[Entrevue + Exclusivité] Sauf les drones – chercher le trouble
Montréal, l’une des capitales internationales du post-rock, qui nous permet, année après année, d’assister à l’avènement de nouveaux groupes qui viennent apposer leur marque sur la scène musicale. De cette riche pépinière émane également des formations qui s’inspirent du style pour l’amener à un autre niveau, le façonner à leur manière et lui infuser de leur personnalité. Sauf les drones représente probablement l’un des exemples les plus criants de ce renouveau du post-rock. Présentant ce vendredi (28 mai) son tout nouvel album chercher le trouble, le sextuple montréalais nous fait l’honneur de dévoiler en exclusivité l’écoute de ce formidable assemblage sonore, en plus de répondre généreusement à quelques-unes de nos questions.
Faisant suite à Lieux anonymes sorti en 2019, cette nouvelle offrande regorge d’émotion et de justesse, musicalement, humainement et socialement. Faisant preuve d’une authenticité manifeste, les compositions du groupe naviguent entre fragilité et puissance, produisant un résultat tout en subtilité, autant lors de galvanisantes envolées que dans les passages d’une émouvante délicatesse. Débordant de magie, chercher le trouble porte une cohésion impressionnante, émanant de l’indéniable chimie entre les six membres et leurs instruments. Véritable moment d’exaltation, l’écoute se veut également des plus touchante et prend directement aux tripes. Merci pour tout, bonne écoute et bonne lecture!
ce qui souffle sous le monde cimenté
ne sont ni les vigilances inutiles
ni l’indifférence-réflexepar les tunnels que nous creusons
nous traversons la mort-linéaire
sans qu’elle nous dérobenous regardons couler les rivières enfouies
sous des décennies de honte et d’asphaltenous traçons par le ventre
les intentions qui nous lient
et nous rendent libres
Pour précommander l’album, c’est ICI!
Votre musique est un post-rock à la fois mélodique et empli de mordant, alliant une multitude d’instruments qui ne sont pas nécessairement habituels dans ce créneau. À la quantité de membres présent·e·s dans le groupe, comment se déroule la création d’un album et votre processus décisionnel lorsque vient le temps de mettre sur pied une nouvelle parution?
Essentiellement, on prend vraiment notre temps. On expérimente en groupe et – quand on pouvait se rencontrer les six au complet dans le studio – on prenait la peine de passer du temps sur chaque idée, d’essayer plein d’affaires. Mais si on prend notre temps, c’est aussi parce qu’on est loin d’être efficaces! On fait plein d’erreurs (du type: pas assez prendre de notes, oublier d’enregistrer une version qu’on aime, etc…). Parfois on recommence en abandonnant des idées qu’on travaillait depuis un bon moment; mais on finit toujours par avancer. Aussi, ça fait depuis un bon moment qu’on se connaît en tant que groupe; plus on a passé du temps, plus on a déjà un bagage de ce qu’on a déjà accompli, et toujours l’excitation et l’espoir de trouver du nouveau matériel sur lequel on va tripper! Plusieurs idées constitutives des chansons viennent davantage de Charlotte au violon, puis on expérimente en groupe et on travaille autour de ça.
© Photo: Marie-Pier Meilleur
Votre nouvel album aborde comme thème principal celui des relations interpersonnelles et des contacts sociaux, qui sont si importants pour les êtres humains, pouvez-vous développer un peu plus sur cette thématique et sur la manière dont elle a influencé votre création?
Par ce thème, nous ne parlons pas des contacts sociaux limités à cause de la pandémie; puisque tout l’album a été créé avant cette période. C’est plutôt l’idée d’imaginer les amitiés et le politique comme point central, comme le point de fuite de nos vies, plutôt que notre carrière ou notre vie amoureuse, par exemple. De trouver notre communauté politique, soit de créer notre groupe de support et de soin comme alternative au capitalisme et à l’État, et de s’organiser matériellement pour le soutenir. De se redonner la possibilité de se penser en communauté, mais sans s’emprisonner dans une chambre à écho.
Ça se concrétise dans notre musique de différentes façons, on l’espère. La pièce les ami.e.s, qui est la première de l’album, a une espèce de candeur et de joie à peine contenue, très naïve. C’est la fête, ça se veut grandiose! Mais plus on progresse dans l’album, plus on traverse des moments opaques où la section rythmique se tasse pour laisser la place à des moments plus flottants, moins définis. C’est le cas dès la deuxième pièce, plus lente et plus posée, se pansent/se pensent. Elle s’ouvre sur des chuchotements alors que la harpe et le piano se répondent pour finalement s’embraser dans un grand drone chaotique et distortionné; elle traite davantage des tensions et des conflits inévitables associés au fait de se lier. La dernière pièce, en groupe devant le miroir , construit peu à peu une tension par un motif répété, mais rythmiquement «instable». Éventuellement, un rythme bien groundé se surimpose alors que le motif instable perdure et s’arrime au reste. Tout ça s’étiole lorsqu’on se met à chanter ensemble. Il y a une forme de résolution, de constat de l’apparition d’une puissance; le groupe est là, il existe. Nos amitiés nous rendent libres.
