[Entrevue] Joni Void
Certaines rencontres se déroulent tout simplement bien, un artiste de grand talent et quelques questions suffisent pour passer un bon moment. C’est exactement ce qui s’est produit lors de notre entretien avec le généreux musicien Jean Cousin, mieux connu sous le pseudonyme de Joni Void. Durant cette longue discussion, nous avons eu la chance d’en apprendre davantage sur son implication dans la scène montréalaise, sur son riche passé, sur sa signature avec Constellation et nous en avons profité pour revenir sur quelques moments plus difficiles de sa tumultueuse et prolifique année 2017. Préparez-vous à découvrir un formidable personnage qui vous séduira autant par sa musique que par ses propos.
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En novembre dernier, lorsque tu as ouvert pour le groupe Do Make Say Think au National, tu as affirmé, avant le concert, ne pas te considérer spécifiquement comme un musicien. Peux-tu nous expliquer pourquoi cette étiquette te semble inadéquate?
Parce que j’ai toujours trouvé ça un peu injuste, il y a une distinction entre ce que je fais personnellement et un·e musicien·ne qui joue réellement de la musique. Par exemple, les premiers morceaux et compositions que je faisais comportaient beaucoup de piano et les gens ont vite commencé à s’imaginer que j’étais pianiste. Ils croyaient que j’allais être sur scène en train d’en jouer, mais non. Presque toute ma musique est faite à partir de montages que je réalise confortablement couché dans mon lit, je suis là sur mon ordi en train de prendre des samples de sources diverses. Oui, à l’époque, je jouais quand même parfois mes propres choses que je modifiais après coup pour que ça corresponde à ce que je voulais. Selon moi, c’est surtout ça, la distinction.
Quand tu arrives sur scène en ouverture d’un groupe comme Do Make Say Think, les gens dans le public n’ont pas forcément la conception que maintenant tu peux faire de la musique sans vraiment savoir comment en faire. Pour moi, c’est plutôt le principe du montage. Tu découpes ça, tu bouges ça là, ensuite tu arranges le tout sans vraiment connaître un accord ou une note. J’essaie vraiment de faire cette distinction afin d’être moi-même, je me rapproche plus du son que de la musique. Ce que je fais est plus du montage sonore que de la composition axée sur les mélodies ou les accords. Ce qui m’intéresse, ce sont les textures, les sources sonores et les structures. Dire que je suis un monteur sonore est peut-être un peu exagéré parce que ce n’est pas ma profession non plus. J’ai eu quelques cours de montage, mais c’est tout. Ça me fait un peu bizarre de dire que je suis musicien.
Puisque tes compositions sont majoritairement des assemblages de sons préexistants, d’extraits vocaux et de bruitages. Qu’elle est ton approche pour la création d’un morceau? D’où te vient l’inspiration dans ces choix de sons? Qu’elles sont tes références et surtout comment se déroule la phase de recherche sonore quand tu composes?
Ça varie énormément tout dépendant des morceaux. Je pense que ce qui arrive la plupart du temps, c’est que je trouve une source sonore, en regardant un film par exemple, et lorsqu’il y a un moment où la musique me percute vraiment, je vais essayer de le retravailler par la suite. C’est bien de se dire qu’on peut faire du son à partir de n’importe quoi, comme des feedbacks disons. Je tente de trouver des sources sonores vraiment spécifiques et d’en sortir des samples. Dans le cadre d’un film, je vais simplement prendre une boucle de dix secondes et puis la travailler par la suite. La faire jouer à différentes vitesses, à différents pitchs et ajouter des effets.
Donc, ça part généralement d’une chose comme ceci et puis d’une manière très minimaliste, j’essaie de me restreindre à cette source au lieu de commencer à ajouter plusieurs autres choses. Je tente de faire un maximum avec cette base et après, je décide si j’ai besoin d’ajouter des éléments. Parfois, c’est quand même nécessaire de complémenter un enregistrement avec un kick ou quelque chose comme ça. Je me permets ce luxe, par moments mais, généralement, je me base sur une seule source sonore et je fais le maximum à partir de celle-ci.
Sur scène, tu es accompagné de visuels projetés qui sont tes propres créations si je ne m’abuse. Quelle importance accordes-tu à la corrélation de ta musique et des images?
