyage t’a apporté?
Je reviens tout juste de la Chine et du Japon. Le Japon ce n’est pas la première fois que j’y jouais donc c’était une évolution de ce que je pouvais faire là-bas. J’ai joué dans une salle à plus grosse capacité dans un endroit un peu plus DIY que les clubs. J’en ai profité pour travailler une release avec un artiste japonais qui sortira bientôt sur mon label. Je suis contente de retrouver cette connexion avec les gens. La Chine, c’était surtout l’envie d’explorer une scène naissante dans un si grand pays. J’espère vite y retourner, car il y a beaucoup de choses à faire. L’underground se construit et c’est très intéressant. C’est vraiment le futur pour la scène techno dans le sens où tu peux faire évoluer et ramener des gens.
Comment perçois-tu la scène underground dans ces deux pays, est-ce qu’il y a un gap?
Il y a un gap énorme, j’étais justement en train de parler de ça à Soraya (Sentimental Rave, également présente à Igloofest). Le fonctionnement de ces deux pays est très différent et ça se ressent même au niveau de la scène. La population agit différemment, les Chinois sont un peu plus fou fou dans le sens où ils prennent plus de risques. Il y a pas mal de clubs où on pourrait se croire à Berlin, dont un qui se nomme le Tag. C’est un club situé au 25ème étage d’un building désaffecté, ils prennent beaucoup de risque. Alors qu’au Japon, c’est hyper institutionnalisé, les clubs ferment tôt, ils sont carrés sur ça. Même le club que j’ai fait, qui est DIY (Forestlimit), c’est géré d’une façon différente. Je dirais aussi que l’approche avec les gens diffère, il y a plus de retenue comparativement à la Chine où tu peux les prendre dans tes bras et dire aux gens que tu les adores. OIL est le meilleur club en Chine à mes yeux, il se trouve à Shenzhen. Ce sont deux meilleurs amis qui l’ont ouvert. Il est super beau. Limite, pour nous, ça pourrait être un club à bouteille tellement c’est propre, mais pour eux c’est underground (rire), le meilleur sound system que j’ai jamais eu, meilleur accueil. Ce qu’ils font, c’est digne de personnes dévouées, aimant la musique et qui font vachement de chose pour la scène queer à Shenzhen. C’est chouette de voir qu’il n’y a pas un oubli d’une certaine population.
Et plus généralement, entre la scène en Asie et la scène en Europe?
Tu veux parler avec la personne la plus négative de la terre? (rire). Non, en fait, je n’ai juste pas envie de rentrer. Puis avec les voyages, la fatigue s’accumule donc on n’a pas une vision super positive de tout. C’est sûr que la scène en Europe se porte bien, je ne vais pas dire le contraire. Ça bouge beaucoup, il y a des endroits qui ouvrent, d’autres ferment, c’est en pleine mouvance tout le temps, mais en ce moment je n’y trouve plus trop ma place. J’ai eu un énorme coup de cœur en Chine et au Japon parce qu’ils agissent beaucoup. Ce n’est pas une fame grandissante pour «devenir quelque chose» auprès des gens, ce qu’on ressent là-bas.
Je ne parle pas que d’une scène locale, mais c’est vrai qu’éduquer une foule c’est différent sur cet aspect-là parce qu’en Europe on ne cherche pas vraiment à éduquer une foule, tout le monde veut rider plus une hype autour de la techno. Dans les années 90, c’était cool d’écouter du rock, en 2000 c’était cool d’écouter du rap et maintenant, c’est cool d’écouter de la techno. À mes yeux, on ne fait plus trop attention à notre communauté musicale et ça ne devient qu’une énorme business. C’est un monde qui bouge vite, à qui aura le plus de place, le plus d’emprise. Puis maintenant, ce sera compliqué de jouer en Angleterre à cause du Brexit. C’est dommage pour la rave culture. Ce sera la tristesse de l’Europe. En ce moment, j’ai envie de faire une pause de ce continent, car je veux découvrir des communautés naissantes et de nouvelles scènes. Je veux me détacher de ce business et me concentrer sur des choses plus concrètes.
Et enfin, comment vois-tu la scène nord-américaine ?