Le thème se veut rassembleur et réconfortant, mais le titre de l’album, chercher le trouble, détonne de cette vision. Quelle a été votre réflexion pour en arriver à ce nom, que j’apprécie énormément?
C’est un titre qui donne l’impression qu’on a fait un album de college punk, mais non 😉 !
Prendre soin des autres, c’est aussi prendre soin à travers tout, y compris des conflits et des tensions qui apparaissent inévitablement. Il faut prendre le temps de les ausculter, d’y réfléchir, d’y faire face. Avec ce titre, on veut penser la recherche – qui est loin d’être évidente! – de relations fortes et signifiantes, qui nous permettent de sortir de soi et de construire ensemble. De construire malgré les systèmes de pouvoir qui nous traversent. De construire contre ce qui veut nous contraindre, nous classer, et nous distraire des destructions en cours.
Se lier, c’est prendre le risque d’être blessé.e.s, mais c’est aussi l’occasion d’apprendre des expériences des autres, et d’apprendre autrement, en aiguisant notre regard, en devenant plus critiques. Connaître tes ami.e.s, c’est apprendre à reconnaître tes ennemi.e.s. Les poèmes du zine tentent de retracer et d’évoquer ces réflexions.
© Photo: Jean-Philippe Sansfaçon
Sauf les drones est une formation populeuse qui s’agrandit avec l’arrivée de Coralie Gauthier à la harpe pour cet album. Quelle est l’histoire derrière votre groupe et comment vous êtes-vous rencontré·e·s?
C’est Charlotte qui au départ avait des idées de composition, et qui cherchaient des ami.e.s instrumentistes qui voudraient bien y participer! Le groupe s’est formé peu à peu au fil des mois de l’année 2017, à travers le cégep, en allant voir des shows, dans un open mic féministe, ou encore à cause d’amitiés déjà existantes. Dans une exposition de pédales d’effet, Coralie et Charlotte étaient les deux seules à jouer d’un instrument autre que la guitare, iels ont décidé de jammer ensemble et ça a tout de suite cliqué.
Votre album sera également accompagné d’un zine qui entrera plus en détail dans les différentes thématiques abordées. En quoi était-il important pour vous d’amener une dimension littéraire et poétique à ce projet?
Comme on s’autoproduit, le zine nous permet de passer par un processus d’impression avec lequel on utilise différentes techniques (risographe, linogravure, et également reliure pour le zine précédent), et qui constitue en même temps un objet intéressant pour accompagner le code de téléchargement de l’album.
Aussi, puisqu’on fait de la musique instrumentale, on pourrait dire que d’accompagner notre musique de textes liant nos idées à notre démarche consiste en la «seule façon», avec les titres des chansons et de l’album, de la rendre visible.
C’est drôle comment on se fait souvent dire que notre musique est cinématique; plus largement la musique sans la voix tend à prendre de fait une dimension moins personnelle, ou plutôt non «personnifiée» par la voix, en rejoignant alors quelque chose d’autre; des paysages, des lumières, des horizons…
Sauf les drones a souvent collaboré avec d’autres artistes en concert, je me demandais quelle signification revêt ce partage de la scène avec des personnes que vous appréciez et est-ce qu’il y a un·e artiste/projet avec qui vous rêveriez de travailler?
Pour le prochain projet, on pense surtout pour l’instant en termes d’instruments que nous voudrions ajouter par rapport à la façon dont on veut composer. On cherche à travailler davantage en duo et en trio, avec des instruments invités; mais on aurait aussi des moments full band avec notre noyau original de six personnes (trombone, violon, piano, basse, guitare, batterie). C’est très possible que ça donne un album injouable live dans les salles qu’on connaît, parce qu’on serait peut-être… dix personnes à jouer dedans? Ahah! Mais c’est correct comme ça. C’est sûr qu’on adorerait retravailler avec Francis Ledoux (qui est batteur dans zouz, entre autres!) et qui a fait tout le travail d’enregistrement et de mix pour nos deux sorties. Sa douceur, sa patience absolue et ses bonnes idées nous touchent toujours.
Au moment où vous lancerez votre album, le déconfinement s’amorcera et semble porteur d’espoir pour que les concerts et la vie nocturne reprennent dans les prochains mois. Préparez-vous un volet live pour chercher le trouble ou rien n’est encore prévu?
L’album était supposé sortir en mai…2020! On avait un spectacle de lancement prévu, mais lorsque tout a été annulé, ça nous a comme fait figer. On avait envie de faire un lancement avec des gens qui assistent à la musique, et qui peuvent nous donner des commentaires constructifs tout de suite. On s’est vite rendu.e.s compte que ce ne serait pas possible… C’est sûr qu’on adorerait rejouer devant des gens. On a pu le faire tout au long du processus de création de chercher le trouble. On est davantage du genre à composer à mesure, plutôt que d’enregistrer en studio des choses que l’on n’a jamais jouées devant des gens.