[Entrevue] Rorcal & Earthflesh
De la Suisse, Celtic Frost et Samael font partie des plus grands et sont connus aux quatre coins du globe. Mais sous ces titans se cache une quantité insoupçonnée d’immenses talents. Si le succès de Coilguns pouvait en faire des chefs de file, l’an passé encore, des groupes plus confidentiels comme Qoniak et Convulsif ont frappé très fort. Cette année nous ne serons pas en reste avec Impure Wilhelmina, A River Crossing et le duo Rorcal et Earthflesh. Leur album, Witch Coven, est un véritable monument de haine et de colère et s’est évidemment mérité le titre d’album du mois de mai sur MEFD!
Actif depuis 2005, Rorcal officiait dans un doom metal assez unique mélangeant éléments black et drone entre autres. Au fil des albums, des splits et autres collaborations le groupe n’a cessé d’évoluer et de repousser ses propres limites. En 2013, Világvége marque une incursion plus marquée dans le black metal. Cette impression sera renforcée par le magnifique Muladona sorti en 2019. Earthflesh, qui n’est nul autre que le bassiste originel de Rorcal, officie quant à lui, dans le harsh noise. Son approche se veut très oppressante et se marie parfaitement à la musique extrême de Rorcal. À l’occasion de la sortie de leur album, je suis allé poser quelques questions à Yonni Chapatte (chanteur de Rorcal) et Bruno Sylvestre Favez (Earthflesh).
Sur le principe, cette collaboration me rappelle les sessions In The Fishtank desquelles sont sortis de beaux enregistrements (je pense à Isis/Aereogramme, Tortoise/The Ex). Dans un récent entretien, j’ai lu que vous avez procédé à des méthodes différentes d’écriture pour chaque chanson. Pouvez-vous nous en dire un peu plus en ce qui concerne le processus créatif?
Bruno: Salut Adrien. C’est marrant que tu évoques ce split Isis/Aereogramme, je l’écoutais pas plus tard qu’hier. Je comprends le rapprochement. La méthode d’écriture pour aboutir au résultat final tel que tu peux l’entendre sur Witch Coven est néanmoins diamétralement opposée à celle utilisée sur les sessions des «Fishtank». Il n’y a en effet pas eu un seul moment où les deux projets se sont réunis pour expérimenter ensemble en studio ou au local; l’ère «Corona» oblige (mais aussi parce que finalement cette manière de faire convenait aux deux), on a tout fait à distance par mail et échanges de fichiers. Pour parler des morceaux, enfin, chacun a en effet été abordé différemment. Pour faire court, disons que l’un avait en fait pour base une track «finie» de Rorcal; à charge pour Earthflesh de la compléter et de l’agrémenter à sa sauce. L’autre morceau partait quant à lui d’une base purement noise façon Earthflesh; à charge de Rorcal de se l’approprier et d’en faire quelque chose. Le résultat final, à mon humble avis, est absolument ahurissant tant la fusion des styles paraît fluide et évidente. J’en profite pour féliciter au passage publiquement JP (Jean-Philippe Schopfer, Rorcal et Yellow Recordings) et Stéphane Kroug (Electric Room Mastering) pour le super taf sur le mix, l’editing, et la production générale de la chose.
Yonni: Oui, ben voilà, je crois que Bruno a tout dit! Cette façon de bosser chacun sur la base d’une composition de l’autre fait que les deux morceaux sont bien différents, ce que je trouve vraiment intéressant. Ainsi, Altars of Nothingness est plus lent, répétitif et expérimental, et Happiness sucks, so do you, plus frontal et plus rapide. Je me permets d’ajouter que le «Fishtank» qui réunit Isis et Aereogramme est un disque que j’ai littéralement usé à l’époque! Cela me donne très envie de le reposer sur la platine, tiens! Après, pour en revenir à Witch Coven, il est vrai que l’idée de pouvoir expérimenter tous ensemble aurait été sympa, mais avec cette sale période, c’était difficile. Et comme le dit Bruno, c’était vraiment confortable pour tous de procéder par échange de fichiers! On peut dénombrer trois «équipes» en fait: d’un côté la base «genevoise» de Rorcal qui écrivait de son côté, de l’autre Bruno dans son cagibi qui «noisait» comme un dingue, et finalement moi, seul et déprimé à Neuchâtel, qui écoutais les mix intermédiaires en relisant Aleister Crowley et pensant aux paroles les plus sombres possible pour accompagner ce cauchemar musical…
Yonni, Rorcal est extrêmement cohérent dans sa démarche artistique. Même si le groupe est ouvert aux expérimentations, collaborations et aux invités, il sonne comme lui-même et, avec le temps, a même tendance à durcir davantage le ton. Si Muladona ne donnait pas dans la dentelle, ce nouvel album sonne encore plus nihiliste. Comment expliquer cela alors que les groupes ont tendance à s’assagir avec le temps?
