[Playlist] Artiste du mois – Sonic Youth
«Chez les Stones, m’a-t-il dit, il y a le disque que tu préfères et celui par lequel tu es entré dans leur univers, celui qui, le premier, t’a accroché. Celui-là reste spécial, à part, tu le chéris à jamais.»
Alors quand Louis m’a proposé de composer une playlist d’hommage au plus grand groupe de rock bruitiste, j’ai immédiatement accepté. Je dois avouer ici que j’ai même pensé que ce serait facile. Bien entendu, composer cette liste fut un véritable cauchemar, un crève-cœur de tous les instants et une avalanche de choix cornéliens qu’il m’a fallu trancher. Pourquoi garder ce titre et écarter tel autre? Celui-ci mérite tellement de figurer dans la sélection, mais il y a déjà trois morceaux de cet album… La parité entre Kim, Lee et Thurston est-elle suffisamment respectée? Ai-je suffisamment rendu hommage à l’apport de Lee dans les morceaux? Evidemment, la réponse à toutes ces questions est la même: non. Dire qu’un temps, j’ai même pensé demander à Louis si je pouvais inclure les travaux solo des membres du quartet (Between the Time and Tides de Lee Ranaldo est un chef-d’oeuvre du niveau des meilleurs Sonic Youth et la dernière livraison de Kim Gordon sous son seul nom est excellente). Comme j’ai été inspiré de garder pour moi cette idée…
Il ressort de toutes ces cogitations internes un monstre de 35 titres et d’un peu plus de 2h30 de musique. C’est trop? Assurément. Mais peut-être pas assez non plus, dans un sens. Il manque des classiques. Plein. Et la présence de tel titre ou l’absence de tel autre provoquera peut-être des spasmes intestinaux chez les plus inconditionnel.·le·s des leurs. D’autres trouveront sans doute que les albums des débuts ne sont pas assez représentés (mais Steve Shelley apporte tellement que lorsqu’il est absent des enregistrements, ceux-ci soutiennent difficilement la comparaison).
On y trouvera pourtant ce qui fait l’essence de Sonic Youth: les morceaux furieux, enragés, qui envoient les riffs distordus s’écraser contre des murs de bruit (Silver Rocket, Death Valley 69, Hey Joni); l’art de la reprise dont les New-Yorkais furent friands (la version accidentée du Computer Age de Neil Young ou celle, j’ose l’écrire, supérieure à l’originale du Hot Wire My Heart de Crime); le lyrisme de Lee (Mote), la passion de Thurston et Lee pour la science-fiction (Pattern Recognition qui cite William Gibson, Stereo Sancity et StreamXSonik Subway, Philip K. Dick) et les titres qui explosent les formats dans de gigantesques orgies dissonnantes comme dans le calme le plus serein (In The Kingdom #19, Trilogy, Female Mechanic Now On Duty, NYC Ghosts & Flowers).
A l’heure où les combats pour les droits des minorités sont plus que jamais d’actualité, il me paraissait également essentiel de rappeler à quel point Sonic Youth était un groupe engagé. Death Valley 69 donne le micro à l’activiste féministe Lydia Lunch, Swimsuit Issue et Kim Gordon And The Arthur Doyle Hand Cream pourfendent le machisme et le sexisme de l’industrie musicale (mais pas que), Youth Against Facism rappelle que les papes de l’underground bruitiste se sont toujours positionnés aux avant-postes de la lutte antiraciste.
Si j’ai choisi de m’écarter de l’approche chronologique, c’est pour essayer, plutôt, de faire entrer en résonance des titres d’époques diverses, de proposer une rencontre entre les morceaux, à travers ces plus de trois décennies de création. Mais pour tout dire, cela s’écoute aussi très bien en mode shuffle.
Car l’art de Sonic Youth dépasse tout cela. Je me souviens m’être enregistré une cassette de leurs différents morceaux en choisissant aléatoirement ceux-ci (et en me disant même que cette idée n’aurait certainement pas été pour leur déplaire). Comme ici, il manquait de nombreux titres et certains qui s’y trouvaient étaient loin de faire partie de mes préférés, mais la cassette n’en restait pas moins excellente.
Puisse donc cette playlist être une porte d’entrée pour les profanes et une source de débats pour les puristes -insultes et louanges à adresser en commentaires ou par mail à wolfcitytheband@gmail.com. Puisse-t-elle aussi et surtout être considérée pour ce qu’elle est: une déclaration d’amour inconditionnelle au plus grand groupe de ces quarante dernières années.