Je dirais que je fais aussi un peu de sampling vidéo, mais ce n’était pas le cas durant Do Make Say Think parce que nous avons eu tellement d’histoires avec les visuels. Normalement, quand je joue, il y a un genre de cercle que je produis à l’aide d’un verre en cristal que je positionne devant un projecteur, ça fait apparaître une forme plutôt floue, légèrement abstraite. C’est donc pratiquement impossible de reconnaître les images que j’utilise pour mes projections. Souvent, les images que je sélectionne sont des vidéos absurdes que je prends sur Youtube. Par exemple, une vidéo d’une GoPro sur une roue de voiture qui tourne ou sinon, des passages de films que j’ai échantillonnés. J’essaye de faire une connexion, un rappel, avec les sons utilisés dans mes morceaux et mes visuels.
Donc, c’est ça, je veux qu’il y ait cet aspect audiovisuel cinématique en lien avec ma musique. Pour l’instant, je n’ai pas encore réalisé mes propres vidéos, mais c’est carrément le plan pour le futur. Je sais utiliser After Effect et Adobe Premiere; il me faudrait juste une caméra, c’est mon objectif. Bref, de concevoir mon propre matériel, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour le moment, est mon projet pour l’avenir. J’ai quand même pas mal de connaissances en vidéo et j’ai vraiment envie de les pousser un peu plus, mais je n’ai pas la patience jusqu’à maintenant.
Nous connaissons maintenant Joni Void l’artiste, mais pourrais-tu nous parler un peu de l’être humain qui se dissimule derrière ce projet? Comment as-tu commencé à faire de la musique? Qu’est-ce qui t’a poussé à venir t’installer à Montréal il y a de cela quelques années déjà?
Salut, moi c’est Jean! En fait, la musique ce n’était pas prévu du tout. Quand j’étais au lycée vers 2009 ou 2010, j’étais à fond dans Nine Inch Nails et ils offraient leurs multitracks gratuitement en ligne. Je pense que ce fut ça, le début, et aussi de me rendre compte que j’avais Garage Band sur mon Mac. D’avoir ce logiciel sur lequel j’avais l’opportunité de faire simplement de la musique. Je pouvais avoir accès à tous leurs morceaux, les remixer à ma propre manière. C’est de là que vient le nom de johnny_ripper, c’était mon nom d’utilisateur sur le forum de NIN. Après huit ans, ça fait vraiment du bien d’être débarrassé de ça!
J’ai aussi découvert énormément de musique électronique à ce moment-là. Des grands noms comme Radiohead et Nine Inch Nails bien sûr, mais j’ai ensuite écouté leurs remixes. Il devait y avoir des trucs comme Burial, Four Tet et Telefon Tel Aviv. C’était ça qui m’attirait, pas de faire du chant et d’écrire des paroles, mais plutôt d’utiliser des échantillons sonores. Par exemple, Burial faisait des percussions à partir de bruits de clés. Pour moi, c’était fantastique. Savoir que je pouvais enregistrer n’importe quoi de chez moi sans avoir besoin de formation musicale ou de posséder d’instruments. Tout a donc commencé comme ça, en 2009, je faisais des morceaux tout seul sur mon ordinateur et c’était vraiment juste un passe-temps, une passion. Je mettais ensuite les morceaux sur Soundcloud et puis j’avais tellement de réceptions que je voulais évidemment continuer à en faire.
Pour ma venue à Montréal, c’était à cause de mon ami Luke Loseth que je connaissais via Myspace, c’était avant même l’époque de Soundcloud. Lorsque j’ai terminé le lycée, je cherchais quelque chose à faire de ma vie. Comme j’ai fait un BAC international, je ne pouvais pas vraiment rester en France. À la base, je suis originaire de Lille, mais l’une des options était l’Angleterre, car je suis à moitié britannique. Honnêtement, je n’avais pas envie de vivre en Angleterre du tout et je n’étais pas intéressé par les États-Unis non plus. Il y avait alors le Canada qui avait l’air facile d’accès, mais c’était avant qu’il y ait toute la vague de Français qui débarque ici. En gros, c’est comme ça que j’ai choisi Montréal, ça me paraissait tout simplement comme une bonne option. J’avais prévu faire des études en musique à l’Université Concordia mais, pour ça, il fallait faire une audition. Donc, j’ai eu un gros dilemme. Je ne connaissais malheureusement pas le programme d’électroacoustique à l’époque et ça aurait très bien pu fonctionner pour moi, mais c’était il y a longtemps.