Y: Ahah… bon, pour commencer soulignons que Rorcal n’a jamais fait dans la dentelle et quand tu écoutes les albums de la période doom, notamment Heliogabalus, le niveau d’extrémisme sonore se pose déjà là…! Après, tu n’es pas le premier à relever l’aspect vraiment «jusqu’au-boutiste» de cette nouvelle collaboration. Disons que je vois deux raisons qui peuvent expliquer un tel nihilisme: pour commencer, il faut savoir que ces compos sont nées dans une période de frustration intense. En effet, la pandémie nous a forcés à annuler notre tournée européenne prévue en avril 2020 et qui devait se terminer en beauté par notre première apparition au Roadburn. Au-delà de la quinzaine de dates de cette tournée, on avait pas loin de 60 dates déjà bookées sur l’année qui, tu t’en doutes, ont toutes été annulées aussi. Alors que Muladona venait de sortir, que les retours en termes de presse et de ventes étaient vraiment bons, on s’est retrouvés coupés d’un coup dans notre élan et ça nous a carrément cassé les couilles. Cette frustration s’est tout naturellement retrouvée injectée dans ces nouvelles compositions. Ensuite, du fait de la nature de la musique que produit Bruno, je pense que la collaboration a pris l’escalier de la violence! Les crissements, déflagrations de bruit blanc, drones divers et tous ces craquements malsains provoquent une forme de malaise puissant qui extrémise l’ensemble du son… Tout est de sa faute en fait!
En parlant de ce durcissement de ton, Rorcal a tendance à devenir de plus en plus black. Je trouve que Muladona est très différent et a embrassé le genre plus que de raison, et Witch Coven confirme ce parti pris. Malgré tout, je vous considère comme un groupe punk, du moins dans l’éthique. Quel est ton regard sur la scène black qui a tendance à être de plus écorchée (à cause d’affiliations douteuses qu’entretiennent certains groupes)?
Y: Bon, commençons par expliquer clairement quelque chose: Rorcal a toujours eu des influences black metal, et elles se sentent déjà clairement dans la période doom dont je parlais avant. Ensuite, les tempi ont clairement accéléré à partir de Világvége, que beaucoup considèrent comme l’album le plus black metal du groupe, mais les influences venant du doom et du funeral doom en particulier sont également présentes sur cet album et les suivants. En réalité, Rorcal se nourrit de beaucoup de genres différents, les fusionne pour en ressortir cette formule particulière propre au groupe. Que ce soit du drone, du doom, du death, du black ou des incursions parfois légèrement plus atmosphériques qu’on pourrait plus rapprocher du post-metal, nous ne nous fixons pas forcément de limite. Ensuite, pour revenir au black, je trouve ta remarque intéressante, mais aussi assez étrange… le black metal est un style sulfureux par définition, je ne pense pas devoir rappeler les événements du début des années 90 en Norvège pour le prouver! Donc l’aspect douteux, sale et dérangeant de ce style fait selon moi partie intégrante de son ADN. Après, évidemment, du fait que le black soit un style si particulièrement haineux, on a vu des dérives idéologiques vraiment malheureuses, que nous condamnons en bloc. Il est parfaitement inacceptable de voir ces groupes fascistes, ainsi que leurs abrutis de fans, se comporter comme si cela était parfaitement normal de prôner la haine raciale. Fuck them. Cela dit, j’aime bien l’idée du groupe punk…! La réalité, c’est que dans Rorcal, on est avant tout des passionnés de musiques extrêmes, voilà tout… Sinon, à titre personnel, j‘aime le black depuis que j’ai 12 ans, je ne me vois pas m’en passer une seule seconde! Et surtout pas en raison de demeurés qui confondent misanthropie et racisme.
Bruno, ton projet est probablement l’un des plus oppressants du moment. Tu balances sans cesse des albums de harsh noise décapants, je me demandais d’où te vient cet amour de la distorsion et des sonorités extrêmes et d’où tires-tu ton inspiration pour arriver à des résultats aussi denses et percutants?