Ah, c’est ma pref ! Dans son historique, c’est tout ce que j’aime. Acid, techno, house, je suis fan du ghetto de Chicago, de la house gay de New York. Je sais aussi que dans le Sud, il a y des promoteurs et des artistes qui refont vivre des scènes et je trouve ça hyper intéressant. À Nashville, LA. Ça donne envie, c’est toute une communauté qui se mélange, rap, speedcore. Je suis pas mal à l’écoute des labels d’ici, c’est inspirant, c’est multigenre, ça ne rentre pas dans un moule. Par exemple, il y a Julien Andreas qui fait du hardcore, mais il fait aussi des productions pour le rappeur Freddie Dredd.
Parle-nous de ton label 99CTS. Il offre des parutions d’excellente qualité. Que souhaite-tu offrir par le biais de cette étiquette et comment la gère-tu?
Bah là, je trouve que je la gère trop mal (rire). Pour l’instant, je ne suis pas au maximum de mes capacités dû au fait que je voyage beaucoup. J’ai beaucoup joué cette année donc cela ne m’a pas permis de me concentrer dessus. J’ai beaucoup de regrets de ne pas avoir fait assez donc ça sera mon but pour cette année. Développer plus, travailler plus pour l’artiste et me pencher sur des contenus plus profonds, etc. Après, c’est toujours une question de temps et de moyens. Je veux me concentrer davantage et je veux en faire mon principal objectif.
J’aimerais sortir de la musique inspirée de tout un lifestyle sous différents genres, mais ce sera toujours du coup de cœur, peu importe la musique. Tous les artistes que je sors sur mon label finissent par rencontrer d’autres artistes, c’est un cercle d’amis qui se crée. C’est pour cela que je veux faire mieux mon travail pour les honorer adéquatement.
Quels sont tes projets à venir?
Je vais reprendre les fanzines pour les sorties sur mon label, mais aussi en faire plus sur des sujets sociologiques, historiques, par rapport au club par exemple. J’ai envie de montrer que l’amour du club, c’est toute une culture et que c’est socialement plein de choses. C’est le genre de sujet qui m’inspire davantage maintenant, plutôt que de continuer à être ronchon du business de la techno. Il faut transformer l’essai!
Hors de mon label, continuer à jouer avec Miley Serious en tant que DJ, mais moins quand même, car je voudrais avoir plus de temps pour découvrir de nouveaux morceaux, de nouveaux artistes. Reconnecter avec la musique et la création. Aussi j’aimerais promouvoir beaucoup plus d’événements dans un futur proche en France. Faire des événements un peu différents, genre en journée par exemple. Ce n’est pas un travail facile, mais j’essaie de travailler là-dessus aussi.
Nous souhaitons avoir ton avis concernant la reconnaissance du travail des femmes dans le milieu musical, notamment dans la scène underground. Comment vois-tu ton rôle?
La fameuse question de la reconnaissance des femmes. On m’a tapé sur les doigts parce que je ne suis pas assez politisée sur cette question, sur le travail des femmes dans le milieu techno alors que ce n’est pas du tout mon cheval de bataille. Le féminisme, je l’ai vécu avec la culture des Riot grrrl quand j’étais ado, j’ai évolué dans des groupes punk où je me disais que j’en étais capable. Ça m’a donné beaucoup de force. En tant que DJ, je n’ai pas forcément eu un mauvais vécu sur cela, en tant que femme DJ. J’ai commencé à mixer à l’âge de 16 ans et à ce moment-là, il y avait beaucoup de femmes dans le milieu et notamment dans mes débuts à Toulouse, alors j’ai tout de suite été très inspirée. Ma carrière ne s’est pas du tout développée dans ce contexte-là et je n’ai jamais voulu en faire mon discours. Je privilégie plutôt la personne et ses valeurs plutôt que son genre.
Pour conclure, pourrais-tu nous décrire tes dernières découvertes, des artistes à suivre?
Il faudrait que je prenne mon téléphone! Il y a quelques jours, j’ai écouté une super release gratuite de l’artiste russe SP4D33S, et c’est trop bien! Sinon, côté mix, il y a le dernier mix de Grey People que j’ai aimé et aussi sur Rinse, j’ai invité Kona FM. Elle vient du Guatemala, elle est basée en ce moment à Chicago. Je n’ai jamais rencontré une digeuse comme elle! C’est super cool et elle crée de superbes vibes!