Tout ça résume un peu mon parcours. Ensuite, j’ai écrit à Luke quelque chose comme «Je viens à Montréal, est-ce que ça te dit qu’on se rencontre, qu’on se voit en vrai?». C’est lui qui m’a montré la Casa del Popolo, La Plante et presque toutes les choses reliées à la scène musicale. Au bout de deux ans, j’ai commencé à faire des spectacles, ce que je n’avais jamais prévu faire à cause de l’aspect montage sonore et ordinateur. À force de voir des événements à La Plante ou encore de petits concerts où il n’y avait pas cette pression et le côté où tu es sur scène et tout le monde te regarde, j’étais plus à l’aise de faire des expérimentations musicales devant une vingtaine de personnes qui sont là pour réellement voir ça. C’est ce que je voulais faire à partir de là. À ce moment là, j’ai alors commencé à entrer dans la scène musicale, à faire beaucoup de spectacles. J’ai justement fini par vivre à La Plante et, par moments, je devenais organisateur ou technicien de son par exemple. Je pense que tous ces éléments ont mené à ma relation avec Constellation et à Joni Void. Ça a commencé avec juste moi en train de faire des trucs sur mon ordinateur à Lille et puis c’est arrivé jusqu’à la scène musicale montréalaise.
Tu es très impliqué dans la scène DIY montréalaise, tu as longtemps résidé dans la salle de spectacle La Plante. Pourrais-tu nous expliquer brièvement ce que tu en as retiré, qu’elles ont été les effets sur ta carrière et ton implication dans cette scène?
C’était important pour moi de franchir cet aspect de communauté virtuelle, celle que j’avais bâtie sur Soundcloud, même si à partir de 2013 c’était plutôt devenu un site de streaming avec tous les labels. Ça m’a beaucoup marqué parce que c’est vraiment de là que je viens, c’est à ce moment-là que j’ai eu le soutien, qu’il y a eu des choses qui m’ont poussé à aller plus loin. C’est à cette période que j’ai découvert de la musique qui m’a vraiment changé. Un peu plus tard, j’ai comme eu l’impression de découvrir une version organique, physique qui était là avant les réseaux sociaux. Ça a commencé par la rencontre des gens qui étaient à La Plante. J’y ai ensuite vécu deux ans. Ces années m’ont beaucoup aidé à valider ce que je faisais parce qu’avant, c’était toujours relié à internet. Oui, il y avait des gens qui me suivaient, mais est-ce qu’ils étaient vraiment intéressés par ma musique? J’ai donc commencé à faire des concerts parce que tu peux avoir des milliers d’abonné·e·s sur Soundcloud, j’en ai environ 27 000, il me semble mais, après, tu arrives pour jouer et il y a juste quelques personnes dans la salle. Ça remet quand même les choses en perspective en terme de succès.
Je me suis rendu compte que je m’y connaissais bien au niveau du son et que ça compensait pour un certain manque de connaissances musicales que je pouvais avoir. À La Plante, j’ai fait beaucoup de gestion sonore, des soundchecks et tout ça. J’étais très intéressé et j’ai développé beaucoup mes habiletés. Cette expérience m’a fait sortir de mon côté assez anxieux socialement et plutôt réservé. C’était une bonne idée de venir m’installer dans une salle de concert avec six autres personnes et d’y côtoyer des gens tout le temps. Ce n’était pas non plus l’idéal à la base, mais ça m’a surpris à quel point c’est si rapidement devenu quelque chose d’organique. Ce n’était jamais vraiment moi qui allais chercher les choses. Constellation, ce n’est pas moi du tout qui sois allé auprès d’eux. Je pense que ça a donné un aspect physique à ce que je faisais au niveau de la musique.
Même si c’est un sujet un peu moins agréable, j’aimerais revenir sur le triste vol d’équipement dont toi et Catherine Debard (YlangYlang) avez été victimes l’an dernier. Une campagne de sociofinancement a rapidement été mise en place pour vous venir en aide, comment as-tu vécu toute cette situation et as-tu été surpris du soutien que vous avez reçu?