B: Je prends tous ces mots pour des compliments et je t’en remercie beaucoup. Je n’ai toutefois pas la prétention de vouloir produire les sons les plus extrêmes ou oppressants possibles, c’est tout simplement la manière dont ils sortent, sans artifices et préméditation quelle qu’elle soit. Quand je me mets derrière mes machines, je ne sais jamais à l’avance ce qu’il va en sortir. Mon amour pour ce genre de sons date quant à lui probablement de la fin des années 90 ou du début des années 2000. Je pourrais aisément citer des jalons importants qui ont contribué à façonner mon intérêt pour ce type d’ambiances comme le split entre Shora et Merzbow, Calculating Infinity de The Dillinger Escape Plan, mon addiction à Crowbar et Eyehategod, puis des groupes comme Botch, Coalesce et Napalm Death. Je me souviens comme si c’était hier de la fascination qu’avaient suscité pour moi les dissonances de Sonic Youth et ma découverte de Gaza, Koreisch et du split entre PizUrlaun et un obscur projet noise dont je ne me souviens même plus du nom. Enfin, une tardive mais profonde plongée dans le doom et le black metal et des penchants bien affirmés pour la musique de bands comme Moss, Khanate, Cough, Craft, ou Deathspell Omega ont sans doute contribué à forger cette passion pour la distorsion et le chaos-fait-son.
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours particulièrement aimé les larsens qui partaient dans tous les sens lorsqu’on posait basses et guitares contre nos amplis à l’époque de Rorcal et Lost Sphere Project (mon tout premier groupe). Pour la petite histoire, le larsen d’ouverture de l’album Scarecrow Messiah des Suisses de Sludge est pour moi l’une des plus terrifiantes ouvertures de disque de tous les temps! En ce qui concerne mes sources d’inspiration lorsque je m’enferme pour faire du son avec Earthflesh je dirais qu’elles sont quasi-nulles, ou en tous les cas tout sauf conscientes. Ma connaissance des musiques noise est à vrai dire assez faible; j’aime d’ailleurs entretenir cette méconnaissance autant que possible pour ne pas me laisser influencer par autre chose que ce qui peut me traverser l’esprit lorsque je triture les potards de mes machines une fois la touche «Rec» enclenchée. Rien de tel qu’une belle journée de merde et la médiocrité ambiante pour nourrir ma négativité et la transformer en force créative.
Bruno, ta productivité a de quoi rendre jaloux alors que tu sors des albums à un rythme effréné. Comment parviens-tu à être aussi efficace et à entretenir une éthique de travail si régulière?
B: Je n’ai à proprement parler pas d’éthique de travail particulière. De même, si ultra-productivité il y a, sans doute est-elle due au simple fait que j’ai des choses à partager et à exprimer. J’utilise Earthflesh comme d’autres iraient cogner sur un sac de frappe; c’est une forme d’exutoire comme une autre qui m’aide à canaliser colères et frustrations. Ma manière de travailler est du reste assez chaotique, comme évoqué avant, je ne sais jamais à l’avance ce qui va sortir de mes sessions. Il n’y a d’ailleurs rien de bien constructif qui en sort si je ne suis pas dans un état d’esprit propice à me plonger dans le son. Si je vais trop bien ou que j’ai passé une super journée, il est assez rare qu’il ressorte quelque chose de vraiment intéressant de mes machines; c’est du reste un état de fait qui, à maintes reprises, m’a fait douter lorsque je travaillais sur Witch Coven ou lorsque j’ai des deadline à respecter pour des raisons X pour tel ou tel morceau.
Earthflesh n’est pas le genre de projet à produire pour le simple fait de produire. Chaque session est une nouvelle étape. Le fait que je sorte autant de matière s’explique aussi probablement par le fait que je sois seul maître à bord sur ce projet; je n’ai de comptes à rendre à personne. Si je me sens satisfait par mes sons, je les rends publics, sinon, la plupart du temps, je jette tout bonnement mes sessions à la poubelle et je recommence jusqu’à ce que je capte quelque chose qui me prend aux tripes. Je sais qu’à priori personne n’attend sur moi alors je me sens plus libre et serein face à mes nombreux échecs. Passer des heures à éditer des enregistrements et en faire un montage convaincant n’est pas le genre de procédés sur lesquels je souhaite investir mon temps. Bien qu’évidemment j’aie pu passer sur certains de mes albums quelques bonnes poignées d’heures à expérimenter en superposant mes propres sessions les unes par dessus les autres, j’aime l’idée que les sons que je partage soient aussi fidèles que possible à ceux qui sont générés au fur et à mesure que je tourne les potards et que la matière prend possession de mon propre cerveau.