C’était la période la plus dure de ma vie… À partir du cambriolage, il n’y avait rien qui fonctionnait. Maintenant ça va, le premier mois de 2018 se déroule bien, mais jusqu’à la fin de 2017, c’était l’enfer. Je me serais cru dans la twilight zone, comme un monde obscur qui venait de s’ouvrir. Pour le financement, il y a forcément eu un aspect très positif. C’était incroyable de voir que seulement deux heures après que ce soit arrivé, Catherine Colas avait déjà mis la campagne en place. Nous ne nous attendions pas du tout à ça, d’avoir ce soutien dès le départ, de ne pas devoir nous inquiéter financièrement. J’allais pouvoir me racheter un ordinateur et elle allait pouvoir se racheter des pédales. Le truc qui était affreux avec le cambriolage, c’était de nous faire voler des choses qui étaient très personnelles, comme son journal par exemple. Dans son sac, elle avait aussi toutes ses affaires. Son ordi comprenant de la musique qui n’était pas sauvegardée depuis un an; elle a tout perdu. Ce sont des choses qui se remplacent physiquement, mais qui ne comblent pas réellement le vide laissé.
Je ne veux pas faire ma diva, car le soutien financier a été incroyable, mais il y a clairement quelque chose que je n’ai pas eu et c’est du soutien réel. Je ne voyais pas mes ami·e·s parce que j’étais toujours chez moi. J’étais devenu vraiment parano. Le problème ce n’était même pas ce qu’ils avaient volé, mais plutôt ce qu’ils n’avaient pas pris. Il y avait mes platines, mes vinyles et mes enregistreurs, ils auraient pu revenir à n’importe quel autre moment pour essayer de les reprendre. Les voleurs avaient étonnement pris des ordis qui dataient de je ne sais pas combien d’années et qui étaient remplis d’autocollants. Ils m’en ont même volé un qui ne pouvait pas s’allumer sans le chargeur qu’ils ont d’ailleurs oublié de prendre. Par la suite, c’est littéralement impossible à vendre. C’était la première fois que Catherine venait chez moi. Elle est l’une de mes meilleures amies, une personne tellement spéciale et l’une des artistes que j’admire le plus, c’était terrible de la voir s’effondrer en larmes et de dire qu’elle ne voulait plus jamais faire de musique. Elle croyait que c’était la fin de tout mais, forcément, ce n’était pas le cas puisque nous sommes en train de faire une collaboration ensemble.
Ce fut trois mois très intenses. C’était une crise personnelle, mais aussi collective. Il y avait plein d’autres gens de mon entourage qui avaient des problèmes au même moment. Vraiment, il y avait juste la poisse durant cette période-là. Je pense que ça a foiré parce que tout le monde était un peu trop de son côté. Les gens s’occupaient de leurs propres problèmes; il n’y avait pas cette impression de communauté. Pourtant, nous sommes toutes et tous ensemble là-dedans. Il aurait fallu que quelque chose se passe, du genre s’entraider ou se visiter au lieu de rester chacun·e de son côté à raconter les choses. Je me disais «Elle est où la communauté quand les choses vont vraiment mal?». J’avais besoin d’aide et j’étais en train de le dire aux gens explicitement. Je n’arrivais pas à fonctionner du tout et tout ce que j’avais en retour c’était des notifications Facebook. Je me disais à la blague «Ok, j’ai 36 likes, super merci, alors je suis bon pour finir la journée».
Comme nous venons de discuter des bons côtés des réseaux sociaux, maintenant abordons le côté plus nocif. Tu as récemment décidé de prendre beaucoup de recul face à tout ça et plus spécialement Facebook. Pourquoi cette pause était-elle nécessaire, a-t-elle eu des effets positifs sur ta vie jusqu’à présent?
Je me suis rendu compte que le fonctionnement des réseaux sociaux est totalement absurde, ça ne nous aide pas du tout. Par exemple, lorsque tu fais une publication, dix personnes vont le voir et si ces dix personnes réagissent, ça va passer à d’autres gens. Par contre, s’il n’y a pas de réaction et bien ton post est mort. Ça n’a aucune logique sauf celle de devoir payer, de donner de l’argent à Facebook. Je refuse symboliquement de leur donner quoi que ce soit, j’en suis même venu à me demander pourquoi j’avais cette page. Quand j’ai partagé la campagne de financement sur ma page personnelle j’ai eu pas mal de réactions, mais lorsque je l’ai fait sur la page de Joni Void et que j’ai eu environ quatre likes, je me suis dit que c’était assez. C’était un cri d’aide et ça faisait huit ans que j’avais cette page, je n’avais rien demandé aux gens jusque-là. Pour la première fois depuis toutes ces années, j’avais besoin d’aide et d’argent. Quand j’ai vu qu’il n’y avait que quatre ou cinq réactions, je ne voyais plus l’intérêt de tenir cette page si c’était comme ça. Je ne veux pas seulement avoir des feedbacks quand je publie une image ou quelque chose qui est facile à digérer. On dirait que personne ne fait d’effort pour vraiment lire ce qui est écrit ou écouter le contenu qui est partagé, je déteste ça.