Bruno, je sais que tu es l’ancien bassiste de Rorcal. Maintenant, les deux projets font de la musique extrême et sombre, mais de manière différente. Qu’est-ce qui vous a amenés à recollaborer ensemble et que vouliez-vous partager avec un tel album, aviez-vous un message à faire passer?
B: La collab s’est goupillée de la manière la plus simple qui soit. Les copains m’ont proposé de faire un split ensemble. J’ai dit oui.
Y: Oui, voilà! Bruno a quitté le groupe pour des raisons personnelles parfaitement compréhensibles et donc on était évidemment restés en très bons termes et toujours plus ou moins en contact! Quand Bruno a dévoilé EARTHFLESH et qu’on a commencé à écouter ses prods, on s’est quand même assez vite dit que cela pourrait faire un joli merdier de tout mélanger sur un album collaboratif! Je dirais que l’idée s’est vraiment imposée d’elle-même! Après, sans la pandémie, cela aurait très probablement pris beaucoup plus de temps à se concrétiser.
Au niveau des expérimentations, Rorcal seraient-ils ouvert à des collaborations moins dures, peut-être plus uptempo, voire lumineuses, ou préférez-vous garder une ligne dure et sombre? Une collaboration avec des groupes comme Cortez ou Impure Wilhelmina par exemple.
Y: On ne se met aucune limite. Après, très franchement, la musique lumineuse, ce n’est pas vraiment quelque chose qui nous intéresse avec Rorcal. On écoute tous plein de genres différents, dont des choses peu ou même pas sombres du tout, mais je crois que l’aspect cathartique lié à Rorcal se trouvera probablement toujours du côté obscur de la force. Pour Cortez, non. Pour Impure, le vocabulaire est tellement différent que je vois mal comment les deux groupes pourraient s’apporter quelque chose d’intéressant. Après, tu mentionnes le tempo, oui, pourquoi pas essayer quelque chose de plus uptempo, mais notons que le fait de travailler sur des compositions plutôt lentes permet de mieux intégrer certains éléments collaboratifs que sur un tempo à 150 bpm… Après, je ne serais vraiment pas contre une sorte d’orchestre grind en faisant copuler Rorcal avec des malades du blast en mode power-violence total, héhé.
Bruno, tu produis énormément de musique en solo, mais tu collabores également avec de nombreux artistes sur tes parutions. Comment abordes-tu la création d’un album collaboratif en comparaison à un projet en solo? As-tu besoin d’un équilibre entre la solitude et la participation d’autrui?
B: J’aime beaucoup travailler seul, vraiment. C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai découvert il y a peu lorsque je me suis décidé à me jeter à l’eau avec Earthflesh. Jusque là j’avais toujours travaillé en groupe, toujours formidablement bien entouré, d’ailleurs; mais je n’avais jusqu’alors jamais pris le temps de faire de la musique pour moi, tout seul, sans personne sur qui m’appuyer. Je découvre justement ce plaisir-là, celui de faire les choses seul, à mon propre rythme; si j’ai rien envie de foutre pendant les deux mois à venir, rien ne m’en empêche, je sais que je n’entrave personne à part moi. Collaborer avec d’autres personnes reste néanmoins un formidable moyen de progresser; je pense honnêtement d’ailleurs que si on devait se pencher sur un Witch Coven 2.0 mon approche serait radicalement différente tant j’ai appris entre temps sur moi et la manière d’interagir avec mes machines. En toute honnêteté, je pense que ma maîtrise de mon son est bien meilleure à ce jour qu’elle ne pouvait l’être au moment où j’ai enregistré mes sessions pour ce split. Pour ce qui est de mes dernières collaborations en date, je me considère vraiment chanceux. La scène Noise regorge d’artistes super ouverts à ce genre de choses et je ne cesse de recevoir des mails des uns et des autres pour faire des choses ensemble; c’est hautement intéressant et ça booste la créativité. En règle générale, compte tenu du contexte et de l’éloignement général, on s’échange des idées et des fichiers par mail, à la suite de quoi on construit des plages de sons, couche après couche, jusqu’à ce que chaque intervenant soit satisfait du résultat.