L’autre histoire tragique est que mon disque dur s’est corrompu, donc j’ai absolument tout perdu des projets de johnny_ripper de 2011 à 2015. Ensuite, j’avais fait une publication sur ma page personnelle où j’avertissais les gens que j’avais tout perdu. En gros, je leur demandais d’écouter une playlist Soundcloud que j’avais réalisée, question de faire vivre la musique. Ces morceaux étaient vraiment importants pour moi, c’est de là que je viens, la plupart des gens qui me connaissent maintenant n’ont pas connu cette époque. J’avais eu environ 70 likes, mais personne n’avait écouté la liste. J’ai regardé les statistiques et les gens n’avaient pas fait jouer les morceaux. Je m’en doutais un peu, alors j’étais hésitant de regarder les chiffres en sachant que j’allais être déçu. Par contre, je ne m’attendais pas du tout à aussi peu, personne n’avait fait ce que je demandais dans la publication.
Je crois qu’il y a un gros problème en ce moment, car les gens ne se rendent pas compte que la réalité virtuelle n’est pas la réalité physique. La manière dont on interagit, que l’on partage du contenu, que l’on reçoit de l’information sur internet, ce n’est pas du tout la même chose qu’en vrai. Je pense que c’est ça le problème actuellement avec la musique, ça dépend trop des réseaux sociaux, ça dépend de ta présence et c’est un système qui ne marche pas du tout et qui n’a rien à voir avec la manière dont nous sommes supposés recevoir de l’art. C’est fait pour que tu puisses digérer ça dans l’espace de quelques secondes juste en te baladant dans ta timeline. Il doit absolument y avoir autre chose que ça, on ne peut pas continuer à en dépendre et de tout baser entièrement sur les réseaux sociaux. Ça ne fonctionne tout simplement pas. On en veut toujours plus, on ne peut jamais être satisfait avec le nombre de «J’aime» que l’on a.
C’était quand même difficile, car c’est tout de même de l’internet que je viens, c’est de Soundcloud et de Facebook. C’est incroyable de partager des choses et de connecter avec des gens de partout autour du monde. Je ne veux pas non plus être complètement négatif, je pense principalement que je reste un peu là-dessus pour Messenger, car c’est vraiment pratique. Quoique l’on peut maintenant avoir Messenger tout en supprimant Facebook. Il y a quand même certaines raisons de les utiliser, mais je suis en train de trouver comment faire autre chose qui ne dépend pas uniquement des réseaux sociaux. Pourquoi faire des événements où tu atteins 150 personnes, mais que tu en as 15 qui viennent au final, c’est tellement absurde!
Nous avons eu écho que tu travaillais sur un projet d’envergure dernièrement. Si j’ai bien saisi, ce sera un site internet nommé Everyday Ago qui se voudra un véhicule de promotion original pour les artistes. Peux-tu nous en dire un peu plus?
La motivation vient de la crise des trois derniers mois, cette crise collective. Les artistes en ont marre des événements où le trois quarts du temps, personne ne vient. Ce sera plutôt un environnement social que vraiment de musique. On passe des semaines à répéter nos sets, mais on a une demi-heure dans la soirée où on peut faire nos trucs. C’est toujours à ce moment que quatre connards sont en train de parler devant les enceintes, là où le volume est au plus fort, c’est pas très logique. Ils se mettent devant la source principale du son pour parler à leurs amis de la journée qu’ils ont eue. On est aussi dépendant·e des promoteurs qui se foutent de nous, qui ne font rien pour s’occuper de nous. Tous ces gens font partie de ce système où tout est basé sur nos créations, mais où nous sommes les derniers·ères à être considéré·e·s. Ça et les réseaux sociaux étaient les principales motivations. J’ai maintenant quitté ma page de Jean Cousin avec laquelle j’organisais mes événements, mais maintenant, je les monte comment mes concerts?