La scène suisse demeure très discrète. Pour ma part, des groupes comme Nostromo, Unfold et Shora ont eu une immense influence par le passé. Aujourd’hui, nous avons Coilguns, Cortez, Rorcal, Qoniak (entre autres) qui continuent à creuser et à pousser les frontières de la musique dure. Pouvez-vous expliquer pourquoi votre scène n’a pas le rayonnement qu’elle devrait avoir à l’international ?
Y: Ne l’a-t-elle pas? On a quand même pas mal de groupes qui tournent à longueur d’année (enfin, quand c’est possible, évidemment…) et des groupes comme Celtic Frost ou Coroner sont considérés comme les fondateurs du metal extrême sur toute la planète, sans parler de Samael, ou des Young Gods. Et Knut est souvent cité comme l’un des groupes les plus importants du renouveau hardcore metal, au côté de Botch, Coalesce ou Dillinger Escape Plan… Je crois que la qualité de la musique suisse est assez bien reconnue. Après, les groupes que tu cites, ce sont des personnes qui ont une vie à côté, pour la plupart, donc ils ne tournent pas forcément autant que s’ils avaient fait le choix de consacrer leur vie à la musique, comme l’ont fait nos amis de Coilguns, qui sont d’ailleurs en train de devenir assez gros dans le circuit! Ainsi, je pense que si certains groupes que tu cites avaient fait le pari (ultra risqué, et souvent difficile à tenir) du «all-in» et qu’ils s’étaient mis à tourner 300 jours par an, peut-être les choses seraient-elles différentes, je ne sais pas.
B: Je crois que Yonni a largement résumé le fond de ma pensée. On pourrait y aller gaiement dans le name-dropping et te pondre une liste longue comme le bras tant il y a de groupes de qualité qui nous entourent par ici. Sans parler des anciens, évidemment. Le fait, comme le dit Yonni, que peu de groupes aient fait le choix de «vivre» de leur art explique sans doute en partie le peu de visibilité de notre scène. Ceci étant, j’ajouterais que si on prend en compte la masse de groupes sur le marché, il est évident que, malgré le mérite de certains, peu parviennent finalement à se hisser suffisamment haut dans l’estime du plus grand nombre. C’est le cas à mon avis pour la plupart des scènes indépendantes et pas que pour la Suisse.
Qu’est-ce que vous retirez de votre expérience et comment cela pourrait influencer vos projets respectifs? Pensez-vous retravailler ensemble à l’avenir, un peu comme le font Boris et Merzbow par exemple?
B: Mon approche du Noise a pas mal évolué depuis que je me suis jeté dedans. Et j’ai passé encore pas mal de temps à expérimenter et créer avec mes machines depuis que j’ai enregistré mes sessions pour ce Witch Coven. Nul doute que s’il devait un jour y avoir une version 2.0 de la chose, mon approche serait forcément radicalement différente. Quoiqu’il en soit, seul l’avenir nous dira si on remettra un jour le couvert ou non. Je suis dans tous les cas ravi de cette collab et du résultat final. Mes collègues sont super et je suis ravi d’avoir pu faire ça avec eux.
Y: Je n’en retire que du positif! Bosser sur ces compositions avec Bruno a été un plaisir, les choses se sont faites de manière tellement fluide et naturelle, c’était vraiment un bonheur de parvenir à créer une nouvelle entité musicale en fusionnant deux visions, à la fois différentes et complémentaires! J’ai particulièrement aimé le fait de vouloir en permanence garder une certaine «fraîcheur», une forme de spontanéité, et cela durant tout le processus. On n’a jamais «sur-intellectualisé» les choses, on s’est laissé aller et cela nous a réussi à merveille! C’est peut-être une méthode que je vais récupérer, me laisser un peu plus de libertés lors de l’enregistrement. D’habitude, j’ai tendance à penser chaque détail avant d’entrer au studio, et là je suis arrivé avec un texte et quelques idées seulement, puis je me suis laissé influencer par l’ambiance du moment. C’était assez déstabilisant au départ, mais le résultat me plait énormément, alors pourquoi pas tenter de reproduire cela par la suite! Personnellement, je serais chaud pour collaborer à nouveau et donner naissance à un autre disque, comme Full of Hell et The Body l’ont fait, par exemple. Mais alors, j’aimerais que le travail de composition se passe complètement différemment; par exemple, il s’agirait de tout écrire et répéter les six ensemble, sur un laps de temps très court, histoire de faire quelque chose qui soit quand même différent, parce que refaire la même chose ne nous intéresse pas du tout!
Merci pour votre temps!