Je n’ai plus rien pour réaliser mes concerts, alors je me suis demandé ce que j’allais faire. Travailler avec Constellation, c’est super, mais je n’ai pas envie de juste sortir des disques avec eux une fois par année et que ce soit mon seul projet. J’ai l’impression qu’il n’y a plus rien d’interactif, de créatif, il n’y a plus vraiment de nouveaux sites de musique qui proposent des choses vraiment originales. Des endroits qui proposent du contenu que nous pourrions utiliser après coup pour faire quelque chose d’utile. C’est toujours des exclusivités, des mix, des articles qui vont durer quatre jours et puis disparaitre ensuite. Voilà, tu as été sur le blogue, bravo!
Je veux que les visiteurs puissent revenir, je ne sais pas combien de mois ou d’années après que l’événement soit terminé et qu’il y ait encore toute la promotion disponible. Il faut changer les choses, ne plus être dépendant ou dépendante de tous ces systèmes qui ne sont même pas des créateurs. Ce ne sont pas des artistes qui les maintiennent et qui les définissent. Nous allons faire en sorte que ce soit un peu plus nous qui décidons des choses ou des événements. L’artiste et sa performance seront mis en valeur, nous voulons les enregistrer. Ça implique pour les gens de rester silencieux·euses sinon tout le monde va les entendre dans l’enregistrement. Le meilleur exemple que j’ai, c’est Boards Of Canada qui ont environ cinq prestations dans leur carrière entière. Il y a un live où ils font le morceau Spiro, qui est simplement magnifique, il n’apparaît nulle part ailleurs dans leur discographie. La pièce dure sept minutes, mais à la moitié, on entend juste cette fille en plein milieu dire «HEY! WHAT’S GOING ON? HOW IS IT GOING MAN?». Elle ne se rend pas compte qu’historiquement, elle est en train de ruiner le bootleg ultime du groupe. Je pense que si on annonce dès le début qu’il y aura un enregistrement qui sera posté en ligne, il risque d’y avoir moins de personnes qui racontent leurs journées.
Je veux faire en sorte que l’expérience d’un concert, de la musique et de la créativité soit un peu axée vers les artistes. Il faut prendre plus en considération l’état mental et physique des gens qui performent. Par exemple, quand un projet vient visiter Montréal, je veux qu’il voit vraiment la ville, pas juste une salle de concert et qu’après il reparte le lendemain. C’est tellement affreux que ce soit ça la norme. Les musicien·ne·s doivent voyager partout, faire des dépenses, des heures de conduite incalculables et, au final, voir seulement une salle de concert. Moi, j’ai envi que quand mes ami·e·s qui viennent d’ailleurs et qui font un concert ici, je veux qu’elles et ils aient au moins un ou deux jours pour faire un tour et voir des choses. Ça donne l’occasion de faire une séance photo ou encore des trucs plus interactifs, de ne pas seulement voir le spectacle et de rentrer chez toi sans avoir d’interaction. Il faut changer ça!
Au départ, c’est quand même moi qui sélectionnerai les artistes avec lesquels je travaillerai. Sinon je laisse le champ libre, ma messagerie va exploser rapidement. Je veux commencer avec des ami·e·s, des gens de la communauté et de leur faire du contenu à utiliser, des sample packs ou des choses comme ça. C’est ce que je vise pour la première année. J’ai envi que ce soit dans des lieux moins traditionnels, pas dans des salles de concert où il a cette obligation de devoir consommer de l’alcool. Je ne veux plus d’endroit où l’ingénieur sonore déteste sa vie et qui est ignoble avec les artistes. Je ne veux plus dépendre des salles de concert, de ces lieux qui sont tout le temps bookés. Il faut être plus ouvert sur ce que l’on peut faire, sur ce que l’on peut installer dans les lieux afin de proposer une expérience alternative.
Tu monteras prochainement sur scène au festival Lux Magna en compagnie de plusieurs autres artistes de renoms. À quoi pouvons-nous nous attendre de cette collaboration spéciale? Est-ce la première fois que tu réalises une performance de ce genre?
Il y a Joni Sadler de Lungbutter qui est musicienne, mais elle fera plutôt les visuels dans le cadre de ce concert. Il y aussi Jessica Moss, Ora Cogan, Robin Wattie de Big ‡ Brave, Catherine Debard (YlangYlang) et moi. Nous sommes cinq musicien·ne·s et Joni, qui normalement est musicienne aussi, mais elle a décidé pour la première fois de faire des visuels. C’est Ora qui fait partie de l’organisation du festival qui nous a simplement contactés un jour et puis qui suggérait toutes ces personnes.
C’était quand même une grosse coïncidence, parce que j’avais toute l’histoire avec YlangYlang, nous avions fait plusieurs spectacles ensemble. Le premier événement d’Everyday Ago inclura justement Jessica et Robin, je les avais déjà approchées pour ce concert avant même d’avoir connaissance de cette collaboration. Joni fait même partie de Constellation maintenant. Oui, le nom Joni Void est un peu une référence à Joni Sadler. En réalité, j’allais choisir Jon Void à la base, mais il y a un acteur qui s’appelle Jon Voight. Les gens pensaient que Jon Void, mon nom choisi initialement, était une référence a lui, alors que c’est un gros con qui soutient Trump. Donc j’ai choisi Joni, principalement pour pouvoir faire «Join Void» si tu inverses le I et le O, mais aussi en partie en référence à Joni Sadler, qui a adoré ça.
Je ne m’attendais pas à cette collaboration, mais ça a du sens, c’est un bon regroupement. Nous avons toutes et tous des manières de fonctionner différentes, mais je pense que nous avons toutes et tous l’habitude de jammer. Nous savons que ce ne sera pas “On va jouer le plus fort possible et juste essayer de noyer tous les autres”. Nous avons pratiqué toute la semaine et ça va être très intéressant, ce sera particulier. Je crois qu’il y a peut-être même des intentions d’enregistrer dans un studio, de faire des jams et de les enregistrer proprement et de les sortir aussi.
Ça se déroule vraiment bien en ce moment et ce serait un peu dommage que ça se termine après le spectacle de dimanche. Surtout avec cette idée de communauté, j’ai vraiment envie que ça se poursuivre et de faire quelque chose sur Les Yeux avec Everyday Ago. J’ai envie de montrer des gens qui jouent ensemble sans être nécessairement un événement. D’enregistrer des pièces de plus ou moins trente minutes et puis de les mettre sur le site, c’est aussi simple que ça. Je veux qu’il y ait plus de regroupements de genres différents, de pratiques, de mélanges dans la scène.
Pour conclure l’entrevue, j’aimerais simplement savoir à quoi devons-nous nous attendre de Joni Void pour l’année à venir? Sera-t-elle aussi éclatante que 2017 avec tes sorties d’albums et ta multitude de concerts ou bien tu prendras un peu de recul face à tout ça?
Il y a un nouvel album en ce moment, je prévois avoir une première version finale vers la fin janvier. J’imagine que ça sortirait à l’automne 2018 ou quelque chose comme ça. Il faut que je vois avec Constellation, car je ne sais pas exactement pour l’instant. Ce sera très différent de Selfless, ça va être beaucoup plus mélancolique, introspectif et minimaliste. En fait, mon dernier album était vraiment une échappatoire, il y avait de l’intensité, je voulais sortir de mon corps, mais là ça va être tout l’inverse. C’est comme une grosse introspection, une exploration intérieure. Donc c’est ça, il y a ça du côté de Joni Void. Il y aura évidemment le site Everyday Ago et peut-être aussi une tournée européenne en avril. Plein de choses sont à prévoir!
Je vais essayer d’en faire moins, mais que ce soit plus spécial. Je ne veux plus avoir quatre concerts en une semaine où personne ne viendra à trois d’entre eux et que le quatrième sera trop stressant. Je veux vraiment juste avoir des choses spécifiques. Je devrais normalement avoir un permis de travail cette année, depuis la fin de mes études que j’essaie d’en avoir un. C’est pour ça que j’ai pu faire plein de projets avec Joni Void l’année dernière, parce je n’avais pas d’autres occupations. Je risque de finalement l’avoir, alors ça devrait faire en sorte que je puisse vraiment focaliser sur ce que je veux réellement et aussi m’occuper de Muffin, mon chat, bien sûr!
Merci pour ton temps!